BLOGUE. Vous comme moi, nous cherchons toujours à être dans le vrai, n’est-ce pas? Rien de pire que de se tromper, ou de dire une énorme bêtise devant tout le monde. Et si jamais cela se produit, on s’en mord les doigts. Pourtant, il semble que notre volonté acharnée de ne jamais faire d’erreur soit elle-même une grosse bourde…
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C’est ce que j’ai appris en regardant la présentation passionnante de Kathryn Schulz à Ted, qui a eu lieu en mars dernier à Long Beach (Californie), sur ce sujet. Kathryn Schulz? La journaliste free-lance qui a écrit Being Wrong : Adventures in the Margin of Error ainsi que la série The Wrong Stuff sur le site Web Slate.com, et qui se désigne elle-même, non sans ironie, comme une Wrongologist.
Ainsi, depuis notre tendre enfance, nous avons été éduqués à chasser l’erreur : celui qui se trompe à de multiples reprises dans sa copie reçoit une sale note, celui qui ne dessine pas parfaitement une voiture ou un dinosaure se fait corriger, celui qui met une barre en trop pour écrire la lettre «F» se fait sermonner, etc. Que ce soit à l’école ou à la maison, tout le temps, on se fait reprendre à la moindre bévue.
Résultat? Nous avons honte quand nous nous trompons. La situation est embarrassante : il faut revenir à la maison avec sa copie et expliquer à ses parents pourquoi celle-ci est truffée de bêtises, puis promettre de faire mieux la prochaine fois. Idem, plus tard, au travail. Pas vrai?
Kathryn Schulz utilise une magnifique illustration de ce phénomène qui nous est devenu si naturel qu’on n’y prête même plus attention : le dessin animé de la Warner Bros intitulé Bip Bip et Coyote, signé par Chuck Jones. Le principe est toujours le même, à savoir que Coyote va tenter par tous les moyens d’attraper le géocoucou dénommé Bip Bip, qui est beaucoup plus rapide que lui. Pour cela, il va inventer mille stratagèmes loufoques, comme des patins à réacteurs et une catapulte géante, qui se retourneront immanquablement contre lui. «Le comique découle non pas du fait que Coyote rate son coup à chaque fois, mais plutôt du fait qu’il ne se rend jamais compte qu’il est dans l’erreur», dit Mme Schulz.
En vérité, Coyote finit par se rendre compte qu’il s’est trompé, mais trop tard. Quand il est déjà dans le vide, à la seconde même où son corps va amorcer une chute vertigineuse. Ou durant le quart de seconde avant de percuter à toute allure une paroi rocheuse du désert californien. Et alors, il panique. Il panique totalement. Mais, en vain. Et nous éclatons de rire, comme un exutoire.
Ce rire est révélateur de notre malaise face à l’erreur. Il nous fait réaliser, quand on prend la peine d’y songer, qu’il est dangereux de se croire être dans le vrai. C’est alors qu’on risque de commettre les pires bêtises. «Quand nous sommes convaincus d’avoir raison et que d’autres ne sont pas d’accord avec nous, que faisons-nous? Dans un premier temps, on considère que les autres n’ont pas les mêmes informations que nous, ce qui explique qu’ils sont dans l’erreur. S’ils persistent à nous contredire, alors nous pensons que ce sont des idiots. Et s’ils insistent toujours, alors là, on se met à croire qu’ils font ça rien que pour nous embêter», dit la journaliste américaine, en soulignant que ce processus de réflexion que nous avons tous est idéal pour nous mener à la catastrophe.
Que faire pour s’extirper de cette trappe mentale? «Le mieux n’est pas de chercher à voir le monde tel qu’il est, mais tel qu’il n’est pas», explique-t-elle de manière magistrale. Une pensée prodigieuse, à mon avis! En effet, voir le monde tel qu’il est est une mission impossible, car chacun le voit, ou plutôt le perçoit, avec ses propres sens et avec le filtre de son propre cerveau. Par exemple, quand vous pensez au ciel étoilé, quelle image vous vient-elle en tête? Certains peuvent songer à une carte des astres. D’autres, à une photo prise par Hubble. D’autres encore, à une toile de Van Gogh. Alors, le mieux est bel et bien de tenter de le voir «tel qu’il n’est pas», c’est-à-dire d’aller au-delà de nos propres perceptions, et donc de nos propres limites, et ce grâce aux perceptions des autres. Par exemple, l’un peut vous pointer dans le ciel une comète qui vous avait échappée, et un autre, une constellation d’étoiles que vous ne connaissiez pas.
«Vouloir éradiquer l’erreur est une erreur, car elle est une richesse inestimable pour l’homme», lance Kathryn Schulz, en s’appuyant sur la fameuse pensée de Saint-Augustin «Fallor ergo sum» («Je me trompe, donc je suis»). C’est que l’erreur est le sel du travail : à petite dose, il lui donne du goût, et à trop forte dose, il le rend dégoûtant.
«En réalité, nous adorons nous tromper. Prenez les téléséries. Chaque épisode repose sur le même truc : nous anticipons ce qui va suivre, et puis – ô surprise! – il se passe autre chose. Les scénaristes ont été plus malins que nous, et ça nous fait craquer, au point de vouloir regarder la suite, sans nous lasser», raconte-t-elle.
L’équation est donc fort simple : Erreur = Surprise = Créativité. D’où ma question initiale : «Faites-vous assez d'erreurs?». Si votre réponse est «non» après avoir lu cette chronique, alors vous venez de faire un énorme progrès. Et si elle est «oui», alors je peux m’avancer en affirmant que vous venez de vous tromper…
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