BLOGUE. Avez-vous remarqué comme moi que le mot à la mode ces temps-ci, c’est «entrepreneurship»? Tout le monde, les écoles de commerce, les chefs d’entreprise, les politiciens, oui, tout le monde n’a qu’une envie - qu’un souci, dirais-je : donner le coup de pouce nécessaire pour que des jeunes se lancent en affaires. Aux États-Unis, c’est devenu plus qu’une tendance : rien que dans les années 1990, plus de 300 chaires en entrepreneurship ont vu le jour dans les écoles de commerce. Des milliers d’études ont été menées sur ce sujet, histoire de découvrir les éléments déclencheurs efficaces pour donner le goût des affaires aux étudiants. Et l’une des toutes dernières m’a captivé…
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Josh Lerner, professeur en management à la Harvard Business School, et Ulrike Malmendier, professeure en économie à Berkeley, se sont penchés sur un point très précis. Ils ont remarqué que nombre d’études s’intéressaient à ce qui faisait qu’une personne lance son entreprise ou non, mais omettaient de regarder si celle-ci allait droit dans le mur ou bien réussissait à survivre aux premières années d’existence, les plus critiques. C’est en effet bien beau de dire qu’on a permis à plein de jeunes de devenir entrepreneurs, mais si c’est pour les voir s’écrouler aussitôt, c’est à se demander si on a bien fait de les pousser en ce sens, non?
Les deux chercheurs ont alors focalisé sur un point en particulier : les étudiants qui se destinent à devenir entrepreneurs s’influencent-ils les uns les autres, positivement comme négativement, au point de déterminer si l'entreprise que chacun d'eux va lancer rencontrera le succès ou non? Pour le savoir, ils ont mis la main sur des données très fouillées concernant 5 897 personnes qui ont étudié en MBA à la Harvard Business School entre les années 1997 et 2004 : leur âge, leur sexe, leurs diplômes, leur carrière avant et après le MBA, etc. Pourquoi elles? Parce qu’elles étaient statistiquement intéressantes. De fait, ces étudiants ont passé la première année ensemble, dans un groupe de 80 à 95 personnes qui n’a pas changé en cours de route, si bien que se sont créés nécessairement des liens entre eux.
Ce qu’ils ont découvert les a surpris… Plus il y avait d’étudiants qui avaient déjà un passé d’entrepreneur, moins il y avait d’étudiants qui décidaient de se lancer dans les affaires après le MBA! Curieux, non? On pourrait se dire qu’au contraire, il est bon d’avoir parmi ses étudiants des personnes qui ont du vécu, et donc des expériences à partager avec les autres. Mais là, on pourrait croire qu’ils ont dégoûté les autres.
Après s’être gratté la tête un moment, perplexes, les deux chercheurs ont affiné leur analyse, et trouvé qu’en réalité le fait que des étudiants aient connu déjà un échec en tant qu’entrepreneur faisait diminuer le nombre de créations d’entreprises vouées à une fin rapide. Ainsi, en partageant leurs erreurs avec les autres, ils ont permis à ceux qui voulaient se lancer d’avoir plus de succès, et ils ont évité à ceux qui n’étaient pas bien sûr d’eux de connaître un ratage. M. Lerner et Mme Malmendier ont regardé de près une autre conséquence potentielle : l’expérience des étudiants qui ont déjà été entrepreneurs a-t-elle permis aux autres de mieux choisir leurs cours (finance, marketing, etc.) pour les années suivantes de leur MBA? Mais, ils n’ont pas pu trouver de réponse catégorique à cette interrogation.
Par conséquent, l’important n’est pas de chercher à attirer le plus de jeunes possible vers une carrière dans le milieu des affaires, mais de leur apporter davantage de soutien dans l’identification et l’évaluation d’idées prometteuses. Certes, il faut apprendre les bases pour monter un plan d'affaires qui tient la route et pour se sentir assez à l'aise pour partir à l'aventure, mais cela ne suffit pas. Il est vital de prendre conscience qu'on peut voir son rêve s'évaporer et que rien ne sert de s'y accrocher, même si l'on croit sur l'instant que toutes les années qu'on y a consacrées l'ont été en pure perte.
On cherche souvent à mettre en avant des modèles de réussite, des gens d'affaires brillants qui volent de succès en succès ou qui ont su aisément rebondir après une déconvenue. Mais, il semble qu'on en apprenne davantage en cotoyant des pairs qui ont échoué sur toute la ligne ou presque. La vérité jaillit alors sans fard, une vérité qui peut se révéler salvatrice. Et puis, prendre conscience des difficultés qui nous attendent et même du fait qu’un échec n’est jamais la fin du monde n'est jamais chose mauvaise. Pas vrai?
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