Que vous réserve l'avenir sur le plan professionnel? Elle est angoissante, cette interrogation, n'est-ce pas? Pourtant, qu'on le veuille ou non, elle est toujours pertinente.
Le hic, c'est qu'il semble impossible d'y répondre avec justesse. Car il y a trop de variables pour pouvoir s'aventurer à une réponse précise. Pas vrai? Eh bien, détrompez-vous. Il est possible de le savoir. Si, si…
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Comment? Grâce à une étude exceptionnelle intitulée An economy doing half its job. Pourquoi exceptionnelle? Parce qu'elle est signée par deux professeurs d'exception, tous deux de Harvard (États-Unis) et spécialisés en stratégie d'entreprise : Michael Porter et Jan Rivkin. Et parce que ces deux auteurs de best-sellers en management ont bénéficié de l'aide de quatre autres sommités de Harvard, soit Joseph Fuller, Allen Grossman, Rosabeth Moss Kanter et Kevin Sharer.
Cette étude est d'une redoutable simplicité. Elle vise à dessiner l'avenir de la productivité des États-Unis, et ce à partir d'un seul élément, à savoir ce qu'en pensent un échantillon de 1947 anciens élèves de la Harvard Business School, autrement dit des hauts-dirigeants d'entreprises clés pour l'économie américaine.
L'un des passages de l'étude concerne spécifiquement l'avenir de la main-d'œuvre des États-Unis. Et donc, en extrapolant un peu, ce qui nous attend, vous et moi, dans un futur proche. Le hic, c'est que ce qu'on y découvre a de quoi faire frémir…
> La technologie plutôt que l'humain. À la question «Votre entreprise préfère-telle investir dans de nouvelles technologies plutôt que dans l'acquisition et le développement des compétences de vos employés?», 46% des personnes interrogées ont reconnu que la priorité était donnée aux nouvelles technologies. Pourquoi? Parce que, d'après eux, ce sont elles qui permettent aujourd'hui de vraiment gagner en productivité, non pas l'humain. En fait, seulement 9% croient encore que mieux vaut miser sur l'humain plutôt que sur les nouvelles technologies!
Comme pour enfoncer le clou, 1 participant au sondage sur 2 a indiqué que les besoins en main-d'œuvre qualifiée de son entreprise allaient stagner, voire régresser durant au moins les trois prochaines années. En indiquant cela, ils ont précisé que ça concernait surtout une catégorie de travailleurs, à savoir ceux qui occupent des postes ne nécessitant pas plus qu'un diplôme de premier cycle universitaire (baccalauréat, au Québec). Soit les machinistes, les infirmières en soins généraux et autres techniciens en informatique, lesquels représentent de nos jours la moitié (48%) des employés chez notre voisin du Sud.
> Les contractuels plutôt que les salariés. À la question «Votre entreprise préfère-t-elle recourir à des contractuels plutôt qu'à l'embauche de nouveaux employés?», 49% des personnes interrogées ont répondu par l'affirmative. D'ailleurs, 69% reconnaissent faire maintenant davantage appel aux services de contractuels qu'il y a de cela trois ans.
«En 2000, les dépenses des entreprises en programmes de formation pour leurs employés représentait 0,52% du Produit Intérieur Brut (PIB) des États-Unis. En 2012, ce pourcentage est tombé à 0,34%. Ce qui indique clairement un désengagement des employeurs envers le développement du talent de leurs employés», notent MM. Porter et Rivkin dans leur étude.
Comment expliquer un tel phénomène? En effet, comment des entreprises qui veulent en toute logique perdurer et croître peuvent-elles en venir à se dire qu'il faut pour cela tourner le dos à l'humain? Les deux chercheurs de Harvard ont, bien entendu, tenu à le savoir.
Ils ont par conséquent posé des questions plus pointues encore ainsi qu'analysé nombre d'études, pour en venir aux conclusions suivantes (encore provisoires, car cette étude n'est que préliminaire, la version finale étant prévue pour 2015) :
> Myopie des managers. Le désintérêt des managers pour le développement professionnel de leurs employés provient essentiellement du fait qu'ils ont des objectifs à court terme à atteindre. Il leur semble plus rapide de tirer bénéfice d'une nouvelle technologie que d'une nouvelle compétence acquise par un employé, aussi pertinente soit-elle; et donc, plus efficace de miser sur la technologie que sur l'humain. Aussi le problème résulte-t-il d'une vision managériale "myope", en ce sens qu'elle ne voit bien que de près.
