S'il est vrai que le Québec continue de traîner la patte en matière d'entrepreneuriat par rapport au reste du pays, les choses tendent à changer sérieusement. Grâce surtout à la nouvelle génération.
Mieux préparés, confiants dans leurs moyens et désireux comme nul autre auparavant d'embrasser la carrière d'entrepreneur, les 18-34 ans laissent espérer une transformation profonde du tissu entrepreneurial québécois.
C'est là l'un des principaux constats tirés de la plus récente étude sur le sujet, l'Indice entrepreneurial québécois 2014, produit par la Fondation de l'entrepreneurship, en collaboration avec HEC Montréal et présenté par la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ). Nous en dévoilons ici les conclusions, qui seront présentées le 3 mai au congrès du Regroupement des jeunes chambres de commerce du Québec.
L'Indice 2014 démontre que, peu importe où ils se situent dans la chaîne entrepreneuriale, les jeunes adultes du Québec considèrent l'entrepreneuriat comme le choix de carrière numéro un. Chez les 18 à 34 ans, quatre personnes sur dix (39,9 %) considèrent le fait de travailler à son compte ou d'être propriétaire d'une entreprise comme étant un choix de carrière désirable. À titre de comparaison, les 35 ans ou plus idéalisent davantage le travail de salarié dans l'administration publique (31,5 %) que la voie entrepreneuriale (28,8 %).
«On observe un changement important dans la perception de la carrière d'entrepreneur chez les jeunes Québécois, dit Rina Marchand, directrice principale, contenus et innovation, de la Fondation de l'entrepreneurship. On fait face à un changement de culture profond, où l'entrepreneur profiterait d'une plus grande valorisation sociale.»
Progression fulgurante
Le dynamisme entrepreneurial du Québec s'exprime de différentes façons, dont l'intention de créer une entreprise ou de prendre la relève d'une société déjà existante. Pas moins de 19,1 % de la population du Québec formulerait un tel projet - par rapport à 27 % dans le reste du pays - comparativement à 14,8 % l'an dernier. Il s'agit d'une progression de 29 % en 12 mois.
Cette remontée s'explique en grande partie par les intentions d'entreprendre des jeunes Québécois. L'étude montre en effet que le tiers des 18-34 ans (33,6 %) affirment vouloir créer ou prendre la relève d'une entreprise un jour. Une progression fulgurante de 34,4 % par rapport aux intentions exprimées en 2013, à 25 %.
Autre indicateur encourageant : au cours des 12 derniers mois, 9,1 % des adultes du Québec - 12 % chez les 18-34 ans - affirment avoir entrepris des démarches concrètes pour mettre sur pied une entreprise ou en reprendre une. Il s'agit d'un bond important par rapport aux 6,3 % mesurés l'an dernier, mais qui n'aura pas suffit à atténuer l'écart avec le reste du Canada, où 13,9 % des répondants disent avoir atteint cette étape en 2014 (9 % en 2013).
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Reprise d'entreprise
Les jeunes Québécois se démarquent des autres Canadiens par leur plus forte propension à envisager la reprise d'une entreprise existante plutôt qu'à en fonder une.
S'ils démontrent un intérêt similaire (8,8 %, comparativement à 9 %) pour la possibilité d'acheter une entreprise dans laquelle ils ne travaillent pas, l'étude démontre que deux fois plus de jeunes Québécois (9,3 %, comparativement à 4,6 % dans le reste du Canada) souhaiteraient prendre la relève de l'entreprise dans laquelle ils travaillent.
Pourquoi ? Les chercheurs ne peuvent répondre avec certitude. Mais ils écartent d'emblée la possibilité que les Québécois démontrent ainsi un manque d'ambition par rapport à leurs vis-à-vis du reste du Canada, plus portés que ces derniers à vouloir créer de toutes pièces leur propre entreprise (72,9 %, comparativement à 68,3 %).
