BLOGUE. Les médias du monde entier en ont parlé hier ad nauseam : Barack Obama a célébré ses 50 ans, le 4 août. Ces célébrations m’ont fait me demander : «Pourquoi fête-t-on cet homme? Parce que c’est une star? Parce que tout le monde l’aime? Parce qu’il symbolise tant d’espoirs? Pour ses succès?». Et un mot a retenu mon attention, celui de «succès»…
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De fait, peut-on vraiment dire que l’actuel président des Etats-Unis a connu du succès dans tout ce qu’il a entrepris depuis qu’il dirige la plus importante nation du monde? C’est que ses ratages, pour ne pas dire ses échecs, sont innombrables : la toute récente crise de la dette, qui a tourné en faveur des Républicains; le taux de chômage qui ne s’extirpe pas de la fourchette des 9-10%; la menace d'une nouvelle récession économique qui fait trembler les investisseurs de Wall Street; l’enlisement des forces armées américaines en Afghanistan et en Irak; le camp de Guantanamo qu’il ne réussit toujours pas à fermer en dépit d’un décret signé de sa main; etc.
Tout cela amène à s’interroger sur la notion de succès. Oui, au fond, c’est quoi, le succès? Un début de réponse se trouve, à mon avis, dans un article qui est paru dans le Frankfurter Zeitung du 22 septembre 1928, un article signé par Walter Benjamin et intitulé La Voie du succès en 13 thèses…
Walter Benjamin? Il s’agit d’un philosophe allemand qui a toujours erré «aux confins des doctrines qui se combattent, dans les lisières entre histoire, sociologie, esthétique et théologie», selon l’écrivain français Hector Bianciotti. Son œuvre est composée de réflexions fragmentaires traitant de mille et un sujets, dont de nombreux articles comme celui dont je vais parler, tiré d’une compilation de textes titrée Images de pensée (Christian Bourgois éditeur, 2011). Pour lui, le succès présente plusieurs caractéristiques…
1. «Il n’y a pas de grands succès qui ne correspondent à des performances réelles. Mais supposer que ces performances en sont le fondement serait une erreur. Les performances en sont la conséquence», écrit-il d’emblée. Ainsi, celui dont le travail est reconnu par les autres éprouve une grande joie, laquelle est une manifestation du succès.
2. «la satisfaction que donne la rémunération paralyse le succès, la satisfaction que donnent les performances l’intensifie», poursuit-il. Rémunération et performance peuvent dès lors être vues comme des éléments placés sur les plateaux d’une balance : lorsque «tout le poids de l’estime de soi est versé sur le plateau de la performance, (…) le plateau de la rémunération s’envole».
3. «À la longue ne peuvent avoir de succès que ceux qui semblent ou sont véritablement menés par des motifs simples, transparents», estime-t-il. Pourquoi? Parce que les gens «fracassent tout succès dès lors qu’il leur semble opaque, sans valeur instructive, exemplaire».
4. «On ne s’imagine pas à quel point la faim pour ce qui est sans équivoque possible constitue l’affect suprême des gens. Moins il est équivoque, plus est grand le rayon d’action (d’un message), plus les gens affluent vers lui», affirme Walter Benjamin. Il prend un exemple, on ne peut plus frappant – et prémonitoire pour l’époque : «Un centre, un führer, un mot d’ordre».
5. Rien ne sert de viser la postérité. «On n’a pas assez à l’esprit combien la notion de «postérité» est moderne. Au XVIIe siècle encore, aucun auteur n’aurait eu l’idée d’invoquer devant ses contemporains une postérité», explique-t-il.
6. «La gloire, mieux le succès, est aujourd’hui devenue obligatoire», poursuit-il. Et ce, même si personne ne sait qu juste ce qu’est vraiment «avoir du succès»…
7. «Condition de la victoire : la joie que donne le succès extérieur. Une joie pure, désintéressée, qui se manifeste le mieux en ceci que l’on prend son plaisir au succès, même si c’est celui d’un tiers.»
8. «Nul ne réussira s’il s’épargne des peines». Ainsi, «l’inné est pour beaucoup dans le succès, mais il ne suffit pas, il faut aussi du training». Le philosophe allemand prend comme exemple les pickpockets de Galicie qui, pour s’entraîner, se servent de mannequins en paille recouverts de grelots : seuls les plus habiles parviennent à subtiliser une bourse sans déclencher la moindre alerte.
9. «Let’s hear what you can do! dit-on en Amérique à celui qui brigue un poste. Mais l’examinateur veut beaucoup moins entendre que voir ce qu’il sait faire», écrit Walter Benjamin. Alors, comment impressionner celui qui nous fait passer un entretien d’embauche? Par la force de suggestion. «Plus un fait, une opinion, une formule apparaît fréquemment, plus elle perd de sa force de suggestion. Par conséquent, dans tout entretien d’embauche, les plus grandes chances ne sont pas chez le candidat bien préparé, mais chez l’improvisateur. Et pour la même raison, ce sont presque toujours les questions accessoires, les détails accessoires, qui sont déterminants. (Le manager) exige surtout que nous l’illusionnions. Y réussissons-nous, il est prêt à nous concéder beaucoup.»
10. «L’intelligence, la connaissance des hommes et autres dons du même genre important dans la vie beaucoup moins qu’on ne le pense. Mais quelque génie habite tous ceux qui ont du succès», écrit-il. Un nouvel exemple : Don Juan. Ceux qui n’ont guère de talent pour la séduction seront portés à croire que ses succès tenaient beaucoup au hasard. Grosso modo, ses victoires reposaient surtout sur le fait qu’il était au bon endroit, au bon moment… «Or, comment celui qui n’a jamais entendu cette langue de sa vie peut-il juger de la génialité de celui qui réussit?», lance le philiosophe.
11. Cela étant, il est tout de même vraie qu’une part de chance entre dans le succès. «La structure du succès est au fond la structure du hasard», considère-t-il. Une chance qu’il faut savoir saisir : «Quelle ivresse (…) de se mettre aux aguets, dans dix coins à la fois, de la fortune qui s’approche!»
12. «Il est permis à quelqu’un de tricher autant qu’il veut. Mais il lui est interdit de se sentir tricher», ajoute-t-il.
13. «Le succès avec lequel le génie de la finance fait sa carrière est de la même trempe que la présence d’esprit avec laquelle l’abbé Galiani opérait dans les salons», termine Walter Benjamin. Présence d’esprit? Il s’agit de «cette inflexion de la voix, de ce sourire, de ce mutisme, de ce regard, de ce geste» qui soulignent la lueur d’intelligence dont faire preuve celui qui vole de succès en succès. Oui, de cette petite marque discrète du vainqueur, au moment où les événements tournent en sa faveur.
Que retenir de toutes ces images fragmentaires du succès évoquées par le philosophe allemand? Pour ma part, je soulignerais un élément : la joie. Toute personne qui rencontre du succès dans ce qu’elle entreprend ressent au plus profond de son être une immense vague de fraîcheur qui lui donne une nouvelle énergie, et surtout une irrépressible envie de sourire, voire de rire aux éclats. Un bonheur intense l’envahit. Et rien n’est plus doux que de se laisser emporter par celui-ci…
S’il fallait retenir une autre dimension du succès, ce serait l’humilité. Les vrais vainqueurs sont ceux qui ont la victoire modeste. Pas besoin d’en rajouter pour savourer leur bonheur, ou pour accroître leur suprématie. Walter Benjamin le dit autrement : «L’amabilité est le «sésame ouvre-toi» du succès»…
Et vous, quelle est votre définition du succès?
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