BLOGUE. Oh! Oh! Je devine d’ici des étincelles jaillir de vos yeux et des couteaux prêts à se planter dans mon dos… Aurais-je posé une question qui fâche? Fait vibrer une corde sensible? Abordé un sujet – encore aujourd’hui – tabou?
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Si tel est le cas, alors… je m’en réjouis! Oui, ça me fait plaisir d’attaquer de front une préoccupation d’un grand nombre d’entre nous, d’autant plus que j’apporte des éléments intéressants, tirés d’une étude justement intitulée Who is happier : The housewife or working wife? Celle-ci est signée par Edsel Beja Jr., professeur d’économie de l’Ateneo de Manila, à Quezon (Philippines), laquelle est considérée comme l’une des meilleures universités d’Asie. Elle présente quelques surprises…
Ainsi, le nœud du problème concerne ce qu’on appelle dans nombre d’études le «bien-être subjectif» (BES), c’est-à-dire l’impression que nous avons d’être plus ou moins heureux. Le mot important ici est «impression». Par exemple, une femme qui vit dans une misère économique noire peut avoir l’impression d’être heureuse dans la vie (on peut imaginer qu’elle aime un homme formidable et qu’elle a des enfants qui la ravissent, si bien que ses difficultés financières passent au second plan à ses yeux), alors qu’une autre fortunée peut avoir la sensation de vivre un cauchemar quotidien (certes, elle peut s’offrir tout ce qu’elle veut comme robes et autres manteaux de fourrure, mais son mari est toujours absent et ses enfants la détestent). Du coup, la première aura un BES nettement plus élevé que la seconde.
Des études ont montré que le statut matrimonial a une incidence sur le BES d’une personne. Plus précisément, Lucas et Clark (2006) tout comme Stutzer et Frey (2006), ont mis en évidence le fait que l’impact est positif durant la première année qui suit le jour du mariage, mais par la suite, il ne cesse de diminuer petit à petit…
Idem, des chercheurs ont voulu savoir si la présence d’enfants dans la vie d’une personne avait un impact, ou non, sur le BES d’une personne. Résultat? Veenhoven (1994) a trouvé que ça n’avait guère d’impact, ni en mieux ni en moins bien. Disons plutôt qu’il y a du pour (les bons gros câlins, etc.) et du contre (les spectaculaires crises de colère, etc.).
Autre cas de figure : l’emploi. Une étude de Clark (1997) met au jour le fait que les femmes qui ont un emploi affichent un BES au travail plus élevé que les hommes qui ont un emploi. Ça signifie que les femmes, en général, tirent une plus grande satisfaction de leur travail que les hommes. Intéressant à savoir, vous ne trouvez pas?
Je pourrais multiplier les exemples, mais cela ne servirait pas à grand-chose : je pense que vous avez maintenant saisi ce qu’est le BES et ce qui peut avoir un impact sur celui-ci. Revenons à l’étude qui nous intéresse, celle de M. Beja. Le chercheur philippin a creusé le sujet et trouvé la trace d’études des années 1970 qui comparaient la satisfaction dans la vie des femmes qui vivaient au foyer et celles qui avaient un emploi. De fait, il s’agissait d’un sujet d’importance à l’époque, car l’on assistait dans les pays occidentaux à une ruée des femmes vers le marché du travail, une ruée sans précédent, une ruée telle qu’on parlait alors de «révolution»…
Que disaient toutes ces études. Grosso modo, que les femmes étaient tout aussi heureuses d’être au bureau qu’au foyer. Et bien entendu, M. Beja s’est demandé si cela était toujours vrai de nos jours…
Pour le savoir, il a scruté à la loupe les données de la World Values Survey, qui demande aux gens du monde entier ce qu’ils pensent de leur vie. Il s’est intéressé à trois questions spécifiques, auxquels on répond par une note :
> Finance personnelle. «Dans quelle mesure êtes-vous satisfait de vos revenus?» (1 = complètement insatisfait ; 10 = complètement satisfait);
> Capabilité. «Certains pensent qu’ils sont totalement libres de leurs choix et ont le plein contrôle de leur vie, d’autres l’inverse. Et vous?» (1 = aucun choix ; 10 = très grand nombre de choix);
> Accomplissement. «Être une femme au foyer permet de s’accomplir autant qu’au travail» (1 = entièrement d’accord ; 4 = totalement en désaccord).
M. Beja a retenu 20 588 observations issues de 57 pays. Et il a affiné les résultats selon différents critères. Par exemple, il a regardé si les réponses variaient du simple fait que les femmes étaient au foyer, employées à temps plein, employées à temps partiel, ou encore travailleuses autonomes.
Quelle est sa conclusion, à votre avis? Hein? Eh bien, elle est très simple : rien n’a changé depuis les années 1970. Les femmes sont tout aussi heureuses d’être au foyer qu’au travail.
Bien entendu, le chercheur a tenu compte du fait que quantité de femmes n’ont pas vraiment le choix, de nos jours, de travailler, car il leur faut subvenir à leurs besoins et à ceux de leur famille. Et aussi du fait que ce travail «économiquement contraint» ne pousse pas au bonheur (elles acceptent alors ce qui paye bien, quitte à ce que la tâche demandée ne leur plaise pas franchement). Il n’empêche que celles qui ont vraiment choisi d’aller sur le marché du travail ne sont pas plus heureuses que celles qui ont préféré rester au foyer.
Cela étant, M. Beja a voulu en savoir un peu plus sur sa trouvaille. Il a ainsi découvert deux nuances intéressantes :
> Avantage au chez soi. Différents éléments constituent le BES d’une personne, et certains ont naturellement plus d’importance que d’autres. Or, en Amérique du Nord ou en Europe de l’Ouest, le fait d’être chez soi a une plus grande importance dans la composition du BES d’une femme au foyer que le fait d’être au bureau pour une femme qui a un emploi.
> Avantage au temps plein. Des femmes qui ont un emploi en Amérique du Nord ou en Europe de l’Ouest, les plus heureuses sont celles qui travaillent à temps plein.
Bref, la plupart des femmes sont aussi heureuses au foyer qu’au bureau, mais retirent plus de satisfaction à travailler chez elles qu’à l’extérieur. Ce qui explique, peut-être, l’engouement croissant pour le télétravail…
En passant, le poète français Arthur Rimbaud a dit dans Une saison en enfer : «La vie fleurit par le travail»…
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