Sur le point de reprendre la propriété de Novicom, une entreprise de Lévis créée en 1980 par son père, Karine Laflamme, 39 ans, estime que l'importance des liens familiaux au Québec - «qui s'apparentent à ceux des familles italiennes», dit-elle - pourrait expliquer cette ouverture plus grande dans la province à la reprise d'entreprise familiale.
On remarque aussi, comme l'an dernier, que les Québécois (tous âges confondus) sont moins pressés que le reste des Canadiens à passer du stade d'intention à celui de démarrage. Le tiers (33,1 %) des jeunes d'ici envisagent de démarrer une entreprise dans les trois prochaines années, alors qu'ils sont 56,4 % dans le reste du Canada.
Manque de financement
Au Québec, le manque de financement continuerait de constituer le principal obstacle aux démarches de création d'entreprises pour un jeune sur deux, et pour neuf jeunes sur dix dans le cadre d'un rachat d'entreprise.
«Il manque d'aide financière en général, et à l'étape du prédémarrage en particulier», soutient Kathy Béliveau, 33 ans, l'une des trois associées fondatrices de Rezo l'agence sociale, entreprise de Shawinigan qui assure la présence d'entreprises sur les réseaux sociaux. «Mais c'est encore pire pour les releveurs, dit-elle. Plus encore que lorsqu'on bâtit une entreprise de zéro, pour reprendre une entreprise, racheter ses actifs et la clientèle de décennies de service, ça prend des moyens hallucinants.»
Cela dit, les jeunes ne considèrent pas l'aide du gouvernement ou des institutions financières comme un facteur déclencheur pour se lancer en affaires. Mais une fois les démarches entreprises, le besoin de ressources se ferait sentir souvent amèrement, remarquent les chercheurs.
Dans la plupart des cas, les investissements prévus pour le lancement en affaires sont relativement modestes. On parle de moins de 20 000 $ pour 42 % des jeunes du Québec, ainsi que pour la majorité (58,4 %) des 35 ans ou plus. (Un jeune Québécois sur trois prévoit investir de 20 000 à 49 999 $, et un sur cinq, moins de 5 000 $.)
Malgré tout, le pdg de la Fondation de l'entrepreneurship, Alain Aubut, considère qu'outre quelques ajustements nécessaires concernant l'allocation de certains programmes, l'argent ne constitue pas un véritable problème. «L'accompagnement est plus important que l'argent pour éviter les pièges ou réduire les risques d'expériences malheureuses. Je connais des gens qui se sont cassé les dents avec des dizaines de millions de dollars et d'autres, qui ont su bâtir une grande entreprise avec un capital initial d'une dizaine de milliers de dollars.»
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Attention, danger
Les chercheurs semblent s'inquiéter davantage d'une autre réalité : celle du désintérêt quasi complet des jeunes entrepreneurs de 18-34 ans pour le secteur manufacturier (2 % des intentions) et l'agriculture (1,9 %). Au grand dam des auteurs de l'étude, près de la moitié des jeunes leur préfèrent des secteurs jugés traditionnels comme le commerce de détail, l'hébergement et la restauration, de même que les arts, les spectacles et les loisirs.
Une situation qui désole mais ne surprend guère Julien Dépelteau, 31 ans, devenu copropriétaire de Flexpipe, un manufacturier d'étagères de 17 employés à Farnham, en Montérégie. «Je les comprends. J'ai moi-même fait un baccalauréat en gestion hôtelière avant de lancer mon entreprise.»
«Au Québec, poursuit-il, les jeunes s'imaginent à tort que de travailler dans le manufacturier, c'est revenir les mains sales à la maison ou oeuvrer dans un secteur sans défi ni ni avenir [...] C'est absolument faux. On travaille à longueur de journée avec des ingénieurs, dans des industries aussi innovantes que l'aérospatiale, et avec des entreprises à la recherche continuelle de l'amélioration de leurs façons de faire. Ça ne pourrait pas être plus intéressant, et pourtant nous oeuvrons dans le manufacturier !»
