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Médias: revenus publicitaires en baisse constante depuis 10 ans

La Presse Canadienne|Publié le 30 août 2019

«On ne peut pas faire des miracles, si on n'a pas de revenus.»

La baisse constante et substantielle des revenus publicitaires depuis une dizaine d’années a été identifiée jeudi comme une des principales causes du déclin des médias traditionnels au Québec.

La direction d’un groupe de presse, Transcontinental, et celle d’un quotidien qui a connu son heure de gloire dans le passé, The Gazette, sont venues témoigner en commission parlementaire pour dire à quel point la baisse continue des recettes publicitaires avait mis en péril leurs activités.

Depuis lundi et jusqu’à vendredi, la commission sur l’avenir des médias se penche sur les moyens à mettre en place pour soutenir financièrement les médias en difficulté et identifier le modèle d’affaires qui assurera leur survie.

Depuis 2015, les revenus publicitaires des marques spécialisées de Transcontinental Media (TC Media) au Québec ont chuté d’environ 40 pour cent, a indiqué le président de l’entreprise, François Olivier.

Les annonceurs ont migré vers internet et nourri les géants américains du web, tels Google et Facebook. Du coup, le modèle d’affaires des entreprises de presse était «brisé», a résumé M. Olivier.

Pendant ce temps, en une seule année, soit de 2018 à 2019, Postmedia, la société mère du quotidien The Gazette, a vu ses revenus publicitaires chuter de 17,6 pour cent.

La baisse constante de revenus a forcé The Gazette, un quotidien vieux de 241 ans, à réduire sa salle de rédaction de moitié, au cours des six dernières années.

Mais vu l’ampleur de la crise, ce n’est pas encore suffisant: «Si la tendance actuelle se maintient, des mesures encore plus draconiennes s’avéreront nécessaires», incluant une énième réduction d’effectifs, a déploré l’éditrice du quotidien, Lucinda Chodan.

«Nous sommes en concurrence avec deux géants internationaux, Google et Facebook», observe Mme Chodan dans son mémoire, notant que ces deux plateformes numériques évoluaient «dans un espace pratiquement non réglementé et non assujetti aux taxes et impôts, tout en employant peu de Canadiens et en ne produisant aucun contenu québécois ou canadien».

Du côté de Transcontinental, le plus gros imprimeur au Canada, qui se spécialise dans le secteur des hebdos, on constate aussi que les baisses constantes de revenus ont entraîné des rationalisations en série, des compressions de personnel importantes, voire des fermetures.

Au Québec, depuis 2015, TC Media compte 25 pour cent de personnel éditorial en moins.

«Les journalistes professionnels ont besoin d’être supportés de façon permanente», a commenté le président de Transcontinental, qui publie notamment le journal Les Affaires. François Olivier se dit favorable au soutien financier de l’État pour permettre aux groupes de presse aspirés «dans une spirale vers le bas» de sortir enfin de la crise.

Aux prises avec de graves difficultés financières, TC Media a revu à la baisse la fréquence de parution de plusieurs de ses publications spécialisées, dont celle du journal Les Affaires, qui est passée en une décennie de 52 éditions par année à 26.

Transcontinental publie aussi et distribue les journaux locaux offerts gratuitement dans les Publi-Sac, pour lesquels la publicité est la seule source de revenus.

Comme plusieurs autres intervenants avant lui, M. Olivier réclame du gouvernement qu’il offre un crédit d’impôt remboursable de 25 pour cent sur la masse salariale dédiée à la création et à la production de contenu journalistique des médias spécialisés.

Transcontinental réclame aussi un crédit d’impôt remboursable couvrant 40 pour cent des coûts de production de l’information (salaire des journalistes, masse salariale liée à la mise en page du journal et frais de reportage).

Il demande aussi au gouvernement une « augmentation significative » du budget qu’il consacre au placement publicitaire dans les journaux, une demande également maintes fois entendue depuis le début des travaux de la commission, qui aura accueilli au total 36 intervenants du monde de l’information.

Pour stabiliser les revenus des journaux, l’entreprise veut par ailleurs que les municipalités du Québec soient obligées de publier leurs avis publics dans les médias locaux et régionaux.

Bref, tout doit se mettre en place pour inverser la tendance et augmenter les revenus des médias, selon le voeu de leurs dirigeants.

«On ne peut pas faire des miracles, si on n’a pas de revenus», a constaté M. Olivier, convaincu que le monde des médias avait besoin d’aide pour survivre, incluant «une aide gouvernementale permanente».

Le député libéral de Jacques-Cartier, Gregory Kelley, s’est par ailleurs adressé aux médias pour rappeler combien il était important à ses yeux de pouvoir compter sur des journalistes d’expression anglaise au Québec, journalistes qui viennent du Québec et qui connaissent sa culture, au lieu de provenir de Toronto, comme c’est trop souvent le cas, selon lui. Il a déploré la baisse d’effectifs du réseau anglais de Radio-Canada au Québec.

Les professeurs se prononcent

Selon Alain Saulnier, professeur de journalisme à l’Université de Montréal et ancien directeur de l’information des services français de Radio-Canada, la situation presse et le gouvernement du Québec ne doit pas attendre avant de taxer les géants américains des plateformes numériques, afin de renflouer les coffres des médias québécois.

«Il faut travailler dès maintenant sur un plan stratégique» et impliquer au plus tôt le gouvernement fédéral, pour qu’il intervienne dans le même sens, selon lui.

Il a dit ne pas craindre qu’un soutien financier accru de la part du gouvernement aux entreprises de presse vienne nuire à l’indépendance des journalistes, qui sont bien capables «de faire la part des choses».

Ce soutien financier aux médias devrait être acquis pour au moins cinq ans, à ses yeux.

Dominique Payette, qui est professeure de journalisme à l’Université Laval, est d’avis qu’il faudra prévoir tout un train de mesures pour espérer «rétablir un niveau d’information acceptable» au Québec.

La première étape serait de définir précisément ce qu’est un journaliste, déterminer «qui est journaliste et qui ne l’est pas», si on veut que l’État sache «comment distribuer l’argent».

Il ne fait pas de doute dans son esprit que l’État doit avoir «l’obligation» d’offrir aux entreprises de presse des crédits d’impôt destinés à embaucher davantage de journalistes.