BLOGUE. On dit que l’argent fait le bonheur, du moins qu’il y contribue grandement. Inversement, nombre de philosophes de la Grèce antique nous alertent sur le fait qu’être riche ne permet aucunement d’être heureux, car l’être humain est ainsi fait qu’il en voudra toujours plus, et ne s’estimera donc jamais assez riche. Et ils soulignent que la vraie richesse ne peut résider dans la somme d’argent que l’on a dans nos coffres. Qui croire? Et par suite, y a-t-il la moindre corrélation entre notre salaire et notre bonheur dans la vie?
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La réponse à cette interrogation existentielle, accrochez-vous bien, je l’ai! Sans mentir. Je l’ai trouvée dans une étude intitulée Money and happiness : Evidence from the industry wage structure, signée par Jörn-Steffen Pischke, professeur d’économie à la London School of Economics. Ce dernier a remarqué qu’il y avait un grand nombre d’études sur les liens possibles entre l’argent et le bonheur, mais pas vraiment entre le salaire et le bonheur.
De fait, des chercheurs se sont penchés sur le cas des Allemands de l’Est, juste après leur réunification avec leurs frères de l’Ouest. Frijters, Haisken-DeNew et Shields ont ainsi regardé en 2004 si le bond des revenus des Allemands de l’Est leur avait procuré une plus grande satisfaction dans la vie, ou pas. Résultat : avoir un meilleur niveau de vie a contribué à les rendre plus heureux.
Idem, Gardner et Oswald, en 2007, tout comme Apouey et Clark, en 2009, se sont intéressés à ceux qui avaient gagné à la loterie, en particulier ceux qui n’avaient pas gagné des millions. Là encore, les personnes concernées se disaient plus heureuses qu’auparavant.
Enfin, Li, en 2011, a étudié le cas de jumeaux qui avaient connu des destins différents sur le plan financier. Une fois de plus, le plus riche des deux est le plus heureux des deux dans la vie.
Le hic dans ces études? Rien ne dit clairement qu’il y a bel et bien un lien entre la richesse et le bonheur. Il se peut que d’autres facteurs soient intervenus, avec une influence non négligeable. D’où l’intérêt du travail de M. Pischke, mais un travail complexe à réaliser…
En effet, il lui a fallu trouver une méthodologie permettant de déceler toute corrélation éventuelle entre le salaire et le bonheur, et évaluer l’incidence d’autres facteurs pouvant avoir une influence dans celle-ci. Pour cela, il a procédé en différentes étapes, à savoir qu’il a analysé plusieurs données socio-économiques (aux Etats-Unis et en Europe), puis il a affiné sa réflexion à l’aide d’études plus précises sur certains points (impact du revenu familial sur le bonheur des individus, etc.).
Ses trois sources principales ont été l’US General Social Survey, l’European Social Survey et le German Socio Economic Survey, lesquelles lui ont permis d’évaluer les niveaux de salaires de différentes catégories de personnes, de 1972 à 2006. Mais ce n’était pas tout. S’y trouvaient aussi des réponses à des sondages tels «De manière général, considérez-vous aujourd’hui que vous êtes heureux, très heureux, ou pas heureux du tout?».
Qu’y a-t-il trouvé? Des choses très intéressantes. Par exemple, M. Pischke a découvert qu’aux Etats-Unis toute progression du niveau salarial de 10% entraîne automatiquement un surplus de satisfaction dans la vie par rapport aux autres, un surplus évalué à 1,6 point de pourcentage. Mieux, en Europe, le même surplus atteint en moyenne les 2,2 points, et en Allemagne en particulier, les 3,2 points.
Bien entendu, il s’agit là de généralités dont il faut user avec prudence. Le chercheur a alors observé différentes catégories de personnes. Il a notamment regardé ceux qui ont un salaire supérieur à la médiane, tout comme ceux qui en ont un inférieur à la médiane, et ce dans différents pays. Résultat? Sans équivoque, ceux qui gagnent le plus sont globalement les plus heureux dans la vie.
L’air de rien, tous ces résultats qui convergent dans le même sens – un salaire élevé fait le bonheur - posent problème. De fait, il se pourrait que d’autres facteurs influencent grandement le bonheur dans la vie (être amoureux de son conjoint, avoir de beaux enfants, pouvoir se livrer à son hobby, etc.), au point de fausser les résultats. Par exemple, on peut imaginer qu’un homme est heureux parce qu’il vit avec la «femme de sa vie», mais que celle-ci ne soit en réalité à ses côtés qu’en raison de son salaire élevé. Il se pourrait aussi que les études analysées ne tiennent pas compte de toutes les données pertinentes : par exemple, nombre de personnes préfèrent gagner moins et faire un job trippant que l’inverse (d’ailleurs de plus en plus d’entreprises misent là-dessus pour attirer les jeunes diplômés, ces temps-ci…), et sont donc plus heureuses que si elles gagnaient davantage…
Afin d’y voir plus clair dans tout ça, M. Pischke a scruté de près quantité de critères pouvant jouer dans la corrélation entre le salaire et le bonheur, comme l’âge, le statut marital et autres niveaux d’éducation et de satisfaction au travail, et même de productivité. Mais il n’a pas trouvé quoi que ce soit qui ait une influence suffisante pour changer la donne. Il y a bel et bien un lien direct et positif entre son salaire et son degré de bonheur dans la vie. Salaire élevé = Grand bonheur.
Voilà qui ouvre tout un champ de réflexions pour ceux qui se piquent de management! Suffit-il ainsi d’accroître le salaire d’un employé pour le rendre plus heureux, et donc, peut-être, plus productif? Et de façon plus large, une hausse de 10% des salaires de l’ensemble des employés permettrait-il d’atteindre des objectifs que l’on n’imagine même pas? Serait-ce vraiment aussi simple que cela?
Pour ma part, j’invite plutôt à réfléchir sur les prémisses de l’étude. Une question me vient à l’esprit : au fond, c’est quoi un salaire «élevé»? S’agit-il d’un salaire supérieur à celui des autres? Et donc, le bonheur résiderait-il tout bonnement dans la comparaison – à notre avantage – avec les autres? Nous sentons-nous heureux juste parce qu’on a une blonde plus mignonne que celle des autres, une voiture plus puissante, ou encore un compte en banque plus conséquent?
Qu’en pensez-vous vous-même?
En passant, une merveilleuse pensée de l’humoriste Groucho Marx : «L'argent ne fait pas le bonheur, et c’est absolument vrai, mais, c'est une chose bougrement agréable à posséder dans un foyer»…
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