Un bouleversement économique d'une ampleur jamais vue serait à nos portes. C'est du moins la conclusion de plusieurs spécialistes, qui jugent inévitable l'arrivée d'une vague d'automatisation sans précédent au sein des entreprises. Déjà, les voitures sans conducteur de Google ont parcouru plus d'un million de kilomètres sur des routes publiques, un logiciel d'Associated Press écrit 4 400 articles par trimestre et Watson, le superordinateur d'IBM, aide les médecins à poser des diagnostics.
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«Le chef des technologies est appelé à devenir responsable de la productivité, puisqu'il sera chargé de créer la main-d'oeuvre numérique de l'entreprise, avance Kenneth Brant, directeur de la recherche chez Gartner, aux États-Unis. Dans ce contexte, le jeu de la concurrence fera en sorte que les entreprises ayant la meilleure technologie vont survivre.»
Il ne s'agit pas là de science-fiction. Déjà, l'automatisation a eu raison de nombreuses entreprises trop lentes à s'adapter et a éliminé de nombreuses tâches auparavant accomplies par des humains.
L'une d'entre elles est celle de décider dans quels médias acheter de la publicité, à quel prix et quand. James Prudhomme, pdg de Datacratic, un ancien cadre d'AOL, soutient que les machines sont capables de prendre de telles décisions beaucoup plus adéquatement que les humains. «Dès les débuts de la publicité programmatique, c'était clair que l'apprentissage machine serait important, car il y a trop de données, trop de décisions à prendre pour un humain.»
Le logiciel que vend Datacratic permet d'éliminer l'intervention des humains, qui établissaient auparavant les mises maximales dans les campagnes de publicité programmatique. Ce n'est toutefois qu'une première étape pour la start-up montréalaise de 25 employés. En effet, le logiciel de Datacratic a été bâti comme une plateforme, de manière à pouvoir appliquer l'apprentissage machine à une grande variété de problèmes.
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Automatiser ou périr
L'automatisation des entreprises est déjà bien amorcée, mais ce ne serait que la pointe de l'iceberg. Dans son livre The Second Machine Age, Erik Brynjolfsson, directeur du MIT Center for Digital Business et chercheur associé au National Bureau of Economic Research, soutient que la loi de Moore, qui postule que la puissance des processeurs double tous les 18 mois, nous propulse à présent dans une nouvelle ère. En raison de la courbe exponentielle de croissance de la puissance des processeurs, on devrait voir émerger au courant des 20 prochaines années beaucoup plus d'innovations qu'au courant des 20 dernières.
La loi de Moore, qui n'est pas tant une loi qu'une prédiction, ne suffit pas à expliquer cette accélération de l'innovation technologique. Erik Brynjolfsson considère que la numérisation, qui démocratise l'accès à la connaissance, accélère le cycle d'innovation. Par exemple, un programmeur peut concevoir en quelques heures un logiciel qui aurait mis des mois à être développé il y a 20 ans, en combinant des lignes de code ouvert trouvées sur Internet.
Selon Erik Brynjolfsson, il faut remonter à la première révolution industrielle pour trouver un bouleversement économique comparable à celui qu'on s'apprête à vivre. Selon le chercheur du MIT, de nombreux emplois disparaîtront, tandis que de nombreuses entreprises établies céderont leur place à des start-ups : «L'histoire nous indique que la plupart des innovations dans les processus d'affaires proviennent de nouvelles sociétés remplaçant les plus vieilles», soutient l'auteur Erik Brynjolfsson.
Ce qui est vrai pour les sociétés est aussi vrai pour les pays. Toujours selon Erik Brynjolfsson, les pays riches, qui disposent d'une longueur d'avance en matière d'automatisation, ont un avantage sur les pays émergents. «Les pays émergents vont faire face à un plus grand défi durant la deuxième ère des machines, car la main-d'oeuvre à bas prix, qui les a avantagés au courant des 40 dernières années, ne permet pas de concurrencer les robots.»
Dans ce contexte, le secteur manufacturier québécois n'aurait pas tant à craindre la Chine que des pays développés comme les États-Unis et l'Allemagne, dont les usines sont davantage automatisées. «Le risque, c'est que, dans 20 ans, les Québécois deviennent du cheap labour pour les multinationales étrangères, car on est en retard de 15 ans en matière d'automatisation», dénonce Serge Bouchard, directeur général du Regroupement des équipementiers en automatisation industrielle. Si les prévisions d'Erik Brynjolfsson s'avèrent, ces postes mal payés pourraient ne jamais être créés.
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La fin du travail ?
Dans ses bureaux du Vieux-Montréal, Jean-François Dupont, pdg d'AV&R, montrait à Les Affaires une pièce de la taille d'un paquet d'allumettes. Cette pièce entrait dans la fabrication d'un moteur d'avion. La plus petite des imperfections de cette pièce pourrait avoir des conséquences graves. Par conséquent, AV&R a conçu un robot capable d'inspecter ce type de pièce grâce à un bras qui la manipule devant une caméra.
