Le Québec ne dort pas au gaz «vert»

Publié le 13/03/2020 à 14:17

Le Québec ne dort pas au gaz «vert»

Publié le 13/03/2020 à 14:17

Par François Normand

(Photo: 123RF)

La filière naissante du gaz naturel renouvelable (GNR) est très prometteuse pour le Québec, affirment de gros joueurs de l’énergie et de l’industrie manufacturière. Certains spécialistes pensent au contraire que cela tournera au fiasco.

Le GNR est produit dans des usines (biométhanisateurs) à partir de déchets organiques comme des restes de tables, du lisier provenant des fermes et, à terme, des résidus forestiers, quand la technologie le permettra dans les prochaines années.

Ce gaz dit «vert» permet de réduire les émissions gaz à effet de serre (GES) en empêchant, par exemple, que des déchets de tables soient enfouis et qu'ils produisent du méthane, un gaz à effet de serre plus néfaste que le CO2 , si ses émanations ne sont pas captées.

Actuellement, moins de 1% du gaz naturel distribué au Québec dans le réseau d’Énergir est renouvelable. Le gouvernement a fixé une cible de 5% en 2025, mais le potentiel pourrait atteindre environ 66% en 2030, selon une étude de WSP et de Deloitte.

«Au Danemark, plus de 12% du gaz naturel consommé actuellement est renouvelable, et ce pays compte atteindre la cible de 100% en 2035», dit Mathieu Johnson, directeur stratégique et développement du GNR chez Énergir.

L’Union européenne et l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie en France considèrent le GRN comme une option intéressante pour réduire les GES.

 

Un fiasco économique à l’horizon?

Pour autant, le GNR a aussi ses critiques. Début février, Normand Beauregard et Normand Mousseau, respectivement conseiller en développement durable au gouvernement du Québec et professeur de physique à l’Université de Montréal, ont fait une sortie contre cette filière dans les médias.

L’impact positif du GNR pour réduire les GES serait surestimé, selon eux. Comme le gaz naturel est composé de méthane, un GES 34 fois plus puissant que le C02, il suffirait donc qu’il y ait de 5 à 6% de pertes de gaz tout au long du procédé (par tonne produite) pour annuler complètement les gains obtenus en substituant du gaz naturel fossile par du GNR.

«Il faut s’assurer de faire une gestion fine à tous les niveaux afin qu’il n’y ait pas de perte, car un peu de perte dans la distribution pourrait annuler les gains», dit en entrevue M. Mousseau, qui est aussi directeur de l’Institut de l’énergie Trottier de Polytechnique.

De plus, citant un avis de la Régie de l’énergie, MM. Mousseau et Beauregard affirment que le GNR est un carburant dispendieux. Pour être économiquement viable, la filière devrait être soutenue par un tarif d’achat garanti six fois plus élevé que celui du gaz naturel fossile.

Par exemple, utilisant du GNR, une famille vivant dans une maison familiale devrait débourser 6 000 $ pour chauffer une petite maison unifamiliale, plutôt que 1000 $ avec le gaz naturel, selon leurs estimations.

Énergir a répondu aux points soulevés par les deux spécialistes. Si l’on tient compte du cycle de vie complet du GNR (de sa production jusqu’à sa consommation, en incluant les pertes), ce dernier demeure l’une des options les plus efficaces pour réduire les GES, selon une analyse du California Air Resources Board.

Quant aux coûts du GNR, Énergir affirme que MM. Beauregard et Mousseau ont fait une «erreur de calcul», car ils ne tiennent compte que du coût de la molécule : ils écartent les frais de transport, d’équilibrage et de transport.

Or, si on tient compte de ces facteurs, un client résidentiel dont la facture au gaz naturel conventionnel est de 1 000$ débourserait 1 646$ pour du GNR, selon Énergir.

M. Mousseau reconnaît que le prix du GNR est plus bas si l’on considère tous les frais, et non pas seulement celui de la molécule.

Admettant qu’il est normal de payer plus cher une nouvelle source d’énergie renouvelable, il affirme qu’il faut néanmoins se demander jusqu’à quel niveau les consommateurs sont prêts à la payer. À ses yeux, il faut aussi élargir la question de départ : «Est-ce qu’il y a une alternative qui soit plus verte et moins chère?»

 

Enjeux pour les entreprises

Cette notion de prix du GNR est d’ailleurs un enjeu important pour les entreprises, souligne Véronique Proulx, PDG de Manufacturiers et exportateurs du Québec. «Certains de nos membres sont préoccupés, surtout si on les force à utiliser ce carburant plus cher que le gaz naturel», dit-elle.

C’est pourquoi l’industrie manufacturière estime que les gouvernements devraient soutenir la filière naissante du GNR au Québec, comme ils l’ont fait pour l’industrie éolienne, sans parler de l’appui des gouvernements à l’énergie solaire aux États-Unis.

Pierre-Olivier Pineau, spécialiste à HEC Montréal, estime qu’il faut voir le développement du GNR comme un investissement pour à la fois déplacer des carburants fossiles, mieux gérer nos déchets et stimuler l’économie des régions.

Actuellement, une seule usine de biométhanisation est en opération au Québec, à Saint-Hyacinthe.

Énergir achète ce gaz tout comme elle le fera pour les autres projets en construction à Cacouna (SEMER), à Montréal-Est (Ville de Montréal), à Québec (Villes de Québec), à Varennes (SEMECS) et à Warwick (Coop Agri-Énergie Warwick).

Ce dernier projet de 12 millions de dollars est le fruit d’un regroupement d’agriculteurs de la région de Warwick, à l’est de Drummondville, qui produira du GNR à partir de lisier, de fumier et de résidus organiques d’entreprises.

Québec et Ottawa ont injecté respectivement 3 M$ et 1,7 M$, tandis que Fondaction (CSN), Desjardins et Investissement Québec ont accordé des prêts totalisant 7,3 M$.

«Investir dans le GNR correspond à notre mission de réduire les GES, de mieux gérer les déchets et de développer l’économie», insiste Marc-Antoine Renaud, gestionnaire du portefeuille des investissements verts chez Fondaction (CSN).

 

Des occasions pour l’industrie forestière

À terme, le GNR provoquera aussi des occasions d’affaires dans l’industrie forestière. À l’horizon de 2030, l’arrivée des technologies de 2e génération permettrait de produire du GNR à partir de résidus forestiers générés par des entreprises comme Produits forestiers Résolu ou Kruger.

À son plein potentiel, la production de GNR au Québec pourrait même contribuer à 1,6 milliard de dollars par année au PIB québécois, selon une étude d’Aviseo Conseil.

De plus, 15 000 emplois directs et indirects pourraient être créés (3 000 dans les biométhanisateurs et 11 000 chez les fournisseurs). Quant aux gouvernements, ils pourraient récolter de nouvelles recettes fiscales de 256 M$ par année.

Jean-François Samray, PDG de l’Association québécoise des producteurs d’énergie renouvelable, ne voit que des avantages à développer le GNR, d’autant plus que laisser les résidus (domestiques, agricoles et forestiers) se dégrader et émettre du méthane n’est plus une option acceptable sur le plan environnemental.

«On améliore la balance commerciale du Québec, on renforce l’économie circulaire en créant des emplois impossibles à délocaliser, et on accroît la résilience des organisations en diversifiant leurs sources de revenus», dit-il.

 

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