Comment les banques centrales peuvent sauver la planète

Publié le 27/09/2019 à 19:34

Comment les banques centrales peuvent sauver la planète

Publié le 27/09/2019 à 19:34

Le gouverneur de la Banque du Canada, Stephen Poloz. (source photo: Getty)

ANALYSE GÉOPOLITIQUE – Si nous voulons vraiment limiter le réchauffement de la Terre à moins de 2 degrés Celcius, les gouvernements devront investir des dizaines de billions (des dizaines de 1000 milliards) de dollars américains dans les prochaines décennies, notamment pour améliorer les transports collectifs. Or, un seul groupe d’institutions peut soutenir pareille mobilisation de capitaux à long terme: les banques centrales.

Ce sont ces mêmes organisations publiques qui ont su empêcher l’effondrement du système financier international lors de la crise financière de 2007-2008, et limiter l’impact de la récession mondiale qui a suivi. Bref, sans leurs interventions décisives, l’économie mondiale aurait plongé dans le chaos comme dans les années 1930.

Dans un discours prononcé en 2013, Mark Carney, ancien gouverneur de la Banque du Canada et actuel gouverneur de la Banque d’Angleterre, décrit bien le rôle crucial des banques centrales durant la crise financière.

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Outre la baisse rapide des taux d’intérêt, les principales banques centrales de la planète, dont la Réserve fédérale américaine (Fed), ont fourni un «apport exceptionnel de liquidités totalisant des centaines de milliards de dollars», souligne Mark Carney.

Elles l’ont fait par l’entremise des mécanismes de prise en pension, des mécanismes permanents d’octroi de liquidités, des programmes de prêt de titres, sans parler des accords de swap réciproques.

Le gouverneur de la Banque d'Angleterre, Mark Carney. (source photo: Getty)

Or, à terme, le risque que fait peser le changement climatique sur l’environnement, nos sociétés, l’économie et le système financier sont plus importants que la dernière crise financière, disent des économistes.

L’industrie de l’assurance est particulièrement à risque, et ce, en raison de l’augmentation de la fréquence et de la force des catastrophes naturelles.

En 2015, Henri de Castries, le patron du groupe AXA, le plus important assureur de la planète, a déclaré qu’une planète plus chaude de 2 degrés Celcius peut être assurable, mais certainement pas un monde plus chaud de 4 degrés.

Or, sans la capacité d’assurer les pertes dues aux catastrophes naturelles, le système mondial de crédit tel que nous le connaissons cessera de fonctionner.

Mais avant d’expliquer le rôle que pourrait jouer les banques centrales dans la lutte au changement climatique, mettons bien en perspective la notion de dizaines de billions de dollars.

En 2018, le produit intérieur brut du Canada (la valeur des biens et services produits dans l’économie) s’élevait à 1 713 milliards ou 1,713 billion de dollars américains, selon les estimations de la Banque mondiale.

Aussi, quand les spécialistes disent qu’il faut investir des dizaines de billions de dollars dans les prochaines décennies pour décarboniser l’économie mondiale, cela signifie qu’il faudra grosso modo dépenser des dizaines de fois l’équivalent du PIB canadien.

C'est énorme. 

Il faudra des projets «pharaoniques» dans certains cas.

Un projet Green New Deal aux États-Unis 

Aux États-Unis, des démocrates proposent d’ailleurs un «Green New Deal», un clin d’œil au New Deal du président démocrate Franklin Delano Roosevelt pour relancer l’économie américaine durant la Dépression des années 1930.

Outre une production d’énergie à 100% renouvelable en 2030 aux États-Unis, ce Green New Deal propose plusieurs chantiers sur 10 ans (cette liste n’est pas exhaustive):

  • Améliorer l’efficacité énergétique des bâtiments aux États-Unis et en bâtir de nouveaux encore plus efficaces.
  • Offrir davantage de transport public, incluant des trains à haute vitesse.
  • Restaurer et protéger les écosystèmes qui limitent l’impact du changement climatique.
  • Réduire au maximum la pollution et les émissions de gaz à effet de serre (GES) dans le secteur manufacturier.
  • Offrir un environnement (eau, air, sol) de qualité aux Américains.

