Protégez vos employés victimes de violence conjugale


Édition du 25 Octobre 2023

Protégez vos employés victimes de violence conjugale


Édition du 25 Octobre 2023

Par Catherine Charron

En hausse depuis 2005, le nombre de victimes de violence conjugale a grimpé en 2021 par rapport à 2019, dépassant la barre des 24 000 personnes. Plus de 76 % d’entre elles sont des femmes. (Photo: 123RF)

 

Ressources humaines
Employeurs, vous devez protéger vos employés victimes de violence conjugale !
Catherine Charron
« Il m’avertissait qu’il pouvait arriver n’importe quand, pour me surprendre. Je vivais un tel stress que dès qu’un collègue masculin venait me parler, je m’éloignais, pour ne pas qu’il me reproche par la suite de le tromper. »
C’est dans ce climat de peur qu’a vécu pendant près de 25 ans Mélanie Cartier, une gérante de caisse dans un marché d’alimentation victime de violence conjugale. Cette oppression, elle s’est invitée sur son lieu de travail.
La gérante est par exemple devenue une experte dans l’art de se soustraire aux heures supplémentaires attendues des personnes qui campent son poste, afin d’éviter de subir l’ire de son conjoint si elle n’arrivait pas à l’heure escomptée.
« Je craignais que mon employeur me mette à la porte parce que je ne faisais plus l’affaire », confie-t-elle au téléphone à « Les Affaires ». 
L’histoire de Mélanie Cartier est loin d’être un cas d’exception. En hausse depuis 2005, le nombre de victimes de violence conjugale a grimpé en 2021 par rapport à 2019, dépassant la barre des 24 000 personnes. Plus de 76 % d’entre elles sont des femmes.
« On a souvent des témoignages de victimes qui ne parviennent plus à accomplir leurs tâches, car elles sont épuisées. Elles n’arrivent pas à l’heure au travail, car elles étaient surveillées ou qu’on les a empêchées de s’y rendre », confirme Arina Grigorescu, chargée de projet du programme Milieux de travail alliés contre la violence conjugale du Regroupement des maisons pour femmes victimes de violence conjugale.
En 2021, Québec a modifié la Loi sur la santé et la sécurité du travail afin de prévenir « la violence sur les lieux de travail [dont le domicile en télétravail…] y compris la violence conjugale ou familiale », peut-on lire dans la description du projet d’amendement.
En d’autres termes, depuis ce temps, l’employeur doit être un allié des victimes en leur donnant les ressources pour leur permettre de s’en sortir, indique l’associée chez Langlois Avocats, Laurence Bourgeois-Hatto. 
« L’obligation légale ne spécifie pas nécessairement les méthodes qui doivent être utilisées pour protéger leurs employés, nuance Arina Grigorescu, mais on y suggère des mesures préventives ou des outils à mettre en place. »
Si, depuis, le Regroupement, qui offre de la formation, et l’avocate observent un plus grand intérêt de la part d’entreprises de tous les horizons, sur le terrain, le vent de changement apporté par le législateur tarde parfois à se faire sentir.
Mélanie Cartier, par exemple, a eu l’impression que lui incombait la responsabilité de s’assurer que son environnement de travail soit sécuritaire lorsqu’elle a finalement quitté son bourreau et informé son employeur de sa situation. 
Ainsi, c’est elle qui devait, grâce à l’accompagnement de sa maison d’hébergement, l’éduquer sur les pratiques à adopter pour la protéger, comme en s’assurant qu’elle soit accompagnée jusqu’à son véhicule à la fin de ses journées de travail.
De nombreux dirigeants connaissent mal les conséquences et les risques que la violence conjugale entraîne dans la sphère professionnelle , selon ce qu’observe Arina Grigorescu. 
Des préjugés bien ancrés
« Beaucoup de préjugés persistent à l’égard de la violence conjugale et de ses victimes, constate-t-elle. On peut penser que la séparation arrête la violence, par exemple. Or, ce n’est pas le cas. Quand le conjoint violent perd le contrôle, on observe plutôt une augmentation. »
Pour déconstruire ces mythes et mieux outiller les entreprises, le Regroupement des maisons pour femmes victimes de violence conjugale a lancé un guide le 29 septembre 2023. Non seulement tente-t-il de sensibiliser les employeurs au rôle décisif qu’ils peuvent avoir dans le parcours des personnes survivantes, mais il y partage aussi les bonnes pratiques d’autres organisations. De simples gestes peuvent avoir de grandes répercussions.
« J’aurais aimé savoir, peut-être grâce à des affiches dans les salles de pause, qu’il existait des maisons d’hébergement, illustre Mélanie Cartier. […] Je n’avais aucun contact extérieur. La seule chose que je faisais, c’était le travail et la maison. »
Devenir un allié
Depuis l’amendement de la loi, chaque entreprise devrait à tout le moins avoir sensibilisé son personnel sur la violence conjugale et l’avoir informé des dispositions adoptées pour les épauler, d’après Laurence Bourgeois-Hatto.
« Ça dépend du nombre d’employés, mais ça peut être d’éduquer nos gestionnaires à propos des signes qui devraient attirer leur attention », dit-elle.
Le Regroupement des maisons pour femmes victimes de violence conjugale recommande dans son guide d’ajouter à la politique de travail les ressources et les mesures de soutien disponibles.
« Les politiques de harcèlement ou de télétravail peuvent prévoir des procédures en cas de dénonciation ou de signalement, comme qui sera en charge d’assister les employés », ajoute l’avocate.
L’employeur peut proposer de modifier momentanément les tâches ou adapter l’horaire, et adopter un plan de sécurité en cas de risques de sévices, voire faire une demande d’injonction pour empêcher l’agresseur de se présenter sur le lieu de travail.
Une personne en télétravail pourrait quant à elle être ramenée au bureau plus fréquemment.
Arina Grigorescu souligne à grands traits l’importance de suivre le rythme de la victime, de l’accompagner, sans pour autant lui dire quoi faire. 
« En voulant être bienveillant, on veut la sauver, mais on n’a pas ce pouvoir-là. Cette sensibilisation doit être faite pour éviter des erreurs qui peuvent être faites quand on ne comprend pas la problématique. »
Si l’entreprise craint toutefois pour l’intégrité de l’employé, il peut toujours contacter la police, dit Laurence Bourgeois-Hotta.
« Je ne pense pas que les tribunaux diraient que l’employeur a le contrôle sur ce qui se passe au domicile et qu’il devrait intervenir, à cause du droit à la vie privée. Cependant, il doit offrir de l’aide et des ressources », résume l’avocate.