«Avant, c'était un humain qui faisait ce travail. C'était une tâche complexe à apprendre et c'était difficile de rester concentré sans interruption, explique Jean-François Dupont. Alors, une deuxième personne inspectait la pièce après coup pour éviter qu'une erreur ne soit commise.»
Si les robots d'AV&R effectuent des tâches auparavant effectuées par des humains, Jean-François Dupont soutient que les usines investissant dans l'automatisation finissent par embaucher davantage qu'elles ne mettent à pied : «Souvent, la perception, c'est que l'automatisation va couper des jobs, mais au contraire, ça va sauver des entreprises. Ça changera la nature des emplois, qui seront plus spécialisés, mais il y aura des gens qui vont travailler.»
Une étude de Metra Martech, portant sur la robotisation de six pays de 2000 à 2008, relève en effet une corrélation entre l'augmentation du taux de robots par travailleurs dans un pays et la diminution du taux de chômage. Dans les pays émergents comme la Chine et le Brésil, la robotisation s'est même accompagnée d'une augmentation du nombre d'emplois dans le secteur manufacturier. Dans les pays riches comme les États-Unis et l'Allemagne, on a observé une légère baisse des emplois manufacturiers, largement compensée par la croissance de l'emploi dans d'autres secteurs.
Bien plus que les robots, ce sont les logiciels qui permettront d'automatiser un nombre sans précédent de tâches jusqu'à aujourd'hui réalisées par les humains. Des chercheurs de l'université d'Oxford au Royaume-Uni, Carl Benedikt Frey et Michael A. Osborne, estiment que 47 % des emplois américains pourraient ainsi disparaître au courant des prochaines décennies. Selon les auteurs de l'étude «The Future of Employment», ces emplois seraient menacés principalement en raison des percées technologiques en robotique et en apprentissage machine.
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Collègues automates
Selon Erik Brynjolfsson, la révolution informatique éliminera tant d'emplois que, contrairement aux deux révolutions industrielles, elle détruira plus d'emplois qu'elle n'en créera. Un constat que ne partage pas Kenneth Brant, de Gartner. «Il y a encore une demande forte d'apport humain et de compassion humaine. Nous pensons que les humains et les machines intelligentes sont appelés à devenir des collègues. Celles-ci pourraient même être utilisées pour dupliquer des employés humains.»
Watson, le superordinateur d'IBM, travaille déjà de concert avec des médecins en tant que conseiller. Alors qu'un médecin devrait lire 160 heures par semaine seulement pour prendre connaissance des nouvelles recherches publiées, Watson peut tout lire et peut fonder ses conclusions sur plus de cas réels qu'un médecin ne peut espérer en traiter en carrière. De la même manière, le conseiller Watson a été configuré par IBM pour aider les conseillers en placement et les hauts fonctionnaires à prendre des décisions.
Erik Brynjolfsson considère lui aussi que les travailleurs qui sauront collaborer avec les machines ne sont pas près d'être au chômage, mais doute que ces emplois soient suffisants pour maintenir le taux d'emploi à son niveau actuel. Malgré tout, il reconnaît que de nouveaux secteurs mettant à contribution la créativité ou les habiletés relationnelles des humains pourraient émerger : «J'ai espoir que nous allons trouver de nouvelles tâches pour occuper les humains et que nous allons créer de la valeur de cette manière, mais ce sera une transition cahoteuse», conclut Erik Brynjolfsson.
Les gestionnaires n'ont rien à craindre
Les emplois en gestion, en développement des affaires et en finances seraient peu à risque d'être automatisés. Selon les auteurs de l'étude «The Future of Employment», ces postes seraient moins à risque, puisqu'ils comportent de nombreuses tâches généralistes et nécessitent un certain niveau d'intelligence sociale.
La fin des centres d'appels
Les progrès réalisés en matière de traitement des langues naturelles, grâce auxquels Apple à lancé Siri, permettent désormais d'automatiser des centres d'appels. La société californienne SmartAction offre un logiciel tirant parti de l'apprentissage machine et de la reconnaissance vocale, capable de traiter des appels avec plus d'efficacité que ne le font les employés humains. CAA Saskatchewan, qui a adopté le logiciel, estime avoir réduit de 60 % le nombre de minutes passées au téléphone par ses employés, tout en réduisant ses coûts par appel de 60 à 80 %.
Les avocats n'ont qu'à bien se tenir
Les avocats, dont une proportion grandissante des tâches sont imparties à l'étranger, ne sont pas à l'abri de l'automatisation. Notamment, l'analyse de documents écrits et audio aux fins d'un procès, auparavant effectuée par des avocats et des techniciens juridiques, peut aujourd'hui être réalisée par des logiciels comme eDiscovery de Symantec.
Source : The Future of Employment
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