BLOGUE. Il y a des liens étroits entre le jeu d’échecs et le management. Beaucoup plus qu’on ne croit. C’est nul autre que Garry Kasparov, l’un des plus grands champions de tous les temps, qui me l’a appris, à la sortie de son livre , La vie est une partie d'échecs (JC Lattès / How Life Imitates Chess, Bloomsbury), en 2008.
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Celui qui est devenu le plus jeune champion du monde d'échecs, à 22 ans, et qui a accompli l'exploit de conserver son titre pendant 15 ans s’est retiré de la compétition en 2005. Dans les années qui ont suivi, il s’est demandé pourquoi il était devenu un prodige. C’est que ce qui se passe dans la tête d'un joueur d'échecs, à plus forte raison dans celle d'un champion du monde, paraît toujours étrange aux néophytes. Combien de coups calcule-t-il à l'avance? Faut-il être surdoué pour bien jouer?
Durant toute sa carrière, ces mêmes questions lui ont été posées. Et à la surprise générale, il donnait sans relâche les mêmes réponses : «Le nombre de coups que je vois d'avance n'excède pas quatre ou cinq, en général» (tout joueur de bon niveau y parvient) et «Désolé, je ne suis pas le génie que vous croyez».
Alors? Quelle explication à ce mystère? Dans son livre, Garry Kasparov décortique le secret de sa réussite et invite les lecteurs à appliquer sa méthode pour améliorer leur performance au travail.
1. Adoptez la méthode MTQ (matériel, temps, qualité)
La première tâche d'un joueur d'échecs est d'évaluer sa situation. De celle-ci découlera le meilleur coup à jouer.
Pour commencer, il compte ses pièces et celles de son adversaire pour savoir si l'un des joueurs détient un avantage matériel. Idem au travail : un chef d'équipe fait l'inventaire de ses forces pour mener à bien le projet dont il est chargé (personnel, budget, etc.).
Puis, il regarde le temps dont il dispose.
Enfin, il estime la qualité de sa situation. Par exemple, un joueur peut avoir moins de pièces que son adversaire, mais elles peuvent avoir une disposition si avantageuse qu'il peut espérer gagner rapidement. «Dans un combat, une force plus légère et plus rapide peut déjouer et surpasser une force supérieure en nombre», souligne Garry Kasparov.
En tenant compte du M, du T et du Q, on sait si l'on est en bonne ou mauvaise posture.
2. Réfléchissez de manière efficace
Après l'évaluation, il convient de trouver la meilleure façon d'agir.
Aux échecs, les débutants se perdent dans l'examen d'une multitude de coups possibles, alors que les champions ne regardent que deux ou trois coups raisonnables. Pour arriver à ce niveau, une technique existe : «l'élagage de l'arbre de décision», selon le champion russe. Cela se résume à n'étudier que deux ou trois possibilités radicales.
Prenons le cas d’un cadre qui entend dynamiser sa carrière. Celui qui procède sans méthode va tergiverser («Dois-je travailler plus d'heures pour obtenir de meilleurs résultats? Dois-je apprendre à jouer au golf pour étendre mon réseau de contacts? Etc.»), et n'entreprendra rien d'efficace.
«Celui qui utilise la méthode MTQ peut, entre autres, envisager de quitter son poste très bien rémunéré pour entreprendre un MBA. Il fera un sacrifice matériel pour acquérir de nouvelles compétences, et décrocher un emploi plus intéressant», illustre-t-il.
3. Soyez agressif
Malgré tout, s'il vous est encore difficile de trancher, fiez-vous à votre flair. «L'intuition et l'instinct forment les bases solides de notre prise de décision, surtout quand on est pris dans le feu de l'action», dit M. Kasparov.
Dans leurs décisions, certains aiment prendre des risques, tandis que d'autres préfèrent être prudents. Pour M. Kasparov, un attaquant-né, le choix s'impose de lui-même. «Faire preuve d'agressivité permet de mettre beaucoup de pression sur l'adversaire, qui peut finir par commettre une bévue irréparable», dit-il.
«Il ne s'agit pas d'être un bon gars ou non. Il s'agit de maintenir en permanence un niveau d'exigence pour soi-même, son environnement et son entourage. C'est le contraire de la complaisance et du laisser-aller», ajoute-t-il.
4. Cassez la routine
Autre truc du champion russe : lutter contre l'engourdissement de la routine, qui nous fait trop souvent prendre des décisions en fonction de notre expérience.
«Faire preuve de créativité dans chacune de nos décisions contribue à notre évolution vers l'excellence», souligne- t-il, en citant l'exemple de Jack Welch qui donna un mois de congé au directeur le plus ancien d'une division de GE en perte de vitesse afin qu'il puisse, à son retour, agir comme s'il n'avait pas exercé cette fonction depuis des années.
M. Kasparov a un conseil pour y parvenir. «Analysez rigoureusement le dernier projet que vous avez mené à bien, et décelez-y des failles. Vous découvrirez ainsi comment innover la prochaine fois», dit-il.
Limpide, non? Garry Kasparov a réussi le tour de force, à mon avis, de rendre simple et accessible ce qui nous paraît complexe. Je lui ai demandé s’il considérait que sa méthode MTQ était applicable à n’importe quelle situation dans la vie quotidienne. Voici sa réponse :
«Absolument! D'ailleurs, j'ai découvert ce concept non pas en réfléchissant sur les échecs, mais en lisant une biographie de Napoléon, et en particulier un passage décrivant une de ses batailles. Il m'est soudain apparu que ces trois blocs - le matériel, le temps et la qualité - sont les fondations de toute activité.
«En fait, nous nous en servons constamment, mais de manière inconsciente. Quand nous effectuons une action, nous gérons au mieux deux données, à savoir les biens matériels et le temps, dans l'optique de gagner en qualité.
«Je m'explique. Un entrepreneur doit faire des choix pour la réalisation d'un projet : par exemple, embaucher pour renforcer son équipe et voir ainsi le projet mené à bien plus vite? Ou bien accorder davantage de temps à l'équipe sur ce projet, au détriment d'autres projets? Le but est de réaliser un gain en qualité, lequel peut se traduire par une marque plus forte, une meilleure réputation de l'entrepreneur auprès de ses employés, ou encore une équipe plus compétente.
«Une fois que vous êtes conscient de la méthode MTQ, l'important est d'y recourir le plus souvent possible.»
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