BLOGUE. Si l’on vous offrait la possibilité de tricher tout en courant un minimum de risques de vous faire attraper, le feriez-vous? Vous me direz sans doute que ça dépend pour quoi. Alors, disons pour avoir à payer moins d’impôts, par exemple en vous révélant qu’il existe une petite faille dans les déclarations de revenus, et qu’une «omission» dans une seule case de votre part pourrait vous faire gagner des centaines de dollars. Alors?
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Ça y est, vous avez bien réfléchi à ce que vous feriez? Bien, je peux dès lors vous affirmer une chose qui va vous faire sursauter : je connais votre réponse!
Si, si! Je la connais. La preuve? La voici : vous avez été tenté une seconde, mais finalement, vous y avez renoncé. Non, vous ne tricheriez pas! Pas vrai?
Pourquoi? Parce que nous sommes tous, du moins une très très grande majorité d’entre nous, des personnes foncièrement honnêtes. Je l’ai appris dans une étude riche d’enseignements à ce sujet, intitulée The value of honesty : empirical estimates from the case of the missing children, signée par Sara LaLumia, professeure au Williams College, et James Sallee, professeur à la Harris School of Public Policy Studies de l’University of Chicago.
Les deux chercheurs américains se sont penchés sur une histoire assez amusante, qu’ils ont décortiquée complètement pour découvrir ni plus ni moins que ce qui fait que nous sommes honnêtes dans la vie. Cette histoire est très simple. En 1986, les Etats-Unis ont modifié les déclarations de revenus, et en particulier la ligne 1040 (Exemption Portion) : là où jusqu’à présent il suffisait d’indiquer le prénom de la ou des personnes dépendantes de vous (généralement, ses enfants), il fallait désormais indiquer également son ou leurs numéros de sécurité sociale. Conséquence? Du jour au lendemain, des millions d’enfants ont disparu aux États-Unis! Amusant, non?
La fraude était grossière, me direz-vous : inventer un prénom bidon, en se disant que personne ne vérifierait rien. Pourtant, ça a fonctionné, et ce durant de longues années. Mais quand il s’agissait d’inventer de surcroît un numéro de sécurité sociale, alors là, un grand nombre de fraudeurs se sont dits que ça ne passerait plus. Leur chance, ça a été qu’aucune vérification n’a été faite à l’époque à propos de cette «mystérieuse» disparition d’enfants. Du moins jusqu’à l’an dernier, quand nos deux chercheurs se sont amusés à creuser le sujet…
Mme LaLumia et M. Sallee ont pris un échantillon des déclarations faites à la fin des années 1980, celles remplies par les employés l’University of Michigan. Ils ont remarqué qu’en 1987 quelque 20% des contribuables avaient perdu une personne dépendante d’eux sur le plan financier (soit que l’enfant est mort, soit qu’il est devenu majeur et a quitté le foyer familial, etc.), alors que la moyenne tourne autour de 14% pour les années d’avant et d’après. Une différence a priori «insolite» de 6 points de pourcentage. Rapporté à l’échelle des Etats-Unis, c’est comme si le pays avait vu disparaître comme par magie 4,2 millions d’habitants! «C’est un signe clair de malhonnêteté», disent les deux chercheurs.
Pourquoi un tel comportement? Par appât du gain? Par le peu de risques de se faire prendre? Par les deux à la fois? Tenez-vous bien, Mme LaLumia et M. Sallee ont trouvé les réponses à toutes ces interrogations. C’est d’ailleurs ce qui fait le sel de leur étude…
Leurs données leur ont montré que 2,5% des contribuables avaient fraudé en 1986 en faisant une fausse déclaration à la ligne 1040. Pris autrement, 97,5% des Américains qui ont présenté une déclaration de revenus cette année-là ont été honnêtes, en ce sens qu’ils ne se sont pas inventés des personnes sous leur responsabilité pour avoir à payer moins d’impôts. On en convient, il s’agit-là d’une immense majorité.
Peut-être ne l’ont-ils pas fait parce que le «gain» n’en valait pas la peine. Calculs faits, les deux chercheurs ont découvert que 70% de ceux qui avaient été honnêtes auraient empoché 200 dollars américains de l’époque s’ils avaient fraudé, et 18% autres, au moins 400 dollars américains de l’époque. Je précise de l’époque parce que 400 dollars de 1987 n’équivalent pas du tout à 400 dollars d’aujourd’hui, mais bel et bien à 795 dollars. «Une somme tout de même intéressante», soulignent les deux chercheurs.
Alors, peut-être parce qu’ils avaient peur des conséquences s’ils se faisaient prendre. La chance veut qu’un sondage a été justement mené en 1986 sur ce sujet, et 35% des Américains disaient alors qu’il était «peu probable» que leur déclaration de revenus soit vérifiée par l’État, 42%, «très peu probable», et 15% n’en avaient aucune idée. Bref, les contribuables ne craignaient guère d’être pris en cas de fraude, étant persuadés que bien peu de déclarations étaient scrutées à la loupe par des inspecteurs.
Alors? L’explication? Eh bien, elle se trouve dans le profil des fraudeurs. En effet, les deux chercheurs ont identifié trois particularités chez ceux qui ont fraudé en 1986, à savoir :
> La plupart se présentaient comme le chef du foyer;
> La plupart ont eu le culot, de surcroît, de réclamer le Child Care Credit, qui permettait de se faire rembourser certains frais, comme la garde des enfants;
> La plupart ne soutenaient pas financièrement d’organisme de bienfaisance ou de parti politique.
«Des signes évidents de manque de civisme. Et pour le moins, une perception de la notion d’honnêteté qui n’est pas similaire à celle des autres», estiment Mme LaLumia et M. Sallee.
Que déduire de tout cela sur le plan managérial? À mon avis, il convient de souligner tout d’abord que l’immense majorité d’entre nous sommes honnêtes, que nous préférons contribuer à l’effort commun pour bâtir une belle société plutôt que de chercher à gruger mesquinement pour notre petit profit. Et ce, même si l’on sait que l’argent ainsi glâné n’est pas toujours utilisé à bon escient…
Ensuite, je pense qu’on peut appliquer cet enseignement à notre quotidien au travail. On peut partir du principe que, vous comme moi, nous voulons au plus profond de nous-mêmes participer à un projet emballant. Et que même si l’on aperçoit, à un moment ou à un autre, de «jouer perso» au détriment de l’équipe, nous ne le ferons pas. Animaux sociaux que nous sommes, nous préférerons toujours œuvrer pour le groupe plutôt que de s’en séparer et de souffrir. Est-ce que je me trompe?
Voici donc une pierre solide sur laquelle on peut fonder un leadership exemplaire : faisons confiance aux autres membres de l’équipe, et tout ira pour le mieux!
Le Cardinal de Retz disait au XVIIe siècle dans ses Mémoires : «On est plus souvent dupé par la défiance que par la confiance»…
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