À elle seule, la décarbononisation de l’économie américaine pourrait coûter environ 425 milliards de dollars américains, selon une analyse du Wall Street Journal.

Bien entendu, les entreprises devront collectivement investir des milliards de dollars pour réduire leurs émissions de gaz à effet de serre (GES). Par contre, la part du lion des dépenses de dizaines de billions dollars proviendra des gouvernements.

Or, comme il s’agit d’investissements à long terme (sur 10, 20, voire 30 ans), il faudra nécessairement que ce financement passe par l’émission d’obligations vertes (green bonds, en anglais), souligne le magazine américain Foreign Policy.

Un marché émergent pour les obligations vertes

Ce marché obligataire existe déjà.

La Banque mondiale a émis la première obligation verte en 2008. Depuis, ce marché a progressé pour atteindre un volume annuel de 170 milliards de dollars américains, ce qui demeure très petit à l’échelle mondiale.

C’est justement là que les banques centrales peuvent jouer un rôle névralgique, comme durant la crise financière de 2007-2008.

Comment? Elles peuvent assurer le financement régulier et à long terme de la lutte au changement climatique en achetant cette dette à long terme, ce que ne peuvent pas faire à grande échelle les investisseurs privés.

Imaginez la force de frappe financière si la Banque du Canada, la Fed, la Banque centrale européenne (BCE), la Banque d’Angleterre, la Banque du Japon et la Banque de Chine unissent leurs efforts pour soutenir la lutte au réchauffement climatique.

Les principales banques centrales pourraient à nouveau mobiliser des centaines de milliards de dollars, voire plus, comme en 2007-2008. Mais au lieu de fournir un vaste apport de liquidités à court terme, elles pourraient l’étaler sur plusieurs décennies.

Ultimement, elles pourraient même imprimer de l'argent. Certes, cela pourrait créer de l'inflation, mais le risque d'un réchauffement climatique à plus de 2 degrés Celcius est bien plus grave que la montée des prix.  

La lutte au changement climatique s’est amorcée aux quatre coins de la planète.

Par contre, il faudra en faire beaucoup plus pour réussir à limiter le réchauffement à moins de 2 degrés Celcius par rapport au début de l’ère industrielle au 19e siècle, selon Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC).

Si la marche mondiale pour le climat de ce vendredi 27 septembre, qui a mobilisé plus de 300 000 personnes dans les rues de Montréal, accroît la pression sur les gouvernements, la clé du financement des efforts collectifs à faire dans les prochaines décennies repose entre les mains d’une poignée de banquiers centraux inconnus du grand public.

Pourtant, leur rôle pourrait être aussi déterminant, sinon plus, que lors de la crise financière de 2007-2008.

 

 

À propos de ce blogue

Dans son analyse Zoom sur le monde, François Normand traite des enjeux géopolitiques qui sont trop souvent sous-estimés par les investisseurs et les exportateurs. Journaliste au journal Les Affaires depuis 2000 (il était au Devoir auparavant), François est spécialisé en commerce international, en entrepreneuriat, en énergie & ressources naturelles, de même qu'en analyse géopolitique. François est historien de formation, en plus de détenir un certificat en journalisme de l’Université Laval. Il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Il détient aussi un MBA de l'Université de Sherbrooke. François a réalisé plusieurs stages de formation à l’étranger: à l’École supérieure de journalisme de Lille, en France (1996); auprès des institutions de l'Union européenne, à Bruxelles (2002); auprès des institutions de Hong Kong (2008); participation à l'International Visitor Leadership Program du State Department, aux États-Unis (2009). En 2007, il a remporté le 2e prix d'excellence Caisse de dépôt et placement du Québec - Merrill Lynch en journalisme économique et financier pour sa série « Exporter aux États-Unis ». En 2020, il a été finaliste au prix Judith-Jasmin (catégorie opinion) pour son analyse « Voulons-nous vraiment vivre dans ce monde? ».

François Normand