À leur époque, Joseph-Armand Bombardier et Guy Laliberté étaient des «cinglés». Oui, des cinglés, parce que leur idée de moto qui irait sur la neige (BRP) et de cirque sans animal (Cirque du Soleil) étaient a priori farfelues. Pourtant, chacun d'eux a remporté le succès qu'on sait.
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La question saute aux yeux : faut-il être cinglé pour réussir en affaires ? Surtout de nos jours, à présent que les innovations, venues des quatre coins de la planète, déboulent à un rythme de plus en plus fou ? Pour le savoir, rien de mieux que de se pencher sur l'héritage du «roi des cinglés», Steve Jobs, l'homme à qui l'on doit l'iPhone et l'iPad. Plus précisément, sur l'une des publicités d'Apple qui a marqué l'Histoire, «Crazy Ones», en 1997. On y découvre des figures historiques comme Albert Einstein et Ted Turner, tandis qu'il est dit que tous étaient des cinglés, à savoir «des marginaux, des rebelles, des perturbateurs». «Seuls ceux qui sont assez fous peuvent changer le monde, et le font», est-il expliqué. «Un message qui traduit notre propre philosophie, chez Apple. Comme chacune de ces personnalités, nous voulons par-dessus tout faire progresser l'humanité», avait souligné Steve Jobs, lors du dévoilement de la pub.
Déraisonnable, mais raisonné
Être cinglé, c'est donc un compliment. «Aujourd'hui, un entrepreneur qui n'est pas cinglé souffre de graves handicaps. Il pense petit, il ne bouscule rien, il ne dérange personne, il se laisse porter par le courant, il ne prend pas de vrais risques, et surtout, il n'ose pas être le premier en terrain inconnu. Bref, il est irrémédiablement voué à la contre-performance, pour ne pas dire à l'échec», explique dans son livre Crazy Is a Compliment Linda Rottenberg, pdg d'Endeavour, une organisation américaine à but non lucratif visant à soutenir les entrepreneurs en herbe.
Le secret des cinglés ? C'est, somme toute, assez simple : ils ont une pensée divergente, d'après Steve Hardy, directeur, ventes et marketing, de RallyEngine, une application permettant de faire travailler ensemble des employés à distance. Une pensée qui fonctionne suivant cinq principes, avance-t-il dans son blogue Creative Generalist :
> Errer et interroger. Pour entrevoir toutes les possibilités.
> Synthétiser et résumer. Pour bien présenter l'information.
> Lier et sauter. Pour générer des idées neuves.
> Mêler et associer. Pour établir des connexions entre les bonnes personnes.
> Expérimenter et sympathiser. Pour concrétiser l'idée géniale.
Les entrepreneurs cinglés ne sont pas des fous incohérents, mais des génies. C'est-à-dire des personnes douées pour voir ce que les autres ne voient pas et pour oser ce que personne n'a jamais osé auparavant. Et ce, grâce au fait qu'ils sont non pas raisonnables, mais raisonnés.
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Le marginal: Julien Smith, pdg cofondateur de Breather
Julien Smith souffre d'une déficience auditive qui le rend hypersensible au bruit. «Un camion passe, et je n'arrive plus à suivre une discussion», dit-il. D'où son goût immodéré pour le silence, et donc pour les espaces zen, où règnent la paix et le calme.
Il a constaté tout cela en multipliant les voyages d'affaires : «À l'étranger, je rêvais de pouvoir me réfugier dans un lieu silencieux, où je pourrais travailler aussi confortablement qu'à la maison. Et je n'en trouvais pas : les chambres d'hôtel et les cafés Wi-Fi ne sont jamais parfaits pour ça. L'idée m'est alors venue de créer moi-même un réseau de location de bureaux-appartements dans les principales métropoles de la planète», raconte-t-il.
