BLOGUE. Dîtes-moi si je me trompe, mais il semble que l’une des grandes inquiétudes des entreprises, en cette période de pénurie de main-d’œuvre qualifiée, c’est l’engagement des employés envers leur employeur. L’engagement, et ce qui en découle souvent, la fidélité. Pas vrai?
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C’est que le marché de l’emploi est en pleine révolution… Les baby-boomers, dont l’une des caractéristiques est la fidélité, sont en âge de partir à la retraite. Et déboulent les toutes nouvelles générations – X, Y, C, Millenium, etc. –, aux valeurs diamétralement opposées. Du coup, certains employeurs paniquent et commencent à se dire qu’il faut tout faire pour retenir un peu plus longtemps les baby-boomers. Bref, ils ont le réflexe de se mettre la tête dans le sable…
Cette inquiétude grandissante, elle était palpable, hier, à la conférence Les affaires intitulée Fidélisez vos meilleurs talents, qui s’est tenu au Hyatt Regency de Montréal (et qui se poursuit aujourd’hui-même, avec des ateliers pratiques). L’audience était avide de conseils et autres astuces pour s’assurer de la fidélité des employés, un peu comme un conjoint vieillissant qui commence à avoir peur de ne plus plaire à l’amour de sa vie…
D’emblée, Christian Vandenberghe, professeur de management aux HEC Montréal, a asséné un coup de massue, lors de la présentation qui a débuté la journée : «Une étude que j’ai menée l’an dernier avec des collègues montre qu’au Canada 35% des employés sont désengagés. Cela signifie qu’1 employé sur 3 risque bel et bien de démissionner volontairement dans les 12 prochains mois», a-t-il dit. (Lourd silence dans la salle.)
Comment expliquer un tel désamour? Pour y voir plus clair, il convient de réfléchir sur la notion d’engagement, que l’on peut définir comme le lien que l’employé perçoit entre lui-même et son employeur. D’après le professeur, il existe trois formes distinctes d’engagement :
> Affectif. L’employé s’identifie aux valeurs et aux objectifs de l’entreprise.
> Normatif. Ça correspond, entre autres, au sentiment du devoir, ou à la dette morale que l’employé considère qu’il a envers l’entreprise.
> Calculé. Ce sont les raisons matérielles qui incitent l’employé à rester là où il est. «C’est ce que j’appelle le mauvais cholestérol», souligne le professeur.
On le voit bien, la première forme – l’affectif – est la meilleure des formes d’engagement, car les liens entre l’employé et l’employeur sont alors sains et durables. Quant aux autres, ils posent inévitablement des problèmes, à plus ou moins long terme : par exemple, le jour où un concurrent va proposer à votre jeune prodige des meilleures conditions de travail (salaire, avantages sociaux, etc.), celui-ci ne va pas hésiter longtemps à vous quitter.
L’objectif premier de tout employeur qui tient à conserver ses meilleurs éléments – ou à les attirer à lui – va par conséquent consister à tout miser sur l’engagement affectif. Et à transformer les autres types d’engagement en vigueur dans ses rangs en engagement affectif, dans la mesure du possible. Selon M. Vandenberghe, plusieurs leviers sont à sa disposition : offrir du soutien en période de difficulté, développer les compétences des employés, leur faire davantage confiance, reconnaître leur mérite comme il se doit, etc. De ceux-ci, j’en retiens deux qui m’ont paru particulièrement intéressants :
> Prendre des décisions justes. «Un jour, le patron d’une entreprise de camionnage a offert une prime spéciale à l’un des chauffeurs parce que pendant l’année écoulée il ne s’était pris aucun ticket et avait entretenu son véhicule avec un soin extrême. Le lendemain, tous les autres chauffeurs ont protesté, et leur motivation en a pris un méchant coup», a illustré le professeur.
Que s’est-il passé? L’employeur voulait bien faire, en récompensant un employé modèle. Il croyait que cela allait inciter les autres à faire comme lui. «L’erreur, c’est qu’il n’avait pas compris que le processus d’une décision compte plus que le résultat», a dit M. Vandenberghe. Ainsi, il n’a pas fait preuve de transparence et de clarté en attribuant cette prime, n’ayant pas vraiment expliqué à qui que ce soit le pourquoi de sa décision. Il n’a pas non plus rendu les choses prévisibles : c’était une prime surprise, à laquelle personne ne s’attendait, pas même son bénéficiaire.
Résulltat? Ce patron a changé son fusil d’épaule et a expliqué à tous que désormais, tout chauffeur qui remplirait telle et telle condition dans son évaluation de fin d’année toucherait une prime d’un montant prédéterminé. Et tout s’est nettement mieux déroulé la fois suivante.
> Désarmer les cyniques. L’un des facteurs qui nuit grandement au moral des troupes, et donc à leur engagement dans les projets de l’entreprise, ce sont les cyniques. Oui, vous savez, ceux qui sont très actifs pour critiquer les moindres faits et gestes de la haute direction, voire de leur propre manager. Vous en connaissez sûrement dans votre entourage… Eh bien, le mieux, d’après le professeur, n’est surtout pas de chercher à les dégoûter pour les voir partir d’eux-mêmes de l’entreprise (car ce sont souvent des employés talentueux…), mais de les désarmer.