Si ce désintérêt à l'égard d'un pan aussi important de l'économie du Québec devait se poursuivre, les chercheurs préviennent que plusieurs PME fermeront au lieu d'être revendues et de poursuivre leur développement. Ce ne serait pas sans «conséquences graves» pour l'emploi et pour le «développement et la compétitivité économiques du Québec».
«Il faut probablement faire plus de sensibilisation, dit Rina Marchand, de la Fondation de l'entrepreneurship, rappelant qu'il y a moyen d'être innovant dans tous les secteurs - pas seulement dans les TI -, y compris dans l'agriculture et l'industrie manufacturière.»
Ouvert sur l'international
Les responsables de l'étude se réjouissent aussi du fait que les deux tiers des aspirants entrepreneurs souhaitent se lancer en affaires dans leur région d'origine, ce que Gabriel Chirita, chercheur-coordonnateur de l'Observatoire de l'Institut d'entrepreneuriat Banque Nationale - HEC Montréal, perçoit comme un signe encourageant. «Ça démontre que les jeunes voient des possibilités dans leur région, qu'ils y voient des occasions de développement. S'ils n'y croyaient plus, ils chercheraient à créer leur entreprise ailleurs, ce qui n'est pas le cas.»
Une fois propriétaires, ils paraissent aussi plus nombreux que les 35 ans ou plus à vouloir croître dans les trois prochaines années (63,8 %, comparativement à 42,5 %). Il en est de même quant à la volonté de faire des affaires à l'extérieur de leur région administrative d'origine (53,3 et 45 %) ainsi qu'à l'international (20,3 et 16,2 %). Ils sont plus naturellement disposés à envisager une croissance internationale.
Glutenberg, par exemple, jeune brasserie de bière sans gluten, a pensé à l'exportation dès la conceptualisation du projet. «Même le nom de l'entreprise a été pensé en fonction de cet élément de notre plan d'affaires», explique son cofondateur, Julien Niquet, 31 ans. Après deux ans, l'entreprise de Montréal enregistre des ventes de 3 millions de dollars au Canada, aux États-Unis et en Italie. Elle estime pouvoir les quadrupler d'ici trois ans.
Afin de percer sur l'échiquier mondial, les jeunes propriétaires québécois sont de loin plus nombreux (40 %, comparativement à 8,3 % dans le reste du Canada) à requérir à des réseaux de relations. «Ils ont confiance, mais savent qu'ils ont besoin de contacts, qu'ils y arriveront plus difficilement seuls ; ce qui prouve leur niveau élevé de maturité», se réjouit encore Gabriel Chirita.
Il y a une avidité de connaissances dont il faut continuer de profiter, résume Mme Marchand : «Les résultats sont là. Reste maintenant à continuer d'améliorer nos pratiques afin de continuer de bien performer. La fusée décolle, ce n'est pas le moment de couper les gaz !»
