Transat : le chevreuil

Offert par Les Affaires


Édition du 02 Avril 2016

Transat : le chevreuil

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Édition du 02 Avril 2016

[Photo : Bloomberg]

La déclaration nous a fait sourire. Dans les heures qui ont suivi les derniers résultats de Transat(Tor., TRZ), l'un de nos collègues n'a pu s'empêcher de constater: «C'est curieux et souvent la même chose chez Transat. Tout semble sur le point de se redresser et, soudainement, oups, elle a l'air d'un chevreuil qui se fait surprendre au milieu de la route».

Notre impression de l'entreprise est un peu différente, mais converge. Depuis des années, Transat rame régulièrement contre le courant. Son chef de direction, Jean-Marc Eustache, fait pratiquement des miracles. Mais chaque fois qu'on a l'impression que la société est sur le point de décoller, c'est comme si quelqu'un l'attendait caché au coin d'un immeuble et lui assénait un solide coup de bâton dans les reins.

L'histoire s'est répétée il y a quelques semaines. Après avoir enregistré le deuxième meilleur été de son histoire aux troisième et quatrième trimestres, Transat s'est fait surprendre au premier trimestre par la force de la baisse du dollar canadien, le virus Zika et la menace de grève de ses pilotes (maintenant évitée). Résultat, elle a raté les attentes des analystes.

Le titre a été sous pression, mais n'a somme toute pas perdu trop d'altitude, le marché semblant espérer un meilleur avenir ou, encore, juger qu'il était déjà trop faiblement évalué.

Qu'en est-il ?

Voyons-y.

L'été s'annonce plus incertain

L'analyse récente la plus intéressante du secteur vient de Cameron Doerksen, de la Financière Banque Nationale.

À première vue, d'importants nuages paraissent se profiler. Selon l'analyste, la capacité de l'industrie vers l'Europe devrait croître de 15,5 % cet été. Air Canada sonne la charge avec une augmentation du nombre de sièges de près de 19 %. Elle ajoute notamment les destinations de Prague, Budapest, Glasgow et Varsovie, en doublant ses liaisons Vancouver-Londres et en établissant d'autres points de desserte. Transat force aussi le jeu avec une hausse de 8,3 % de sa capacité, avec de nouvelles destinations comme Zagreb, en Croatie, et Pise, en Italie. Et puis, il y a WestJet, qui contribue pour 23 % à la hausse (de 15,5 %) avec des additions de points de desserte vers Londres à partir de six villes canadiennes.

La route de Londres, qui est particulièrement importante pour Transat puisqu'elle représente 18 % de sa capacité (Paris est à 20 %), s'annonce très engorgée avec une augmentation prévue de 23,4% du nombre de sièges.

La grande question : si la capacité de l'industrie grimpe de 15,5 %, la demande peut-elle croître du même ordre ?

Pour remplir cette capacité, 667 000 passagers de plus devront prendre un billet aller-retour Canada-Europe (ou inversement), et 229 000 autres, un billet aller-retour Canada-Londres.

Il y a des précédents où des hausses ont été significatives et où les résultats ont été bons pour Transat. L'an dernier, par exemple, la capacité de l'industrie a crû de 7 % pour la saison estivale et, comme on l'a vu, le voyagiste a connu le deuxième meilleur été de son histoire.

Cette fois, la hausse de capacité projetée est nettement plus importante. Et il est probable qu'une guerre de prix éclatera. Déjà, au début de mars, le coup de sonde mené par la Financière Banque Nationale permettait de voir que ceux-ci étaient en baisse par rapport à l'an dernier. En moyenne de 7 %, et jusqu'à 11 % pour la liaison Toronto-Londres. La difficulté est que ces prix concernent des destinations à la mi-juillet, au coeur de la saison des vacances. Des baisses plus importantes pourraient survenir durant les périodes de la mi-mai à juin, de septembre et octobre, là où la demande faiblit.

Fatal pour Transat ? Pas nécessairement.

M. Doerksen fait remarquer que le prix du carburant est actuellement de 0,46 $ CA le litre, ce qui est bien en deçà du prix moyen observé l'été dernier, à 0,63 $ le litre. Selon son calcul, si le prix du carburant reste au niveau actuel, l'industrie pourrait enregistrer un recul de 8 % de ses prix et toujours conserver la même rentabilité. Pour l'instant, Transat serait donc encore en route vers une saison estivale intéressante. Avec en plus, pour améliorer sa rentabilité, un projet d'acquisition de voyagiste aux États-Unis et un plan de rationalisation de 100 M$ au cours des trois prochaines années, l'équivalent du bénéfice avant intérêts, impôts et amortissement (BAIIA) actuel.

Que faire ?

À première vue, le titre peut sembler anticiper une saison estivale beaucoup trop sombre. Le parc hôtelier de Transat et la portion d'encaisse que l'entreprise peut utiliser représentent 6 $ par action. La société n'a pas de dette, c'est dire que le marché n'accorderait à ses activités qu'une valeur de 0,7 fois le BAIIA de 2015. Aucune entreprise ne se négocie à un niveau aussi bas. Achat évident, penseront certains.

Tout ce qui brille n'est cependant pas or. Transat n'a pas de dette, mais elle a des baux de location d'avion qu'elle doit respecter. M. Doerksen juge que la valeur des obligations liées à ces baux est probablement d'environ 540 M$. Si l'on considère ces obligations comme de la dette, Transat se négocie cette fois à une valeur d'entreprise (capitalisation boursière + dette) de 3,2 fois le BAIIA. Ce qui n'est que modestement plus bas qu'Air Canada (3,4 fois) et WestJet (3,7 fois).

Constat ?

Le titre n'est pas une aubaine. Quelque chose nous dit que Jean-Marc Eustache réussira avec son projet d'acquisition et son plan de rationalisation. Ce qui pourrait créer pas mal de valeur dans l'avenir. Le problème est qu'on ne sait trop si quelqu'un (ou quelque chose) est encore embusqué au détour pour surprendre le chevreuil.

À propos de ce blogue

Diplômé en droit de l'Université Laval, François Pouliot est avocat et commente depuis plusieurs années l'actualité économique et financière. Il a été chroniqueur au Journal Le Soleil, a collaboré au Globe and Mail et dirigé les sections économiques des différentes unités de Quebecor Media, notamment la chaîne Argent. Au cours de sa carrière, il a aussi fait du journalisme d'enquête ce qui lui a valu quelques distinctions, dont le prix Judith Jasmin. La Bourse Southam lui a notamment permis de parfaire son savoir économique à l'Université de Toronto. François a de même été administrateur de quelques organismes et fondation. Il est un mordu des marchés financiers et nous livre son analyse et son point de vue sur diverses sociétés cotées en bourse. Québec inc. sera particulièrement dans sa mire.

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