Pourquoi avez-vous initié votre projet entrepreneurial?
Anie Rouleau, elle, l’a fait pour travailler en accord avec ses valeurs, tout simplement. La fondatrice de Baléco n’a jamais pensé que mettre l’impact sociétal au cœur de son modèle d’affaires (elle commercialise des produits nettoyants écoresponsables, depuis l’approvisionnement jusqu’à l’emballage) l’aiderait à décrocher des contrats. Il faut dire qu’Anie est une pionnière de l’entrepreneuriat social québécois. Elle a démarré Baléco en 2011. À l’époque, on en savait bien peu sur cette façon de faire des affaires.
Et puis, il y a eu cet appel, «Nous cherchons un fournisseur de produits nettoyants certifié B-Corp.» La certification B-Corp, accordée par l’organisme B-Lab, reconnaît qu’une organisation vise un rendement triple: financier, social et environnemental.
On en convient de plus en plus, inclure l’impact social dans un modèle d’affaires - et non en marge de celui-ci à travers la philanthropie, par exemple - rapporte au-delà de l’image.
«La création de valeur sociale est un facteur de succès financier et un levier d’innovation», souligne Yann Pezzini, conseiller stratégique en impact social chez Credo.
Credo a créé une «Boîte à outils pour entrepreneurs d’impact». Il s’agit d’une guide pratique pour intégrer l’impact social au cœur de son modèle d’affaires. Vous pouvez le consulter ici.
"On voit le mot "entrepreneur d'impact" être utilisé dans de nombreux contextes, pour signifier différentes choses. Avec cette boîte à outils, on aimerait faire comprendre l'étendue de ce que implique une démarche d'impact social et les opportunités immenses de jouer un rôle plus grand d'acteur de changement social, au delà de ce qui est traditionnellement entendu par "impact"." Yann Pezzini, conseiller stratégique en impact social, Credo
Credo a aussi développé une formation de trois jours associée à ce guide. J’ai assisté à la première journée, qui portait sur l’identification de la raison d’être d’une entreprise et sa stratégie d’impact.
Ce qui suit est un résumé de ce que j'ai appris. Je crois que plusieurs d’entre vous y trouveront une source d’inspiration afin de donner, ou redonner, un sens et une pertinence à leur projet d’entreprise.
Voici ce que je vous propose. Avant de débuter les exercices pratiques, vsionnez quelques minutes de cette conférence de Daniela Papi Thronton, directrice du Skoll Center for Social Entrepreneurship. Son proppos est à la fois inspirant et très concret. Le message est le suivant, «Nous n'avons pas besoin de plus d'entreprises sociales. Nous avons besoin de plus d'impact social.» La vidéo dure 20 minutes, arrêtez-vous lorsque vous sentez suffisamment inspiré pour entamer la déconstruction/reconstruction de votre modèle d'entreprise. Vous pourrez compléter le visonnement à la fin, je remettrai le lien.
Première étape: identifier votre brèche d’impact (impact gap)
1-Quel enjeu sociétal votre organisation souhaite-t-elle résoudre? Pour quelle(s) population(s), dans quelle(s) région(s)?
2-Quelles sont les causes à la source de cet enjeu? Soyez vigilant, ne confondez pas les causes et les symptômes.
3-À quoi ressemblerait le succès si tous les acteurs de l’écosystème parvenaient à résoudre cet enjeu? La réponse à cette question vous aidera plus tard à implanter des mesures d’impacts.
4-Quelles solutions et initiatives sont déjà en place pour répondre à cet enjeu? Quels sont les modèles qui fonctionnent et qui ne fonctionnent pas?
5-Quelles sont les lacunes, barrières et opportunités pour atteindre la vision du succès définie au #3? Où pouvez-vous vous insérer dans cette brèche d’impact? Quelle valeur unique pouvez-vous apporter pour résoudre cet enjeu?
Deuxième étape: définir votre valeur ajoutée unique
Comment pouvez-vous vous insérer dans la brèche d’impact de manière particulièrement efficace?
Pour y arriver :
1-Dressez la liste de vos ressources-clé (employés, technologie, finance, organisation, réputation, etc.) et de vos compétences-clé (savoirs, expertise, approche, utilisation stratégique des ressources) qui vous permettent de proposer une valeur ajoutée unique à l’écosystème;
2-Trouvez le point de contact entre les besoins sociétaux liés au problème que vous souhaitez résoudre et les capacités distinctives de votre organisation.
Troisième étape élaborer votre énoncé de mission
Votre énoncé de mission repose sur votre nouvelle compréhension du besoin (établi à l’étape 1) et votre valeur ajoutée unique (établie à l’étape 2).
Que cherchez-vous à accomplir? Quel changement souhaitez-vous créer? Comment allez-vous vous y prendre? Quels leviers allez-vous actionner?
