BLOGUE. Croyez-vous que vous traitez tout le monde sur un même pied d'égalité? Que vous êtes aussi bon avec un Noir ou un Blanc? Avec une femme ou un homme? Avec un vieux et un jeune? Ou encore avec un grand et un petit? Si je vous posais directement la question, vous me diriez sûrement, si vous êtes un gars : «Bien sûr que oui. Certes, je serais peut-être un peu plus souriant, bien malgré moi, envers une femme sublimement belle, mais ce n'est pas pour autant que je vais lui être plus favorable, si l'on parle, par exemple, de négociation de salaire». Pas vrai?
Découvrez mes précédents posts
Suivez-moi sur Facebook et sur Twitter
Eh bien, vous savez quoi? Vous vous trompez lourdement. Car oui, vous lui serez plus favorable lors d'une discussion salariale. Et ce, même si vous êtes farouchement convaincu du contraire.
Pourquoi? Parce que c'est ce que montre une étude intitulée Tall or taller, pretty or prettier: Is discrimination absolute or relative? et signée par Daniel Hamermesh, professeur d'économie à l'Université du Texas (États-Unis) et auteur du livre Beauty Pays (PUP, 2011). Celle-ci indique en effet que nous sommes tout simplement incapables d'être insensibles à la beauté, et en particulier aux personnes que nous trouvons exceptionnellement belles.
M. Hamermesh s'intéresse à l'impact économique de la beauté depuis une vingtaine d'années et en a tiré la conclusion que, de manière générale, la laideur avait un impact négatif pour la personne concernée (moins bons postes, moins bons salaires, etc.), et inversement [cf. mon post Votre apparence influence-t-elle votre salaire?]. Rien de surprenant, me direz-vous. Certes, mais encore fallait-il le prouver, et c'est ce que ses travaux de recherche ont permis de faire.
Récemment, le chercheur texan s'est penché sur le fait que la beauté est un concept relatif : vous pouvez trouver quelqu'un de beau, et moi pas ; vous pouvez aussi estimer qu'une personne est renversante, et moi, juste belle. Il en est ainsi venu à se poser différentes questions, comme : «L'écart de salaires entre une personne très belle et les autres employés du même service serait-il amené à diminuer si, tout d'un coup, l'ensemble des autres embellissaient?».
Pour le savoir, il s'est plongé dans différentes études qu'il connaissait bien, lesquelles montraient que la beauté est un avantage et la laideur un désavantage sur le plan salarial. Et il en a trituré économétriquement les données pour voir si leurs résultats tiendraient toujours le coup si, par exemple, on considérait que la personne la plus belle du groupe étudié devenait encore plus belle, ou bien nettement moins belle qu'elle ne l'était jusqu'alors, mais en demeurant tout de même la plus belle.
Prenons un exemple… M. Hamermesh a retenu l'étude Beauty and the sources of discrimination de Belot, Bhaskar et Van den Ven (2012), qui mettait au jour le fait que, dans un jeu télévision néerlandais de questions/réponses où les cinq joueurs étaient amenés à s'éliminer les uns les autres, les plus moches étaient en général les premiers à être virés (le vainqueur d'une ronde de questions/réponses était libre d'éliminer le joueur qu'il souhaitait, avant la ronde suivante). Là, le chercheur texan a repris les calculs de l'étude, mais en en changeant certains paramètres. Son idée consistait grosso modo à ne plus regarder le classement des cinq joueurs par ordre de beauté, mais plutôt l'écart de beauté entre le dernier et les autres.
Sa trouvaille? Ce qui était vraiment dommageable pour le premier éliminé, c'était bel et bien l'écart de beauté entre lui et les autres. De fait, il suffisait que l'écart de beauté entre le moins beau et les autres soit faible pour que le facteur discriminant ne soit plus déterminant. Et si, au contraire, cet écart était agrandi, alors là, on pouvait dire d'avance que ce n'était même pas la peine pour lui de participer.
Prenons maintenant un autre exemple, qui ne traite pas directement de la beauté, mais de la taille… En ce début de 21e siècle, les hommes les plus grands du monde sont les Néerlandais (au début du 20e siècle, c'était les Américains). M. Hamermesh, dont les études précédentes ont montré que les grands avaient en général de meilleurs salaires que les petits, a voulu savoir si ce bond en taille des Néerlandais avait eu un impact sur leurs revenus. Son hypothèse était que si, en une ou deux générations seulement, un peuple entier se mettait à devenir grand, l'avantage qu'avaient alors ceux qui étaient vraiment grands par rapport aux autres serait estompé, et avec lui la différence de salaires.
Ainsi, le chercheur texan a scruté à la loupe deux bases de données fouillées sur les Néerlandais, celle du Pols (Permanent Onderzoek Leefsituatie) et celle de la DNB (De Nederlandsche Bank). Il s'est concentré sur tous les hommes de plus de 1,50 m qui étaient âgés entre 25 et 59 ans, et ce, sur trois périodes, 1981-1982, 1995-1996 et 2006-2010. Et il a procédé à différents calculs visant à vérifier son hypothèse. Résultat? Le fait que la taille des hommes ait globalement bondi aux Pays-Bas en un bref laps de temps a entraîné «une nette atténuation» de l'impact de la taille sur le salaire.
Que retenir de tout cela? Trois points, à mon avis :
1. Être beau n'est un réel avantage que si l'on est véritablement plus beau que les autres. Autrement dit, si l'on est beau, mais que les autres autour de nous sont eux aussi pas mal, alors notre avantage n'en est plus vraiment un.
2. Si tous les membres d'un groupe se mettent à embellir, par exemple en se souciant davantage de leur tenue vestimentaire et de leur silhouette, le favoritisme lié à la beauté perd de son importance, notamment en matière d'attribution de responsabilités, de promotions professionnelles et autres hausses salariales.
3. Les personnes les moins belles ont tout intérêt à changer de look (vêtements, coiffure, etc.), en s'inspirant de ceux de la plupart des autres membres de l'équipe dans laquelle elles évoluent. Car en agissant de la sorte elles parviendront à «se fondre dans la masse», et donc à ne plus être discriminées.
Voilà… Nous voulons croire que la beauté est relative et ne compte pas tant que ça, et l'on se fourvoie. Même chose avec la laideur. En conclusion, mieux vaut être conscient de l'influence que l'une comme l'autre ont sur notre comportement envers les personnes que l'on trouve belles ou laides. Et se dire que rien ne vaut l'élégance…
En passant, Ovide a dit dans ses Conseils aux femmes : «C'est l'élégance simple qui nous charme».
Découvrez mes précédents posts