La quatrième révolution de Couche-Tard

Offert par Les Affaires


Édition du 11 Novembre 2017

La quatrième révolution de Couche-Tard

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Édition du 11 Novembre 2017

«Notre offre continuera d’évoluer rapidement grâce aux nouvelles technologies», dit Alain Bouchard.

Le calme qui règne au nouveau siège social d'Alimentation Couche-Tard, à Laval, ne laisse pas soupçonner qu'il s'y prépare une révolution. Le fondateur, Alain Bouchard, a lancé plusieurs chantiers pour adapter son entreprise, fondée il y a 37 ans, au Big Bang qui se produit dans les univers de la consommation et du transport.

«Une grande transformation survient lorsqu'il y a un choc ou un changement fondamental chez le consommateur. Présentement, il y a un peu des deux dans la sauce, dont un choc alimenté par les technologies et Amazon, causé par son acquisition de Whole Foods», explique le président exécutif du conseil de Couche-Tard lors d'une entrevue dans une salle aux murs tapissés de photos du Canadien de Montréal.

Même si Alain Bouchard n'est pas le type de dirigeant à se laisser ébranler par les mouvements à court terme de la Bourse, il n'est pas insensible à la dégringolade des titres des épiciers américains dans la foulée de l'acquisition de la chaîne d'alimentation bio par le géant du commerce en ligne.

L'exploitant de dépanneurs a beau être mieux immunisé que la plupart des détaillants devant la montée en puissance d'Amazon–près de 90 % de ce qui est acheté dans ses magasins est consommé dans les heures qui suivent–, il doit rassurer les actionnaires inquiets des répercussions qu'auront les bouleversements actuels.

Amazon frappe l'imaginaire, mais elle n'est pas la seule épée de Damoclès. L'ascension des véhicules électriques alimente aussi l'incertitude depuis ce printemps. Les analystes qui suivent le plus grand détaillant canadien sur le plan des ventes et de la valeur boursière traitent abondamment de ce risque. C'est sans compter les autres tendances en apparence secondaires, mais non moins importantes, telle la fidélisation des milléniaux.

Celui qui a bâti un empire de 14000 magasins en a cependant vu d'autres. Comme on peut le lire dans sa biographie publiée l'an dernier, le dépanneur a connu plusieurs incarnations depuis la fondation de Couche-Tard en 1980. La cigarette n'est plus une aussi grande vache à lait que par le passé. Le marchand de proximité doit constamment s'adapter. Une nécessité vitale, mais qui doit être menée au rythme optimal.

Ceux qui espèrent voir des bornes de recharge électrique dans tous les Couche-Tard du Québec prochainement seront déçus. Le dirigeant a beau admettre que les véhicules électriques gagnent plus de place dans le parc automobile chaque année, il ne croit pas qu'ils deviendront majoritaires sur les routes du monde occidental avant longtemps.

Couche-Tard a la chance d'exploiter un laboratoire en Norvège, où son réseau de magasins lui permet d'évaluer les conséquences de l'électrification des transports. C'est le pays qui compte le plus grand nombre d'autos électriques par habitant. Il y est plus avantageux d'acheter une telle voiture, en raison des incitatifs financiers accordés par le gouvernement et des mesures visant à favoriser leur adoption, comme les stationnements gratuits.

Environ 10% du parc automobile norvégien est composé de véhicules électriques et ceux-ci devraient s'approprier près de 40% des ventes en 2017, indique M. Bouchard, visiblement bien renseigné sur le sujet. Or, dans ce pays aux conditions hivernales similaires au Québec et aux montagnes omniprésentes, les autos à essence restent incontournables pour plusieurs, constate le président.

Partenariat électrique majeur

Bien que ce soit difficile à imaginer au Québec, Couche-Tard est un chef de file du ravitaillement électrique en Europe.

Elle possède le plus vaste réseau de bornes de recharge rapide en Scandinavie. En outre, elle a conclu un partenariat qui lui permet de faire un pas de géant dans cette voie: elle s'est associée à IONITY, une coentreprise formée du Groupe BMW, de Daimler AG, de Ford Motor et du Groupe Volkswagen (qui comprend Audi et Porsche). Objectif ? Déployer le réseau de bornes de recharge rapide le plus étendu du Vieux Continent. Couche-Tard et IONITY feront équipe dans sept pays, dont en Norvège et en Suède. Ceux-ci visent au départ 60 sites dotés chacun de six stations de recharge. À lire, notre texte complet sur cette alliance

Couche-Tard a beau être à l'avant-garde en Scandinavie, M. Bouchard reste préoccupé par le temps de recharge dans les stations actuelles. «Même quand on a trois ou quatre bornes, les gens doivent parfois attendre [leur tour]. Ce n'est pas pratique, on est encore loin du "convenient"», illustre-t-il, en rappelant que le service rapide représente un des principaux avantages concurrentiels des dépanneurs. Il peine à imaginer comment il serait possible de recharger de nombreux véhicules en même temps au Canada et aux États-Unis dans les conditions actuelles.

Cet enjeu ne l'empêche pas de cibler les occasions d'affaires alimentées par le courant électrique. «La recharge des véhicules à la maison semble être un modèle viable, si l'on considère le rallongement du nombre de kilomètres que l'on peut parcourir grâce à une charge complète. Nous pourrions être partenaires d'un service d'installation de bornes à domicile qui serait offert sous forme d'abonnement», explique celui qui a été un des principaux consolidateurs de l'industrie des stations-service du monde.

