Qu'ont en commun Robert Brown, Isabelle Courville et Lucien Bouchard ? Outre le fait d'être des Québécois connus, les trois figurent dans notre premier palmarès des administrateurs de sociétés les plus en vue du Québec inc.
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Gestionnaires chevronnés, souvent fortunés et bardés de diplômes, les membres de ce cercle restreint de professionnels du droit ou de la finance sont si convoités par les conseils d'administration que l'on pourrait les qualifier d'hyperactifs de la gouvernance.
Au sommet du palmarès des vedettes des conseils d'administration : David McAusland, 60 ans, ancien vice-président de l'aluminerie Alcan. Peu connu du grand public, cet associé chez McCarthy Tétrault siège à lui seul à pas moins de 12 conseils d'administration, dont 5 de sociétés inscrites en Bourse (Cascades, Cogeco, Cogeco Câble, Khan Resources et ATS Automation Tooling Systems). Il en préside quatre d'entre eux.
De tous les avocats d'affaires de Montréal, il est celui qui se consacre le plus à la gouvernance de sociétés, tant publiques que privées, avec ou sans but lucratif. En 2013, ses activités dans les sociétés inscrites en Bourse [les seules pour lesquelles on dispose de la rémunération] lui ont rapporté quelque 474 000 $. «Il y a des êtres comme moi qui se passionnent pour la possibilité qui leur est donnée de contribuer à la croissance et la pérennité des entreprises», dit-il lorsqu'on l'interroge sur le nombre de ses engagements.
Ce premier classement des administrateurs repose sur le travail de l'équipe de recherche du journal Les Affaires qui, méticuleusement pendant plusieurs semaines, a épluché rapports annuels, circulaires de la direction et sites de sociétés et d'organismes de toute sorte. Résultat : un palmarès de plus de 70 administrateurs les plus actifs de la province, triés sur le volet et classés selon l'importance de leurs responsabilités (voir la méthodologie ci-contre)
Il en résulte un instantané d'un univers encore mal connu, évoluant derrière des portes closes et souvent taxé d'être refermé sur lui-même. Dominé surtout par des hommes, le milieu tend toutefois à laisser de plus en plus de place aux femmes, qui représentent près de 25 % de notre classement (voir autre texte). Et signe que les choses sont appelées à changer, 7 des 10 plus jeunes administrateurs de notre classement sont des femmes.
Deuxième au classement derrière David McAusland, Jean Lamarre, 60 ans, est le fils du fondateur de SNC-Lavalin, Bernard Lamarre. Maintenant consultant, l'ex-chef de la direction financière de SNC est membre d'une douzaine de CA. Du nombre, quatre sont des CA de sociétés cotées en Bourse (Semafo, TSO3, Technologies D-Box et Argos Therapeutics). M. Lamarre parvient à présider cinq conseils, dont ceux de D-Box, Semafo et Télé-Québec.
Au troisième rang, ex æquo avec Lucien Bouchard, figure John LeBoutillier, ex-patron de Sidbec-Dosco (aujourd'hui propriété d'ArcelorMittal) et de la Compagnie minière IOC (Iron Ore Company). Le retraité de 70 ans siège aujourd'hui à plus de 10 conseils d'administration de sociétés, dont 6 sont inscrites en Bourse (Industrielle Alliance, Semafo, Mazarin, Stornoway Diamond, Asbestos et NovX21).
L'ex-premier ministre du Québec Lucien Bouchard, maintenant associé chez Davis Ward Phillips & Vineberg, siège à sept conseils, dont quatre de sociétés inscrites en Bourse (Groupe BMTC, Saputo, TC Transcontinental et TransForce). Ces activités lui ont rapporté 534 000 $ en 2013.
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Trop occupés ?
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Est-ce qu'un tel niveau d'engagement au sein d'autant de conseils d'administration est souhaitable ? Autrement dit, à partir de combien de conseils excède-t-on la limite du raisonnable ? Sur cette question, les avis divergent.
Tout dépend, diront certains experts, de l'expérience des administrateurs, de leur niveau d'engagement au sein de chaque conseil et de l'importance des sociétés elles-mêmes. Les CA de sociétés inscrites en Bourse, par exemple, sont réputés pour être ceux qui requièrent le plus de temps de leurs administrateurs.
Le niveau d'engagement requis diffère également en fonction de la provenance des sociétés. Par exemple, selon une étude de Korn Ferry, les administrateurs canadiens consacreraient 304 heures par année en moyenne à leur fonction à l'extérieur des réunions comme telles, comparativement à 236 heures pour leurs homologues américains et à 215 heures chez les Européens.
Yvan Allaire, président exécutif du conseil de l'Institut sur la gouvernance d'organisations privées et publiques (IGOPP), est sans équivoque : «Celui qui occupe une fonction à temps plein ailleurs ne devrait pas siéger à plus de deux CA importants. Au-delà, cela doit se faire avec parcimonie».
