Les retrouvailles


Édition du 12 Avril 2014

Les retrouvailles


Édition du 12 Avril 2014

C'était il y a près de 20 ans, au moment où le quotidien Le Soleil s'apprêtait à paraître sous un tout nouveau jour, avec un contenu renouvelé.

Jeune journaliste, ma mission était de lancer une nouvelle chronique boursière, mais sous une forme inédite. Un soir, au cinéma, feuilletant un journal étudiant dans l'attente du film, un petit encart sur une simulation boursière universitaire attira mon attention.

Le lendemain, j'étais au local du Fonds Alpha, cette association d'étudiants qui avait reçu une permission spéciale des autorités pour gérer un fonds commun d'investissement. Un fonds uniquement réservé aux étudiants de la faculté d'administration de l'Université Laval. «Ça ne vous tenterait pas que l'on gère conjointement un portefeuille fictif pour Le Soleil ? Chaque semaine, une analyse de titre, et si on pense que c'est bon, on l'intègre.»

Dans les semaines suivantes l'aventure s'amorçait. Elle dura plus de cinq ans, et ne fut interrompue qu'en raison d'une année sabbatique hors Québec de l'auteur.

Il y a quelques jours, c'était les retrouvailles. L'occasion de se souvenir d'anecdotes, d'en découvrir de nouvelles et de beaucoup rire. L'occasion aussi de constater comment chacun avait évolué. À ma grande surprise, l'occasion surtout de réfléchir sur quelques leçons de vie.

Les leçons de vie

Voir ce que les autres ne voient pas

«C'est vraiment décourageant», me dit un jour un président du Fonds, en revenant d'une entrevue avec une firme de courtage établie. Il tentait d'y obtenir une place de conseiller financier. Après quelques minutes seulement, l'étudiant s'était aperçu que l'on ne s'intéressait pas tellement à ses compétences financières. «Ton réseau, ton réseau, ton réseau, parle-nous de ton réseau», disait l'employeur. Ce qui voulait dire : connais-tu beaucoup de monde avec des poches profondes qui pourraient amener leur argent à la firme ?

Évidemment, quand on a la jeune vingtaine, les occasions n'ont pas encore été tellement nombreuses de frayer avec le gratin.

Quelle fut la suite pour notre ami ? Il n'obtint évidemment pas l'emploi. Il s'exila plus tard à Londres, dans la City. Y trouva quelqu'un qui lui fit confiance sur la base de ses compétences (son réseau londonien étant nul...), gravit les échelons, se retrouva sur le parquet avec pour mission de développer le marché européen des obligations. L'emploi le fit voyager dans plusieurs pays, et il réussit à convaincre d'importants clients, comme le Fonds souverain norvégien, de lui faire confiance. Résultat : un salaire de 1 M$ pendant quelques années.

Morale de l'histoire : ce n'est pas le réseau qui fait la force d'un individu, c'est sa capacité à le développer. Comme en Bourse, il faut essayer de voir au-delà de ce que tout le monde voit. Plusieurs courtiers devraient en prendre note.

Soyez droit, on s'en souviendra, et on vous fera confiance

La première année de notre portefeuille fictif donna un résultat exceptionnel. On doublait les résultats du TSX et on battait à plate couture les meilleurs gestionnaires du pays. Nous avions été chanceux. On commença à trembler lorsqu'on s'aperçut que le public nous voyait nettement trop gros. Le simple fait d'intégrer un titre au portefeuille faisait souvent bouger les cours, et significativement dans certains cas (+ 25 % avec Sico).

C'est alors qu'on découvrit que la triche, cette plaie maudite qui court trop souvent sur les marchés financiers, était en train d'infiltrer nos rangs. Malgré l'interdiction de négocier les titres dont on traitait dans le journal 30 jours avant et 30 jours après, certains trichaient et achetaient tout juste avant la publication. Ils profitaient ensuite de la hausse pour vendre.

Plutôt que d'enterrer l'affaire, le responsable des finances du Fonds me contacta, fit part du problème et garantit qu'il allait prendre les choses en mains.

Je n'entendis plus parler de l'affaire, jusqu'à il y a quelques jours.

«En tout cas, toi, tu es mon premier souvenir. Tu nous avais fait tout un speech sur l'éthique ! Ça m'a marqué», dit un ancien en le retrouvant.

Comme quoi on se rappelle longtemps des exemples d'honnêteté et d'intégrité.

L'orateur est aujourd'hui président d'une société inscrite en Bourse. Ses compétences sont exceptionnelles, et il peut compter un grand nombre de porte-voix prêts à garantir que ce qu'il dit est ce qui est.

À propos de ce blogue

Diplômé en droit de l'Université Laval, François Pouliot est avocat et commente depuis plusieurs années l'actualité économique et financière. Il a été chroniqueur au Journal Le Soleil, a collaboré au Globe and Mail et dirigé les sections économiques des différentes unités de Quebecor Media, notamment la chaîne Argent. Au cours de sa carrière, il a aussi fait du journalisme d'enquête ce qui lui a valu quelques distinctions, dont le prix Judith Jasmin. La Bourse Southam lui a notamment permis de parfaire son savoir économique à l'Université de Toronto. François a de même été administrateur de quelques organismes et fondation. Il est un mordu des marchés financiers et nous livre son analyse et son point de vue sur diverses sociétés cotées en bourse. Québec inc. sera particulièrement dans sa mire.

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