Une équipe de Couche-Tard évalue le potentiel d'un tel service. Mais M. Bouchard insiste sur un élément important:


« C'est une partie de la transformation, mais la vraie transformation ne viendra pas de là. Ce sera plutôt de convaincre le consommateur de venir chez nous pour ce que l'on a à offrir sur place. Notre offre continuera d'évoluer à une vitesse très rapide grâce aux nouvelles technologies et ce que l'on vend» »

Toujours rêveur, il va jusqu'à se projeter dans un monde où la propriété automobile laissera place à des parcs de véhicules autonomes accessibles sur demande. «Nous avons d'immenses terrains. Il y aura à ce moment des besoins d'approvisionnement de toutes sortes que nous pourrons combler.»

Il revient vite à la réalité en se rappelant une leçon coûteuse apprise quand Couche-Tard a déployé des boulangeries dans ses magasins avant que le goût des Québécois pour le pain cuit sur place ne se cultive. «Notre offre doit évoluer à la vitesse du consommateur. Il est toujours dangereux d'aller plus vite que lui.»

L'intelligence artificielle, une grande occasion

Couche-Tard analyse de façon très pointue les transactions de ses clients. Le président croit toutefois que l'intelligence artificielle (IA) permettra à ses dépanneurs d'approfondir encore plus les connaissances de la clientèle.

La stratégie pour tirer profit de l'analyse amplifiée des données est encore floue, mais M. Bouchard est convaincu que la proximité donne à sa chaîne un atout majeur. «Il va se développer toutes sortes de produits liés à l'intelligence artificielle. Il y aura toujours besoin de physique et de proximité dans tout. On a donc un avantage énorme.»

Misant sur cette proximité, Couche-Tard pourrait devenir le point de chute d'autres détaillants pour la livraison de colis ou de mets prêts à cuisiner. M. Bouchard a refusé de telles offres dans le passé, car elles ne permettaient pas de monnayer l'espace accordé. L'essor du commerce en ligne change la donne et pourrait créer de nouvelles occasions rentables pour ses dépanneurs, qui peuvent assurer la livraison du dernier kilomètre.

Les milléniaux représentent un autre axe de la transformation de Couche-Tard. Cette cohorte est moins fidèle et très différente des précédentes, en raison notamment de son éducation. Elle force les détaillants à tester de nouvelles armes de séduction. «Un groupe de travail analyse cette clientèle afin de déterminer la façon de la convaincre de venir dans nos magasins, se réjouit M. Bouchard. Des idées absolument formidables voient le jour.»

Qui dit milléniaux, dit technologies. L'entreprise jongle aussi avec les nouvelles technologies de paiement et les outils numériques qui aideront à rendre l'expérience de consommation cool auprès des jeunes. Observateur de terrain comme s'il venait de lancer son premier dépanneur, Alain Bouchard s'aperçoit de la nécessité de faire évoluer l'offre de produits en fonction des goûts des milléniaux, notamment dans le segment des bières.

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Même si la transformation qu'il pilote devrait déboucher sur des changements de différentes natures, la grande majorité des produits que l'on trouve dans les dépanneurs aujourd'hui le seront encore dans cinq ans. «Surtout l'essence», confirme M. Bouchard sans détour. Contrairement à ce qu'on pourrait croire, les ventes de cigarettes progressent dans plusieurs divisions, parce qu'elles récupèrent les parts de marché libérées par d'autres détaillants comme les pharmacies et les tabagies.

Dégageant autant de passion et d'énergie qu'un millénaire, l'homme de 68 ans se fait convaincant. Reste à voir si la transformation qu'il mène confondra les sceptiques, dans un monde qui veut se décarboniser à un rythme accéléré. Pour reprendre une expression qu'il a répétée plusieurs fois, le «jury est en délibération».

La valeur terminale de Couche-Tard


Les analystes ne manquent jamais d’imagination lorsque vient le temps d’apporter un éclairage sur un titre qui les distingue de leurs homologues. Bob Summers, de Macquarie Research, en donne un bon exemple. Il a fixé une valeur terminale à l’action d’Alimentation Couche-Tard. Il émet l’hypothèse que la société lavalloise cessera ses activités 40„ ans après l’année où la consommation de pétrole atteindra son sommet avant d’amorcer son déclin, soit en 2075. Il utilise la méthode d’actualisation des flux de trésorerie afin de projeter la totalité des liquidités nettes que dégageront les activités de la chaîne au cours de ces 57„années, afin de déterminer la valeur présente du titre. Il prend en considération d’autres facteurs, dont les acquisitions et la valeur du parc immobilier. M.„Summers estime donc que l’action vaut 70 $ aujourd’hui. C’est inférieur au cours-cible moyen de 76,21 $ de l’ensemble des analystes sondés par Reuters. Plutôt que les véhicules électriques, c’est une efficacité énergétique accrue des véhicules à essence qui pourrait avoir des répercussions notables sur les activités des stations-service, soutient l’analyste. Si les avancées technologiques rendent les moteurs plus économes en carburant, elles requièrent en revanche de l’essence avec un indice d’octane plus élevé. Ce qui profite à Couche-Tard, car ces carburants génèrent de meilleures marges bénéficiaires. Toutes choses étant égales par ailleurs, chaque hausse de 1 % de la pénétration des essences à indice d’octane plus levé augmente le bénéfice avant impôts du détaillant de 13M $US ou de 0,02 $US par action, calcule M.„Summers. Ce qui devrait selon lui atténuer le déclin de la consommation de carburant découlant des moteurs plus performants.

Cet article a été publié dans l'édition du 11 novembre de Les Affaires. Il vous a plu? Abonnez-vous.

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À propos de ce blogue

Après près de 16 années passées au journal Les Affaires, dernièrement en tant que chef de publication pour lesaffaires.com, Yannick Clérouin a rejoint en mars 2018 la société de gestion de portefeuilles Medici.

Yannick Clérouin