Comment ça? En rusant! «Parlez-leur. Informez-les les premiers de vos projets d’avenir. Même s’ils n’approuvent pas ce que vous envisagez de faire, le fait d’en avoir été vite informé leur donne le sentiment d’y être impliqués, ce qui rend beaucoup plus difficile la critique», a-t-il expliqué. Et ce, d’autant plus qu’établir une communication privilégiée entre vous et les cyniques peut parfois vous permettre de comprendre d’où vient leur frustration, ce qui est un bon commencement pour atténuer le problème et transformer leur mauvais caractère…
Cette vision de l’engagement du professeur des HEC Montréal rejoint en tous points celle de Kasimir Olechnowicz, le président de la firme de génie-conseil montréalaise Cima+, qui était le conférencier suivant, avec son directeur des ressources humaines, Éric Dumouchel : «Plus on donne, plus on reçoit», a-t-il martelé lors de sa présentation.
Cima+ figure régulièrement dans le Top 5 des meilleurs employeurs du Québec et du Canada. Elle compte quelque 2 000 employés, et affiche surtout un taux de mobilisation exceptionnel, de 90%. Pourtant, elle ne cesse de recruter à tout-va depuis cinq ans, si bien qu’elle se doit de relever de tous nouveaux défis pour elle, comme d’accueillir dans ses rangs de plus en plus de femmes (de plus en plus de d’ingénieurs nouvellement diplômés sont des femmes) et comme de faire cohabiter différentes générations (en particulier les Y et les baby-boomers).
«En fait, c’est une bonne chose, cette histoire de pénurie de main-d’œuvre qualifiée! Ça va permettre aux vieux comme moi de travailler plus longtemps. Et les étincelles qui se produisent entre les jeunes et les vieux sont une source d’idées neuves incroyables, elles peuvent mener à des innovations spectaculaires», a lancé le coloré président de Cima+.
Le secret de Cima+? Il réside essentiellement dans les valeurs prônées par l’entreprise :
> Excellence et passion. «Souvent, au travail, les gens font des choses qu’ils aiment, et d’autres pas. Chez nous, ils ne font que des choses qu’ils aiment. Ce qu’ils n’aiment pas, un autre le fera à sa place, un autre qui, lui, aime ça. Aussi simple que ça», a expliqué M. Olechnowicz.
> Entrepreneuriat. M. Dumouchel, qui est en poste depuis un an, avait une anecdote à ce sujet. «À mes débuts, je suis allé dans le bureau du président pour le convaincre de faire une dépense de plusieurs milliers de dollars. J’avais préparé une tonne d’arguments, mais il m’a coupé pour me demander «Est-ce que c’est une décision que tu prendrais si c’était TON entreprise?». J’ai bafouillé «Euh… oui». Et il a dit «Alors vas-y!»». Ainsi, la firme de génie-conseil accorde une grande confiance à ses employés, elle les incite à prendre des initiatives, et ce, tout en reconnaissant le droit à l’erreur («mais pas trop souvent», a indiqué le directeur des ressources humaines…).
> Esprit d’équipe. Il y a un mantra chez Cima+ qui veut que «Seuls ceux qui excellent peuvent faire partie de l’équipe». Celui-ci implique que les leaders d’équipe ont pour mission d’être des rassembleurs et des motivateurs. «Dit autrement, nous ne devons pas être des leaders, mais des cheerleaders!», a lancé M. Olechnowicz.
Ces valeurs sont mises en pratique quotidiennement chez Cima+, et expliquent en grande partie pourquoi ses employés sont si attachés à la firme. S’ajoutent à cela différentes mesures plus concrètes, comme une grande souplesse dans les horaires de travail, la possibilité de faire du télétravail, et autres primes à la performance. «Autre facteur de motivation : le talent attire le talent. Comme nous veillons à embaucher des gens talentueux, il est facile après d’attirer les jeunes au potentiel élevé, car l’idée de travailler avec des stars de leur domaine les séduit au plus haut point», a ajouté M. Dumouchel.
Et c’est là qu’on en arrive à l’idée maîtresse, de mon point de vue, de la Conférence Les affaires d’hier : la motivation découle du plaisir. Est motivé celui qui a du plaisir dans ce qu’il fait, dans ce qu’il vit jour après jour. Un peu comme dans une relation de couple…
Voici une idée pour procurer un plaisir sans cesse renouvelé aux membres de votre équipe, une idée provenant de Christian Vandenberghe : «Tout leader qui se respecte devrait faire l’exercice de se demander «Bon, cette semaine, qu’est-ce que j’ai apporté comme nouveauté aux autres?». Cet exercice devrait vraiment être fait chaque semaine, car il oblige à réfléchir sur ce qu’on apporte – ou pas – à son équipe».
Qu’en pensez-vous? Faites-vous déjà le même type d’exercice? Et si non, croyez-vous que vous feriez bien de vous y mettre?
La baronne française Nadine de Rothschild a dit dans Le Bonheur de séduire, l’art de réussir : «Savoir vivre avec son conjoint, c’est avoir le goût du risque et respecter le difficile engagement de n’exiger aucun engagement»…
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