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Portrait-robot du jeune entrepreneur québécois
Répondants du Québec, de 18 à 34 ans
IL EST ANIMÉ PAR
LA POSSIBILITÉ DE RÉALISER SES RÊVES ET AMBITIONS - 21,5 %
LE DÉSIR D'ACCOMPLISSEMENT PERSONNEL (CRÉATION D'EMPLOIS, CONTRIBUTION SOCIALE, ETC.) - 16,3 %
LA FLEXIBILITÉ DANS LE TRAVAIL (HORAIRE, TRAVAIL À DOMICILE, ETC.) - 14,5 %
IL DISPOSE DE FAIBLES REVENUS
75 % DES RÉPONDANTS ONT UN REVENU INDIVIDUEL DE 40 000 $ ET MOINS
11,5 % ESTIMENT AVOIR UNE SITUATION FINANCIÈRE PERSONNELLE LEUR PERMETTANT DE SE LANCER EN AFFAIRES
IL SOUHAITE ENTREPRENDRE AVEC DES ASSOCIÉS
37,8 % DES RÉPONDANTS ONT UN PROJET À PLUS D'UN ACTIONNAIRE (31,1 % CHEZ LES 35 ANS OU PLUS)
IL VISE LES PROFITS
40,1 % DES RÉPONDANTS VISENT UNE ENTREPRISE À BUT LUCRATIF À ACTIONNAIRE UNIQUE
37,8 % À BUT LUCRATIF AVEC DEUX ASSOCIÉS ET PLUS
4,7 % DE TYPE COOPÉRATIF
2,7 % SANS BUT LUCRATIF (ÉCONOMIE SOCIALE)
1,6 % DE TYPE COOPÉRATIVE oeUVRANT DANS L'ÉCONOMIE SOCIALE
IL SUIT L'EXEMPLE DE SON ENTOURAGE
59 % CONNAISSENT AU MOINS UN ENTREPRENEUR
IL COMPTE ENTREPRENDRE DANS LA RÉGION OÙ IL RÉSIDE
65,2 % DES RÉPONDANTS
IL SE RELANCE DANS L'AVENTURE MÊME APRÈS L'ÉCHEC D'UNE PREMIÈRE ENTREPRISE
22,7 % DES RÉPONDANTS EN ONT DÉMONTRÉ L'INTENTION
44,3 % ONT ENTREPRISE DES DÉMARCHES
18,8 % SONT DEVENUS PROPRIÉTAIRES D'UNE ENTREPRISE
DIFFÉRENTS FACTEURS DÉCLENCHENT SES DÉMARCHES ENTREPRENEURIALES
DÉCOUVERTE D'UNE OCCASION - 28,7 %
AUGMENTATION DU NIVEAU DE COMPÉTENCES INDIVIDUELLES - 25,5 %
DÉCOUVERTE D'UN PARTENAIRE - 20,6 %
IL DÉPEND DU FINANCEMENT EXTERNE POUR LE DÉMARRAGE
41,6 % DES RÉPONDANTS DE 18-34 ANS AU QUÉBEC ENVISAGENT UN PRÊT BANCAIRE COMME SOURCE DE FINANCEMENT PRINCIPALE
25,8 % DES RÉPONDANTS DE 18-34 ANS AU QUÉBEC ENVISAGENT DE RECOURIR AUX PROGRAMMES GOUVERNEMENTAUX COMME SOURCE DE FINANCEMENT PRINCIPALE
IL CONVOITE UN SECTEUR D'ACTIVITÉ LIÉ À SES PASSIONS PERSONNELLES
37,5 % DES RÉPONDANTS DE 18 À 34 ANS AU QUÉBEC
46 % DES RÉPONDANTS DE 18 À 34 ANS DANS LE RESTE DU CANADA
IL EST ANIMÉ PAR LA VOLONTÉ DE FAIRE CROÎTRE SON ENTREPRISE
63,5 % DES RÉPONDANTS DE 18 À 34 ANS AU QUÉBEC ONT L'INTENTION D'ACCROÎTRE LE CHIFFRE D'AFFAIRES
IL A DES ACTIVITÉS À L'INTERNATIONAL
20,3 % DES 18-34 ANS, AU QUÉBEC
16,2 % DES 35 ANS OU PLUS, AU QUÉBEC
26,3 % DES 18-34 ANS, DANS LE RESTE DU CANADA
Source : Fondation de l'entrepreneurship, Indice entrepreneurial québécois 2014
Méthodologie
Les données de l'Indice entrepreneurial québécois 2014 reposent sur les résultats d'un sondage en ligne réalisé du 6 et au 24 janvier, auprès de 2 609 Canadiens adultes pouvant s'exprimer en français ou en anglais. Les répondants sont issus du panel d'internautes de Léger Marketing, société mandatée par la Fondation de l'entrepreneurship pour ce sondage. La durée moyenne du questionnaire était d'environ 13 minutes. La marge d'erreur effective s'établit à plus ou moins 1,92 %, 19 fois sur 20.
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