Repreneuriat : au nom de la pérennité


Édition du 12 Décembre 2015

Repreneuriat : au nom de la pérennité


Édition du 12 Décembre 2015

En novembre, j'ai eu la chance de donner une conférence devant une foule de producteurs agricoles, des gens de coeur qui se dévouent chaque jour pour accomplir un travail parfois ingrat. J'ai notamment rencontré deux mamans et repreneuses. Elles ont acheté leurs terres agricoles de purs étrangers, alors qu'elles n'avaient pas encore 20 ans. À travers les doutes et les épreuves, ces magnifiques jeunes femmes sont devenues amies. Elles se sont soutenues envers et contre tous.

Vous dire la fierté que j'ai ressentie en entendant leur histoire... Quelle belle aventure que de reprendre une entreprise existante !

Pourtant, je me désole de constater que le repreneuriat est un sujet dont on parle si peu au Québec. Comment peut-on négliger ce pan crucial de notre réalité ? Quel que soit le secteur ou le type d'entreprise, les besoins sont partout. Et ils sont criants. D'ici 2020, on évalue à 98 000 le nombre de départs à la retraite chez les entrepreneurs par rapport à seulement 60 000 repreneurs potentiels. On prévoit donc un déficit de 38 000 propriétaires ! Si la situation se maintient, elle risque d'entraîner la fermeture de nombreuses entreprises rentables, provoquant du même coup un séisme non négligeable pour notre économie.

On valorise beaucoup les entrepreneurs québécois qui lancent leur start-up. On encense leur audace. On admire leur sens des affaires. On raconte leur histoire sur toutes les tribunes. Témoignons-nous les mêmes égards aux repreneurs ? Je me pose sérieusement la question.

Les bons coups sont pourtant nombreux. Aldo, SoupeSoup, LG2 et Cora ne sont que quelques exemples illustrant les possibilités infinies du repreneuriat. Même l'entreprise Bombardier, à l'origine productrice de motoneiges à chenilles, s'est hissée parmi les plus grands avionneurs du monde à la suite du travail de ses repreneurs !

Au-delà de la reprise familiale

On associe souvent le repreneuriat à la succession d'une entreprise familiale. C'est une avenue, mais ce n'est certainement pas la seule. Pensons seulement au cadre qui envisage de prendre le flambeau de l'entreprise pour laquelle il travaille, au repreneur qui désire acheter une entreprise afin de la propulser au niveau suivant ou encore au producteur agricole qui souhaite acquérir une terre pour la cultiver. Quelles que soient nos valeurs, quels que soient nos talents, il y a assurément, quelque part, une entreprise à notre image qui se cherche un repreneur. Commerce de détail, immobilier, fabrication de biens, services aux particuliers... Tout est ouvert.

En 2014, seulement 17,5 % des Québécois qui se sont lancés en affaires ont privilégié l'option de la reprise ou du rachat d'une entreprise existante, estiment la Chambre de commerce du Montréal métropolitain et le Fonds de solidarité FTQ dans leur initiative soyezlareleve.ca. Comment expliquer ce faible pourcentage ? Parlons-nous suffisamment des avantages que nous offre le repreneuriat ?

Devenir repreneur, c'est contourner le premier défrichage entrepreneurial pour plonger directement dans le feu de l'action. Certaines entreprises cédées jouissent également de conditions exceptionnelles. Elles ont une réputation enviable, une bonne notoriété, des clients loyaux, des employés de talent, un savoir-faire distinctif... Il ne manque qu'un gestionnaire créatif et novateur pour optimiser leur performance.

Y a-t-il un repreneur dans la salle ?

Trop souvent, je vois des entrepreneurs contraints de mettre la clé sous la porte, faute de s'être trouvé un repreneur à temps pour la retraite. Quelle perte inestimable pour notre patrimoine entrepreneurial !

Notre entreprise est vivante, organique. Elle est le reflet de notre personnalité, de nos valeurs, de notre âme. Comment peut-on l'abandonner en cours de route ? Comment peut-on oublier cet amour qui nous a guidés et nourris pendant toutes ces années, ce besoin viscéral de bâtir une entreprise, malgré les larmes, les doutes et les nuits blanches ?

Il est de notre devoir de planifier notre départ avec autant de soin que nous avons préparé notre entrée. J'ai personnellement la chance de compter sur mes quatre enfants pour prendre le relais de mon entreprise, mais il est tout aussi possible de se poser en mentor et de transférer notre savoir-faire à un repreneur potentiel. Oui, il faudra y investir du temps et des efforts. Mais le jeu en vaut certainement la chandelle.

Personne n'est mieux placé que vous pour convaincre un entrepreneur de prendre les rênes de votre entreprise. Il faut simplement lui parler avec votre fougue, avec votre folie. Au-delà des chiffres et des états financiers, un repreneur achète d'abord une vision. Personne ne peut lui vendre votre rêve aussi bien que vous. Au final, c'est votre enthousiasme qui fera pencher la balance.

Les cédants et les repreneurs doivent unir leurs forces au nom de cette passion commune qui les unit. Favorisons la culture du repreneuriat. Encourageons les jeunes qui ont une entreprise existante dans leur ligne de mire. C'est toute notre économie et notre société entière qui sortiront gagnantes de cette collaboration. J'en ai l'intime conviction.

En guise de conclusion, j'aimerais partager avec vous cette citation de Sénèque : «Ce n'est pas parce que les choses sont difficiles que nous n'osons pas, mais parce que nous n'osons pas qu'elles sont difficiles».

Danièle Henkel a fondé son entreprise en 1997, un an après avoir créé et commercialisé le gant Renaissance, distribué partout dans le monde. Mme Henkel a été plusieurs fois récompensée pour ses qualités de visionnaire et son esprit entrepreneurial. Elle est juge dans la téléréalité à caractère entrepreneurial Dans l'oeil du dragon, diffusée à Radio-Canada.

Suivez Danièle Henkel sur Twitter @daniele_henkel