« Il m’avertissait qu’il pouvait arriver n’importe quand, pour me surprendre. Je vivais un tel stress que dès qu’un collègue masculin venait me parler, je m’éloignais, pour ne pas qu’il me reproche par la suite de le tromper. »

C’est dans ce climat de peur qu’a vécu pendant près de 25 ans Mélanie Cartier, une gérante de caisse dans un marché d’alimentation victime de violence conjugale. Cette oppression, elle s’est invitée sur son lieu de travail.

La gérante est par exemple devenue une experte dans l’art de se soustraire aux heures supplémentaires attendues des personnes qui campent son poste, afin d’éviter de subir l’ire de son conjoint si elle n’arrivait pas à l’heure escomptée.

« Je craignais que mon employeur me mette à la porte parce que je ne faisais plus l’affaire », confie-t-elle au téléphone à Les Affaires. 

L’histoire de Mélanie Cartier est loin d’être un cas d’exception. En hausse depuis 2005, le nombre de victimes de violence conjugale a grimpé en 2021 par rapport à 2019, dépassant la barre des 24 000 personnes. Plus de 76 % d’entre elles sont des femmes.

« On a souvent des témoignages de victimes qui ne parviennent plus à accomplir leurs tâches, car elles sont épuisées. Elles n’arrivent pas à l’heure au travail, car elles étaient surveillées ou qu’on les a empêchées de s’y rendre », confirme Arina Grigorescu, chargée de projet du programme Milieux de travail alliés contre la violence conjugale du Regroupement des maisons pour femmes victimes de violence conjugale.

En 2021, Québec a modifié la Loi sur la santé et la sécurité du travail afin de prévenir « la violence sur les lieux de travail [dont le domicile en télétravail…] y compris la violence conjugale ou familiale », peut-on lire dans la description du projet d’amendement.