Votre énoncé de mission se compose donc :
1-d’une raison d’être (ce que vous cherchez à accomplir) ;
2-d’une stratégie unique pour y parvenir ;
3-d’un engagement sociétal. Attention!
Cet exercice est plus exigeant qu’il n’y paraît. Il ne s’agit pas d’une simple phrase accrocheuse. Votre énoncé de mission doit correspondre à votre raison d’être authentique, car il guidera vos activités et votre développement.
«Chaque matin, je suis confrontée à mes convictions», confie Anie Rouleau, de Baléco. Mettre l’impact sociétal au cœur de son modèle d’affaires n’est pas un exercice de relations publiques ni de marketing. C’est un engagement public envers soi-même et ses parties prenantes. Et, surtout, c’est une façon de faire des affaires au quotidien, pas lors d’un projet spécial ou le temps d’un partenariat.
Un conseil: centrez votre énoncé de mission sur l’enjeu sociétal que vous souhaitez résoudre, et non sur une solution précise. Cela vous incitera à mesurer l’avancement social plutôt que l’avancement de votre solution.
Quatrième étape: concevoir un modèle d’affaires d’impact
Ici, vous en êtes à imaginer, à partir de vos ressources et de vos compétences, un modèle d’affaires dont les activités créent de la valeur sociétale positive pour toutes les parties prenantes et pour l’environnement.
Il s’agit de cartographier toutes vos parties prenantes et d’identifier, pour chacune :
-Comment créer de la valeur à travers vos activités régulières;
-Les coûts (sociaux, financiers et environnementaux) associés à la création de valeur;
-Les bénéfices que vous offrez;
-Vos objectifs : quels systèmes et processus devriez-vous mettre en place pour atteindre vos objectifs?
Traditionnellement, une entreprise regarde comment organiser chaque activité pour créer de la valeur financière. Dans cet exercice, vous devez vous assurer que vos activités créent aussi de la valeur sociale et environnementale positive.Il ne faudrait pas oublier les impacts négatifs…
Il y a les externalités que vos activités créent peut-être déjà, et celles que vos nouvelles activités pourraient générer. Et ce, même si vos intentions sont nobles. Parfois, lorsqu’on a mal cerné le problème que l’on désire solutionner, il arrive qu’on bouscule l’écosystème sans améliorer la situation. Ou que l’on marche sur les pieds d’un joueur sans rien apporter de nouveau.
C’est à cette étape que vous identifiez les enjeux de responsabilité sociale (RSE) modérés, importants et stratégiques.
Les deux questions suivantes vous aideront à déterminer à quelle catégorie appartient chaque enjeu:
1-Quelle importance la partie prenante visée accorde-t-elle à cet enjeu?
2-Quelle est l’importance de cet enjeu pour la performance économique de l’entreprise?
Reste à établir des objectifs pour mitiger ces enjeux. Puis, des indicateurs, des cibles et des actions ainsi que des responsables et des échéances.
Prochaine étape: la gouvernance
Comment vous assurerez-vous de préserver la mission sociétale de l’entreprise sur le long terme?
Comment veiller à ce que les pressions concurrentielles n’entraînent pas un recul de la mission?
Ou que de nouveaux acheteurs balaient le modèle d’affaires à triple rendement pour le remplacer par un modèle purement économique?
Les réponses à ces questions dépendent du modèle de gouvernance que vous adoptez.
Voici quelques pistes de réflexion de la boîte à outils de Credo :
1- Intégrer les objectifs financiers, sociaux et environnementaux dans la revue formelle de performance et dans la reddition de comptes ;
2- Développer un mécanisme formel de prise en compte des intérêts de toutes les parties prenantes, pas uniquement les actionnaires, dans la prise de décision;
3- Assurer une diversité et une représentativité des parties prenantes au sein des organismes de gouvernance;
4- Communiquer publiquement, et avec transparence, les performances sociétales de l’entreprise et les zones d’amélioration.
Le mot de la fin
Des outils comme la boîte à outils de Credo, ou le canevas social et environnemental d’Atelier, rappellent que l’entreprise est un acteur social au même titre que l’individu. Elle l’a toujours été. Au temps de la révolution industrielle, des chevaliers d’industrie ont construit des bibliothèques, par exemple. Andrew Carnegie a employé ses fonds pour en construire 2500, des bibliothèques publiques aussi bien qu’universitaires.
À mesure que la propriété et la gestion des entreprises se sont découplées, avec la naissance de la bourse, le rôle sociétal de l’entreprise s’est réduit à celui de créateur d’emplois, mesuré en quantité, mais pas nécessairement en qualité.
Aujourd’hui, de plus en plus de femmes et d’hommes redéfinissent les mots valeur, succès et performance. Et les entrepreneurs les plus futés réalisent que les enjeux du millénaire sont des occasions d’affaires.
Revoici la vidéo du début, pour ceux qui n'ont pas complété le visionnement ou qui souhaitent la revoir.