«On n'est pas capable de réduire nos dépenses.» Difficile à croire, mais Raphaël Hainault, planificateur financier de la Financière des professionnels, a entendu plus d'une fois cette phrase dans la bouche de ses clients médecins et dentistes.
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Le conseiller en gestion de patrimoine n'a d'autres choix que de ramener ses clients sur terre. «Sur le coup, ils ne voient pas comment ils feront pour réduire leur train de vie, raconte-t-il. Avec un salaire de 400 000 $, ils peuvent compter sur près de 200 000 $ dans leurs poches après l'impôt. Il faut leur rappeler qu'il n'y a même pas 1 % des gens qui gagnent cet argent. En faisant leur budget, je trouve même parfois des postes de dépenses discrétionnaires équivalant au salaire moyen des Québécois.»
Une situation plus qu'enviable ne met pas nécessairement à l'abri des mauvaises décisions financières. En additionnant maison trop dispendieuse, chalet luxueux, belles voitures et voyage exotique, la marge de manoeuvre financière de certains nantis finit par fondre comme neige au soleil.
À l'instar du commun des mortels, les riches peuvent accumuler de «petites erreurs» qui finissent par avoir des conséquences plus graves avec le temps. «Nous avons tendance à accorder plus de poids aux bénéfices et aux coûts à court terme qu'aux conséquences à long terme de nos décisions», explique Sabine Kröger, professeure au département d'économique de l'Université Laval.
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Autrement dit, les plaisirs immédiats payés à crédit sont plus vifs à notre esprit que les coûts plus élevés que nous devrons payer dans le futur.
Dans le même ordre d'idée, nous ne sommes pas toujours logiques en ce qui concerne nos réflexes financiers.
La spécialiste de l'économie comportementale cite une étude éloquente à ce sujet. Des chercheurs ont donné à des étudiants le choix entre recevoir «100 $ dans 30 jours et 110 $ dans 31 jours». Logiquement, les participants ont choisi de patienter une journée de plus. Dans un autre échantillon, l'offre était plutôt «entre 100 $ aujourd'hui et 110 $ demain». Dans ce second cas, la préférence est allée pour les 100 $ aujourd'hui, malgré un rendement de 10 % en seulement un jour.
Le prestige associé au statut de médecin, d'avocat ou d'entrepreneur est également un incitatif à dépenser. «Le regard des autres exerce une pression, explique Serge Morin, conseiller en sécurité financière, de la Financière Banque Nationale à Sept-Îles. Quand ils vont manger avec leur famille, ils se sentent "cheap" de ne pas payer pour tout le monde. Quand ils songent à faire une dépense, leur entourage leur dit : "tu peux te le payer, tu es riche".»
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Un problème d'épargne
Cela dit, les banques alimentaires ne sont pas sur le point de se multiplier dans les quartiers cossus. Les conseillers interrogés par Les Affaires voient très rarement des nantis sur le bord du précipice, même quand ceux-ci gèrent très mal leurs finances personnelles. Les riches parviennent sans grand-peine à équilibrer leur budget. Le problème vient plutôt d'une épargne insuffisante pour se permettre de maintenir un train de vie «étiré au maximum» une fois à la retraite. «Ce n'est pas la majorité, mais je dirais qu'on en voit beaucoup», commente Raphaël Hainault.
Les gros chiffres font parfois perdre la notion des proportions aux clients fortunés, constate Serge Morin. Il se souvient d'une amie médecin qui avait été «déstabilisée» lorsqu'il lui avait dit que maximiser sa cotisation REER n'était pas suffisant pour lui assurer un revenu décent. «Les nantis croient qu'épargner 20 000 $ par année, c'est beaucoup, dit-il. On doit leur dire que cela leur permettra de vivre avec 70 000 $ par année à la retraite alors qu'ils en dépensent 380 000 $.»
Les politiques budgétaires des gouvernements n'aident pas non plus. La cotisation admissible à un REER équivaut à 18 % du salaire. En théorie, ce ratio est suffisant pour s'offrir une retraite décente si on commence à épargner tôt. Le hic, c'est qu'en 2015 ce taux de 18 % s'arrête après la première tranche de 138 500 $ de revenus gagnés. Pour ceux qui font un salaire plus élevé, maximiser sa cotisation REER représente, au bout du compte, un taux d'épargne inférieur à 18 %.
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De petites astuces fiscales
Il existe tout de même certains outils particuliers pour les nantis. Par exemple, Raphaël Hainault a aidé certains de ses clients médecins à s'incorporer. «En laissant des revenus dans la compagnie, le client reporte une partie de l'impôt personnel, explique-t-il. Celui-ci n'est imposé qu'à 19 % [impôt des petites entreprises]. Les sommes qui ne sont pas imposées peuvent donc continuer de fructifier. Ça crée un effet boule de neige qui permet au patrimoine de croître plus rapidement.» Un entrepreneur peut essentiellement faire la même chose que les médecins incorporés en laissant son argent dans son entreprise ou dans une société de gestion.
Outre la fiscalité, cette stratégie a également un effet psychologique, ajoute M. Hainault.
«Au-delà des chiffres, mes clients incorporés épargnent davantage, remarque-t-il. L'impôt à payer au moment de retirer l'argent de la société les incite à revoir leurs besoins, dit le conseiller. S'il veut se payer une voiture de 50 000 $, un client se rend compte qu'il devra se verser un dividende de 80 000 $. Il va peut-être choisir d'acheter un modèle plus abordable.»
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Des solutions
Heureusement pour les nantis, la misère des riches est bien douce lorsqu'elle est mise en perspective. «Dans leur cas, c'est généralement plus simple de redresser leurs finances, car leurs revenus sont plus élevés, répond Fabien Major, fondateur et associé principal de Major Gestion Privée. C'est plus facile de renoncer à un condo en Floride ou à un voyage que de gratter dans le budget d'une famille de la classe moyenne.»
Les riches ont aussi plus d'outils à leur disposition pour réduire leur dette. Les banques cherchent la clientèle des nantis. Elles seront plus enclines à leur permettre de consolider leur dette, ajoute M. Major.
Ne cherchez cependant pas de solutions miracles, prévient François Morin, vice-président régional de Gestion de patrimoine TD. Médecin ou travailleur social, on revient à la bonne vieille base de la finance personnelle. «Il n'y a rien de magique, ajoute-t-il. C'est une question d'épargne, de temps et de rendement.»
Serge Morin, pour sa part, met en garde les lecteurs qui nourriraient de trop grands espoirs à la Bourse. Selon les normes de planification de projection de l'Institut de la planification financière, le détenteur d'un portefeuille équilibré peut espérer obtenir un rendement annuel de 5,2 % à long terme. Enlevez l'effet de l'inflation et vous obtenez un rendement réel de 3,4 %.
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