Le projet de train à grande fréquence (TGF) entre Toronto et Québec soulève de grandes questions quant à l’avenir de VIA Rail. (Photo: La Presse Canadienne)
Le projet de train à grande fréquence (TGF) entre Toronto et Québec soulève de grandes questions quant à l’avenir de VIA Rail.
En passe de démarrer ses opérations dans une décennie environ, le TGF promet de transporter plus de passagers, plus rapidement et plus souvent.
Mais le service plus rapide menace également de détourner l’argent du service plus vaste de VIA Rail, qui tire la grande majorité de ses revenus du corridor central du Canada.
En plus du financement gouvernemental, VIA dépend du tronçon ferroviaire qui relie la ville de Québec à Windsor, en Ontario, pour soutenir ses opérations à travers le pays. L’année dernière, 96% de ses usagers et plus de 80% de ses revenus provenaient de ce corridor.
Le flux de ces revenus est désormais dans l’incertitude, les deux services — l’actuel et le TGF — devant fonctionner dans le cadre d’un partenariat public-privé (PPP).
VIA Rail, qui est une société d’État plutôt qu’un PPP, tirait 64% de ses revenus bruts du financement gouvernemental, le reste provenant en grande partie des revenus des passagers.
L’idée derrière un PPP est que l’efficacité et le dynamisme injectés par les acteurs du secteur privé se traduiraient par une entreprise plus fluide, plus autonome et moins dépendante des coffres fédéraux.
Mais l’argent dépensé par les entreprises privées doit également être récupéré, l’objectif principal étant de dégager des bénéfices sains.
«Qu’arrive-t-il aux revenus des services de corridor de VIA Rail? Bien, ils vont tous au partenaire privé. Et nous ne savons pas comment cela va se jouer quant à savoir s’il restera quelque chose à redonner au gouvernement au bout du compte», expose le président du groupe de défense des passagers Transport Action Canada, Terry Johnson.
«Nous sommes en fait très inquiets de ce scénario», ajoute-t-il.
Des discussions à venir
Le président et chef de la direction de VIA Rail, Mario Péloquin, affirme que la société d’État prévoit discuter de son modèle d’affaires avec le gouvernement fédéral dans plusieurs années, mais que ce service sera maintenu en Ontario et au Québec — dans le cadre du PPP — ainsi que sur les trajets longs de VIA.
«Avant 2030, beaucoup de ces aspects deviendront plus clairs, plus concrets, a-t-il affirmé en entrevue. Nous aurons ces conversations avec le gouvernement du Canada au sujet du modèle de financement et de production de recettes.»
La semaine dernière, VIA a annoncé une perte d’exploitation qui a augmenté de 8% pour atteindre 381,8 millions $ en 2023, alors même que l’achalandage continue de croître, avec un record de plus de cinq millions de clients attendus cette année.
M. Péloquin mise sur davantage de passagers d’affaires et moins de navetteurs sur les courtes distances pour augmenter ses revenus dans le cadre d’une stratégie quinquennale visant à réduire les coûts d’exploitation et à remplacer la flotte pour les longs parcours de l’organisation, vieille de 75 ans.
Benoit Bourdeau, porte-parole de VIA TGF, qui est actuellement une filiale indépendante de la société d’État, a affirmé que le nouveau projet est développé pour compléter les services ferroviaires de passagers existants et que les détails de la transition seront précisés dans les années à venir.
Un intérêt à l’échelle du pays
Les inquiétudes concernant les passagers et les bénéfices sont nées en mars 2022 avec la demande d’expression d’intérêt d’Ottawa pour la conception et la construction du TGF. Ayant reçu peu de commentaires à l’époque, le document sollicitait les commentaires des consortiums d’ingénierie sur le financement, l’exploitation et l’entretien du projet TGF.
Cette spécification relative au financement et à l’exploitation du chemin de fer allait au-delà de la portée initiale de la simple conception et planification définie par le gouvernement en 2021.
Le TGF et les services existants, plus lents, fonctionneraient également sous un même toit, avait indiqué le ministre des Transports de l’époque, Omar Alghabra, dans la demande: «les opérations des nouveaux services TGF et des services locaux seront traitées comme un système intégré sur l’ensemble du corridor».
Martin Imbleau, qui dirige le projet de VIA TGF, prévoit que le corridor accueillera 17 millions de voyageurs par an d’ici le milieu du siècle, soit un chiffre bien supérieur aux 4,1 millions de l’année dernière.
Malgré son emplacement dans les deux provinces les plus peuplées, M. Johnson estime que tout le pays a un intérêt à l’égard de la ligne à grande fréquence, si ses revenus sont répartis sur le reste du réseau ferroviaire, de Halifax à Prince Rupert, en Colombie-Britannique.
«L’espoir initial avec le TGF […] était que le corridor commencerait à générer un surplus et que vous puissiez créer cette boucle de rétroaction positive où une partie de ce surplus serait réinvestie dans l’amélioration du service pour le reste du Canada», évoque-t-il.
«Que se passe-t-il si vous enlevez ça?», demande M. Johnson.
D’autres sont plus enthousiastes. Pierre Barrieau, qui enseigne dans les domaines du transport et de l’urbanisme à l’Université de Montréal, soutient pleinement la décision de séparer le corridor Toronto-Québec du reste des activités de VIA.
«Il est plus facile de justifier une subvention pour desservir des communautés qui n’ont pas de routes, soutient-il à propos des régions éloignées desservies par VIA. Cela ne met pas en péril ces services, car, au contraire, ces communautés ne pourraient pas vivre sans le service de VIA Rail.»
Le projet de train léger de la ligne de la Confédération à Ottawa et celui de la ligne Eglinton Crosstown à Toronto ont mis en évidence les risques financiers encourus par l’industrie et ébranlé la confiance du public dans la capacité du modèle de PPP à réaliser les projets dans les délais et les budgets impartis.
Christopher Reynolds, La Presse Canadienne
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