En d’autres termes, depuis ce temps, l’employeur doit être un allié des victimes en leur donnant les ressources pour leur permettre de s’en sortir, indique l’associée chez Langlois Avocats, Laurence Bourgeois-Hatto. 

« L’obligation légale ne spécifie pas nécessairement les méthodes qui doivent être utilisées pour protéger leurs employés, nuance Arina Grigorescu, mais on y suggère des mesures préventives ou des outils à mettre en place. »

Si, depuis, le Regroupement, qui offre de la formation, et l’avocate observent un plus grand intérêt de la part d’entreprises de tous les horizons, sur le terrain, le vent de changement apporté par le législateur tarde parfois à se faire sentir.

Mélanie Cartier, par exemple, a eu l’impression que lui incombait la responsabilité de s’assurer que son environnement de travail soit sécuritaire lorsqu’elle a finalement quitté son bourreau et informé son employeur de sa situation. 

Ainsi, c’est elle qui devait, grâce à l’accompagnement de sa maison d’hébergement, l’éduquer sur les pratiques à adopter pour la protéger, comme en s’assurant qu’elle soit accompagnée jusqu’à son véhicule à la fin de ses journées de travail.

De nombreux dirigeants connaissent mal les conséquences et les risques que la violence conjugale entraîne dans la sphère professionnelle , selon ce qu’observe Arina Grigorescu.

 

Des préjugés bien ancrés

« Beaucoup de préjugés persistent à l’égard de la violence conjugale et de ses victimes, constate-t-elle. On peut penser que la séparation arrête la violence, par exemple. Or, ce n’est pas le cas. Quand le conjoint violent perd le contrôle, on observe plutôt une augmentation. »

Pour déconstruire ces mythes et mieux outiller les entreprises, le Regroupement des maisons pour femmes victimes de violence conjugale a lancé un guide le 29 septembre 2023. Non seulement tente-t-il de sensibiliser les employeurs au rôle décisif qu’ils peuvent avoir dans le parcours des personnes survivantes, mais il y partage aussi les bonnes pratiques d’autres organisations. De simples gestes peuvent avoir de grandes répercussions.

« J’aurais aimé savoir, peut-être grâce à des affiches dans les salles de pause, qu’il existait des maisons d’hébergement, illustre Mélanie Cartier. […] Je n’avais aucun contact extérieur. La seule chose que je faisais, c’était le travail et la maison. »

 

Devenir un allié

Depuis l’amendement de la loi, chaque entreprise devrait à tout le moins avoir sensibilisé son personnel sur la violence conjugale et l’avoir informé des dispositions adoptées pour les épauler, d’après Laurence Bourgeois-Hatto.

« Ça dépend du nombre d’employés, mais ça peut être d’éduquer nos gestionnaires à propos des signes qui devraient attirer leur attention », dit-elle.

Le Regroupement des maisons pour femmes victimes de violence conjugale recommande dans son guide d’ajouter à la politique de travail les ressources et les mesures de soutien disponibles.

« Les politiques de harcèlement ou de télétravail peuvent prévoir des procédures en cas de dénonciation ou de signalement, comme qui sera en charge d’assister les employés », ajoute l’avocate.

L’employeur peut proposer de modifier momentanément les tâches ou adapter l’horaire, et adopter un plan de sécurité en cas de risques de sévices, voire faire une demande d’injonction pour empêcher l’agresseur de se présenter sur le lieu de travail.

Une personne en télétravail pourrait quant à elle être ramenée au bureau plus fréquemment.

Arina Grigorescu souligne à grands traits l’importance de suivre le rythme de la victime, de l’accompagner, sans pour autant lui dire quoi faire. 

« En voulant être bienveillant, on veut la sauver, mais on n’a pas ce pouvoir-là. Cette sensibilisation doit être faite pour éviter des erreurs qui peuvent être faites quand on ne comprend pas la problématique. »

Si l’entreprise craint toutefois pour l’intégrité de l’employé, il peut toujours contacter la police, dit Laurence Bourgeois-Hatto.

« Je ne pense pas que les tribunaux diraient que l’employeur a le contrôle sur ce qui se passe au domicile et qu’il devrait intervenir, à cause du droit à la vie privée. Cependant, il doit offrir de l’aide et des ressources », résume l’avocate.

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