> Déphasage entre l'entreprise et son écosystème. Les besoins en main-d'œuvre qualifiée des entreprises ne cessent d'évoluer, car les défis à relever sont toujours plus grands et variés. L'ennui, c'est que le système éducatif, lui, ne peut pas suivre le rythme. Résultat? Le fossé entre les compétences des nouveaux diplômés et les besoins des entreprises va grandissant. Il est désormais si large que les entreprises se détournent de leur écosystème pour trouver les employés et les talents dont ils ont besoin, pour s'intéresser à d'autres solutions potentielles, comme la croyance – maintenant solidement implantée en nous tous – que la technologie permet de pallier tous les "manquements humains".
> Dysfonctionnements au sein de l'écosystème. Les entreprises s'impliquent de moins en moins dans l'écosystème dans lequel elles sont nées et ont grandi, considérant que celui-ci est de moins en moins en mesure de répondre à leurs besoins croissants. Cela n'est pas sans conséquences. L'une d'entre elles, c'est l'apparition de dysfonctionnements dans les flux de communication d'informations entre les différents acteurs de l'écosystème.
Prenons un exemple pour bien saisir… Les entreprises ont maintenant le réflexe de chercher ailleurs les talents dont elles ont besoin, et donc de ne plus surveiller ce qui se passe à proximité. Du coup, elles ratent de précieuses informations venant de leurs écosystèmes, notamment des informations liées aux perles rares qui viennent d'apparaître localement. Et elles se désespèrent, en se plaignant de la pénurie de main-d'œuvre qualifiée; une pénurie due plutôt à leur auto-aveuglement.
«Un signe est révélateur, mais est rarement bien interprété : les fameux surdiplômés qui atterrissent au chômage à la sortie de l'université. Ces jeunes diplômés ne sont pas, en fait, "surdiplômés", c'est juste que les entreprises ne font pas l'effort de regarder en quoi leurs immenses connaissances pourraient leur être utiles», disent MM. Porter et Rivkin. Elles cherchent seulement à combler le poste, par exemple, d'un programmeur-analyste Java et Oracle PL/SQL, au lieu de réfléchir à tout ce que pourrait faire pour elles tous ces jeunes "surdiplômés" en informatique qui gravitent autour d'elles et ne demandent qu'à briller dans le cadre d'une mission trippante.
Voilà. Oui, voilà pourquoi l'avenir est sombre pour les employés, de manière générale. Les employeurs sont en effet convaincus que pour briller à court terme, il leur faut se détourner de l'humain pour se reposer sur la technologie. Une conviction née d'une vision déficiente de leur avenir et de leur écosystème; une vision souffrant de myopie : le myope voit moins bien de loin que de près.
Peut-on corriger le tir? Ou plutôt, la myopie handicapante des entreprises? Les deux professeurs de Harvard pensent que oui. C'est possible. Pas simple, mais possible. «La persistance de ce défaut de vision est inacceptable. Car elle représente un danger terrible pour l'ensemble de l'économie américaine, en particulier à moyen et long terme. Il est impératif d'y remédier au plus vite», lancent-ils dans leur étude.
Comment? «Il convient de rétablir les flux d'informations au sein des écosystèmes dans lesquels évoluent les plus grandes entreprises américaines, ce qui aura par ricochet un effet bénéfique sur toutes les autres entreprises évoluant autour d'elles. Il convient aussi de dynamiser la collaboration entre les acteurs clés de ces mêmes écosystèmes. Il convient enfin d'encourager les meilleures pratiques en matière d'emploi dans toutes les régions du pays ainsi que dans tous les secteurs économiques, soit dans les deux zones d'influence qui pâtissent le plus actuellement du désintérêt des entreprises pour leur écosystème originel», suggèrent-ils.
Autrement dit, il est urgent pour les entreprises de se remettre à penser local si elles veulent véritablement devenir durables. Sans quoi il leur sera bientôt impossible de dénicher les ressources – humaines et autres – dont elles ont besoin pour grandir, pour ne pas dire survivre à la prochaine tempête.
Quant à notre avenir professionnel, à vous comme à moi? Eh bien, on peut commencer à se rassurer en se disant que maintenant que le mal dont souffrent les entreprises est identifié il va être possible de le guérir. D'autant plus qu'il ne s'agit que d'un défaut de vision, ce qui est mineur. Ensuite, on peut agir, et chercher à tirer partie de la situation en s'y adaptant, le temps que les entreprises soignent leur vue. Comment, au juste? À chacun de voir en fonction de sa situation personnelle, bien sûr, l'idée étant toutefois d'user d'intelligence. Ce qui peut se faire, par exemple, en trouvant le moyen de convaincre l'employeur de vos rêves de l'utilité pour lui de vos talents cachés, et non pas de votre capacité à bêtement répondre aux exigences d'un poste à combler. Bref, en ayant l'audace d'être vous-même!
En passant, le romancier britannique Nicholas Shakespeare a dit dans La Vision d'Elena Silves : «Ils ont échoué parce qu'ils n'avaient pas commencé par le rêve».
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