BLOGUE. Plus que jamais, l’économie des pays développés repose sur le savoir, et plus précisément sur les idées neuves qui germent ici et là. Les idées valent maintenant de l’or, et sont parfois même inestimables : pensons à Steve Jobs quand lui est venue l’idée du iPad… Du coup, nous nous retrouvons face à un paradoxe qui semble a priori impossible à résoudre : celui qui, un jour, a une idée géniale court le risque de se la faire piquer s’il la partage avec d’autres, mais s’il ne le fait pas, son idée ne pourra jamais se développer et se concrétiser ; et comme les bonnes idées sont aujourd’hui précieuses, on peut être tenté de les surprotéger, et donc de ne jamais les exploiter comme elles mériteraient de l’être…
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Cela vous est d’ailleurs peut-être déjà arrivé. Une idée merveilleuse vous est venue, mais vous avez préféré dans un premier temps la taire, et dans un second temps, n’en parler qu’à des personnes en qui vous aviez entière confiance, mais qui n’étaient pas celles dont vous aviez besoin pour les faire grandir et embellir. Et cette malheureuse idée s’est retrouvée au fond d’un tiroir fermé à clé, ou planquée dans un disque dur verrouillé, où elle a fini par se ratatiner… Pas vrai?
Pourtant, il existe une méthode pour minimiser les risques de se faire voler une idée géniale et offrir à celle-ci de se transformer en projet passionnant. Je l’ai trouvée dans une étude lumineuse intitulée The circulation of ideas in firms and markets et signée par Thomas Hellmann, professeur de la Sauder School of Business de l’University of British Columbia, à Vancouver (Canada), et par Enrico Perotti, professeur du Department of Finance de l’University of Amsterdam (Pays-Bas). À l’aide d’une approche économétrique, les deux chercheurs ont calculé les risques réels de se faire piquer une idée commerciale, dans différents cas de figure. Et leur conclusion est, de mon point de vue, on ne peut plus intéressante…
Mais pour commencer, il convient de se demander ce qu’est une idée, au juste. Une idée, ça se présente en réalité sous différentes formes, dont les deux principales sont les suivantes : une ébauche d’idée (un flash, si vous préférez) et une idée élaborée (qui a mûri et embelli). Pour donner une image, je dirais que l’ébauche d’idée correspond à la flamme qui est au bout de l’allumette et l’idée élaborée, à celle de la bougie. Et ce, sachant que si l’allumette ne trouve pas rapidement une bougie, la petite flamme va s’éteindre et mourir, en pure perte…
Ainsi, on peut considérer qu’une idée naît chez une personne – l’idéateur – et ne peut véritablement prendre forme que si elle rencontre et s’implante dans une autre personne – disons, l’incubateur. Et c’est là que peut se produire le vol : cela prend du temps et des efforts pour trouver le bon incubateur, plusieurs rencontres avec différentes personnes parmi lesquelles risque de se dissimuler quelqu’un de malhonnête, bref, un voleur d’idées.
Plusieurs scénarios peuvent se produire. Par exemple, vous parlez de votre idée à un collègue, mais celui-ci change d’employeur dans les semaines suivantes et part en emmenant avec lui votre idée. Vous la communiquez à quelqu’un dans un séminaire, et quelques jours plus tard, vous découvrez que cette personne l’a dévoilée en détails sur son blogue. Etc.
Certains prétendront que tout cela a peu de chances de se produire réellement, car des lois internationales existent pour protéger les inventions, qu’il est donc criminel de voler des idées, et que rares sont ceux qui vont prendre le risque de se retrouver en prison ou du moins de payer une lourde amende pour un tel vol. Ceux-là ajouteront que certaines entreprises vont jusqu’à faire signer à des employés et à des consultants externes des contrats de non-dévoilement des idées et des projets en cours, histoire de réduire davantage les risques de vol. Certes, c’est vrai, mais ces protections légales concernent essentiellement les inventions brevetées, pas les ébauches d’idées, qui est le cœur de notre sujet, soulignent les deux chercheurs dans leur étude.
MM. Hellmann et Perotti ont alors regardé de près différents cas de figure où un idéateur peut rencontrer un incubateur. Ils sont partis du principe que l’idéateur travaille pour une entreprise. L’incubateur, quant à lui, peut soit travailler pour la même entreprise, soit travailler pour une entreprise aux activités complémentaires (personne ne va parler de son idée directement à une entreprise concurrente!), soit ne pas travailler du tout dans le même secteur (et être, en fait, un consommateur des produits ou services de l’entreprise de l’idéateur).
Puis, ils ont effectué de savants calculs permettant d’évaluer les chances pour une idée de trouver un incubateur et celles de tomber sur un voleur, histoire d’identifier le meilleur scénario possible. Ils ont ainsi constaté que le mieux pour voir grandir une idée est de ne pas la cantonner à l’entreprise, car il est peu fréquent d’y dénicher l’incubateur idoine. Il faut la faire sortir des enceintes de l’entreprise, et par conséquent accepter de courir le risque de se la faire subtiliser par autrui.
Comment s’y prendre dès lors? Faut-il en parler à certains contacts que l’on a dans des entreprises complémentaires? À des experts reconnus qui promettront de garder le secret jusque dans leur tombe? Carrément à une communauté de consommateurs passionnés par ce type d’idées, par exemple à certaines communautés d’internautes qui ne demandent pas mieux de collaborer gratuitement à votre projet? La réponse à toutes ces interrogations, selon les deux chercheurs : changez de perspective!
Quoi? Changer de perspective? Qu’est-ce que ça veut dire? Eh bien, ça signifie qu’il ne faut pas regarder ainsi autour de vous, car ce n’est pas la meilleure façon de procéder. Le mieux, c’est d’observer attentivement votre environnement pour y déceler des «milieux à haute densité d’idées». Encore un terme bizarre, me direz-vous. Détrompez-vous, ces milieux-là représentent tout bonnement des regroupements de personnes bouillonnantes d’idées voisines de celle que vous avez. Cela peut être une équipe particulière d’une entreprise complémentaire à la vôtre, une association de consommateurs, un groupe de discussion sur LinkedIn, etc.
Il suffit d’entrer en contact avec un ou plusieurs de ces regroupements de personnes passionnées, de leur présenter votre idée et de voir la forme qu’elle va prendre à leur contact. Si celle-ci en vaut vraiment la peine, alors vous saurez qu’il faut la transformer en projet au plus vite, car elle comblera de nombreuses attentes. Et ce faisant, minces sont les risques qu’un voleur d’idées soit dissimulé dans le ou les regroupements à qui vous vous êtes adressé. Subtil, non? Qu’en pensez-vous?
Le penseur français d'origine roumaine Emil Michel Cioran disait dans Le mauvais Démiurge : «Il n’est guère qu’une idée stérile qui conserve son statut d’idée». À vous donc, désormais, de faire preuve d’audace en faisant plus qu’avoir de bonnes idées…
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