Dans le cas de ceux qui choisissent de se consacrer à temps plein à leurs activités de gouvernance, celui qui est également professeur à l'UQAM fixe la limite à «quatre conseils importants». Au-delà, dit-il, les risques augmentent que l'administrateur «arrive mal préparé et soit pressé de partir, dès la réunion terminée».
Également expert des questions de gouvernance, Michel Magnan, doyen associé à l'École de gestion John-Molson de l'Université Concordia, soutient qu'une participation à «quatre conseils n'est pas insurmontable», mais qu'«au-delà de cinq, ça commence à faire pas mal». «Il y a 20 ans, il n'était pas rare qu'un administrateur siège à 20 CA différents, ajoute-t-il. Heureusement, c'est une chose qui ne se voit plus aujourd'hui.»
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Passe-temps à temps plein
Notre classement tend à confirmer que l'accumulation excessive de mandats est plutôt rare. Aucun des administrateurs les plus actifs que nous avons répertoriés ne cumule autant de responsabilités, même en incluant leur engagement auprès d'organismes à but non lucratif. N'empêche, pour nombre d'entre eux, cet engagement prend des allures de marathon.
«Vous savez, je n'ai jamais joué au golf. Je n'aime pas la chaleur de la Floride. Et je ne suis pas manuel, ce qui me permettrait de faire de l'ébénisterie, s'explique John LeBoutillier. Par contre, j'aime les affaires et je ne me verrais pas rien faire. Je suis comme ça ! C'est ce qui fait que je suis aussi occupé. Ma femme vous dirait que je travaille huit jours par semaine !»
Pour ce dirigeant retraité, le secret est de mener une gestion serrée de son calendrier de réunions. Le sien est fixé un an d'avance. L'agenda de David McAusland, qui continue de mener sa carrière d'avocat en parallèle, est fixé jusqu'à... «deux ans d'avance». «C'est la seule façon d'y arriver, dit celui qui se vante par ailleurs d'une «fiche de présence parfaite» aux réunions. C'est exigeant. Mais en général, c'est gérable. Comme le dit l'expression anglaise : If you want something done, give it to a busy person».
Une rémunération enviable
La question de la rémunération, sujet plutôt sensible, n'entre pas en ligne de compte lorsque vient le moment d'accepter ou non un mandat, assure M. McAusland. «Le temps disponible et l'envie d'apporter une contribution positive à une entreprise sont bien plus importants.»
N'empêche, les activités de gouvernance de ce dernier, comme celles de la plupart des administrateurs de sociétés cotées en Bourse [les entreprises privées ne divulguent pas la rémunération versée à leurs administrateurs], ont l'avantage de rapporter gros. Plus de 450 000 $ dans le cas de M. McAusland. Et, bien qu'il soit premier sur la base du pointage de notre classement, M. McAusland est loin d'afficher la rémunération la plus élevée. Il en va de même de Jean Lamarre, deuxième au classement, avec une rémunération totale de 228 900 $, dont 190 000 $ à titre de président exécutif du conseil de la société aurifère Semafo.
En fait, la palme de la rémunération à titre d'administrateur de sociétés publiques revient à une femme, jeune de surcroit. Âgée de 45 ans, Isabelle Marcoux (George Weston, Power Corporation, Rogers Communications, TC Transcontinental), neuvième au classement général, a cumulé des revenus de 996 000 $ en 2013. Plus de la moitié de cette somme (546 000 $) est attribuable à ses fonctions de présidente du conseil de TC Transcontinental (qui possède Les Affaires), société fondée par son père Rémi Marcoux et dirigée par son mari, François Olivier.
Siégeant à moins de conseils de sociétés publiques que d'autres, Robert Chevrier (RONA, Uni-Sélect et CGI) a tout de même touché des revenus d'administrateur de près de 993 000 $ en 2013. C'est plus du double de la rémunération reçue par chacun des membres de notre top 5 de la gouvernance.
Suivent ensuite Pierre Lapalme, actif dans des sociétés pharmaceutiques (Biomarin Pharmaceutical, Pediapharm, Insys Therapeutics, Aeterna Zentaris), avec plus de 942 000 $, Brian M. Levitt (Banque TD, Domtar, Talisman), avec plus de 912 000 $, et le président du conseil de l'ex-Aéroplan, Robert E. Brown (Aimia, BCE, Rio Tinto), avec presque 907 000 $.
Enfin, le fondateur de Telesystem, Charles Sirois (Banque CIBC, Rogers Communications), n'est pas en reste. Engagé dans divers organismes liés à l'entrepreneuriat et dans une kyrielle de sociétés privées, lui appartenant souvent en tout ou en partie, il a touché en 2013 des revenus de 547 000 $ pour ses activités de gouvernance, dont 375 000 $ pour la seule présidence du conseil de la Banque CIBC, qu'il quittera en avril.
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