Idée farfelue ? «Oui, et c'était tant mieux. Parce que plus une idée est cinglée, plus elle a de chances de séduire des anges investisseurs !» lance-t-il. Et d'ajouter : «D'ailleurs, quand John Stokes, de Real Ventures, a entendu parler de mon projet, il a réagi en disant que j'allais soit m'effondrer en un rien de temps, soit conquérir le monde ; il a misé sur moi sans hésiter une seconde». Jusqu'à présent, son entreprise, Breather, a recueilli 7,5 millions de dollars en financement. Son réseau compte une centaine de bureaux-appartements à Montréal, Ottawa, Boston, New York et San Francisco ; d'autres devraient être bientôt offerts à Chicago, Washington, Los Angeles ainsi que dans une métropole européenne qui n'a pas encore été choisie.
Le pertubateur: Nicolas Duvernois, pdg fondateur de Pur Vodka
Nicolas Duvernois gagnait sa vie en nettoyant les planchers de l'hôpital Sainte-Justine, la nuit, quand lui est venue l'idée d'inventer... une vodka québécoise ! «Une idée cinglée, car je n'y connaissais rien. Mais je me suis toujours dit que les idées géniales n'étaient rien d'autre que des idées folles, mais travaillées», dit-il.
Pur Vodka est née en 2007, à Outremont. L'entreprise a vendu sa première bouteille en 2009, année où son produit a décroché le prix de la meilleure vodka du monde aux World Vodka Masters, à Londres ! Depuis, les distinctions affluent.
«Au tout début, dès que je disais "vodka québécoise", les banquiers ne me laissaient pas terminer ma phrase et me montraient la porte. Tout le monde, en fait, me regardait comme un fêlé. Mais curieusement, ça boostait ma motivation : je savais que les vrais innovateurs n'étaient jamais compris à leurs débuts», raconte-t-il. Et d'ajouter : «Maintenant que ma vodka est l'une des plus vendues à la SAQ, le regard des autres a changé. Il est devenu admiratif. Et bien franchement, ça ne me plaît pas : je préférais les coups d'oeil suspicieux, voire sarcastiques, qui me forçaient à donner mon 110 % pour leur montrer de quoi j'étais capable».
Le rebelle: Jonathan Bélisle, cofondateur de Saga
Jonathan Bélisle est un entrepreneur en série du Web depuis les années 1990. Il carbure aux idées stupéfiantes : «Au début des années 2000, j'ai proposé à des partenaires de créer un réseau social d'échange d'appartements, un Airbnb avant l'heure, quoi. C'était mille fois trop tôt, comme la plupart de mes projets», dit-il.
Aujourd'hui, il s'est associé à Vincent Routhier, «un investisseur qui a les pieds sur terre», pour fonder Saga et ainsi mener à bien l'idée la plus folle qu'il n'ait jamais eue : libérer le Web de tous ses carcans ! «Le Web, ce n'est plus que Google et Facebook. Ce sont des milliards d'individus plongés dans leur tablette, au lieu de se regarder en face, les uns les autres. C'est à brailler !» fulmine-t-il.
Comment s'y prend-il ? En développant «la magie du Web», en particulier auprès des enfants. C'est ainsi qu'il a mis au point une application qui ne fonctionne que si l'on marche dehors, dans laquelle on peut capturer des lucioles virtuelles dans les ruelles de Montréal en se servant de son cellulaire comme d'un filet à papillons. Pareillement, il a concocté un livre éducatif et interactif bourré d'innovations renversantes (par exemple., quand on le lit à voix haute dans un cubicule, les images du livre apparaissent et s'animent sur les murs), qui commence à se vendre dans les écoles francophones de l'Ontario.
Et ce, en dépit des sarcasmes : «Au Québec, personne ne m'écoute vraiment, on me traite de "poète"«, illustre-t-il. Mais c'est en train de changer, depuis son passage au dernier festival technologique SXSW, à Austin (Texas), qui a soulevé un enthousiasme spectaculaire. «On dit que nul n'est prophète en son pays...» lance-t-il, sourire en coin.
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