BLOGUE. Vous est-il déjà arrivé d’avoir affaire à un tyran? Disons, un petit tyran. Vous savez, ce fameux «petit boss» qui aimerait être le «big chief», mais qui n’en a pas la carrure et qui le sait et qui fait payer le prix de sa frustration à ses subalternes. Oui, je suis sûr que vous savez…
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Eh bien, je vous invite à leur faire suivre – par un moyen ou un autre – ce post du blogue «En Tête», car celui-ci va leur apporter la preuve irréfutable qu’agir en tyran n’est bon ni pour son équipe ni pour lui-même. Cette preuve, je l’ai dénichée dans une étude fort intéressante intitulée Nemesis, du nom de la divinité grecque de la vengeance, signée par Patrick Léoni, professeur de finance de l’Euromed Management (France). Cette étude montre que faire régner la terreur autour de soi ne mène à rien de bon…
Ainsi, le chercheur s’est demandé ce qu’il se passerait si, dans un jeu à deux, on instaurait la loi du Talion, c’est-à-dire «Œil pour œil, dent pour dent». Le principe est simple : il y a juste réciprocité du crime et de la peine, et ce, même si cela entraîne des agissements irrationnels.
M. Léoni est parti d’un cas de figure connu des économistes et autres sociologues : la Guerre Froide. Deux joueurs dirigent chacun un pays fictif doté de l’arme nucléaire. Chacun veut dominer le monde. Si l’un des joueurs déclenche une guerre nucléaire et que l’autre ne riposte pas, il gagne le contrôle de la majorité du monde, ne laissant qu’un petit territoire à son rival. Si les deux s’envoient des bombes, le monde entier est détruit. Et si aucun ne déclenche les hostilités, les deux joueurs se partagent le monde équitablement, pacifiquement.
Le chercheur a ajouté à ces règles la sienne, celle de la loi du Talion. Du coup, si l’un agresse l’autre, ce dernier est obligé de répliquer avec la même intensité. Même si cela doit déboucher sur une catastrophe globale. Que se passe-til alors? Et surtout, quelle est la meilleure stratégie à adopter?
Pour ceux que cet exemple n’attire pas tant que ça, le chercheur s’est amusé à en donner un autre, plus parlant à notre quotidien : il a remplacé les deux dirigeants de pays par… un couple. Le scénario devient alors le suivant : un homme et une femme vivent ensemble ; lui veut aller au match de rugby (ou de hockey, si vous préférez…), et elle, à un ballet ; aucun des deux ne veut céder, d’autant plus qu’entre en vigueur la loi du «Si tu ne viens pas avec moi, je casse tout! La vaisselle, la télé, tout!!»…
Le chercheur s’est alors livré à de savants calculs économétriques pour vérifier, tout d’abord, qu’il existe bien ce qu’on appelle «une situation d’équilibre», soit une possibilité pour les deux joueurs de n’être pas perdants. De fait, celle-ci correspond au statu-quo, quand aucun des deux n’agresse l’autre. C’est ce qu’on peut appeler «l’équilibre de la terreur» : chacun sait que l’autre peut lui faire terriblement mal, alors il préfère s’abstenir de déclencher sa colère.
Puis, il a regardé de plus près les conditions requises pour atteindre cet équilibre de la terreur. Et il en est arrivé à la conclusion qu’il fallait que les stratégies adoptées soient des optima de Pareto.
Des optima de Pareto? Un mini-cours d’économie va vous permettre de saisir de quoi il s’agit… Un optimum de Pareto – du nom de l’économiste italien Vilfredo Pareto – est l'état d’un groupe de personnes dans lequel on ne peut pas améliorer le bien-être d’un individu sans détériorer celui d’un autre. Un exemple… Si le chef du groupe détient toutes les richesses de celui-ci et les autres rien, on a atteint un optimum de Pareto, car le moindre transfert d’argent réduirait le bien-être d’au moins un individu, en l’occurrence le chef. Imaginons que de l’argent frais rentre au sein du groupe, dès lors il faudrait que celui-ci revienne au seul chef pour préserver l’optimum de Pareto.
On le voit bien, l’optimum de Pareto n’a rien à voir avec la notion d’équité, mais plutôt avec celle d’efficacité. Un optimum de Pareto est, en effet, une approche minimale de mesure de l'efficacité, qui permet, dans certains cas, de donner une indication sur la direction générale de mesures à prendre, ou encore d'éviter de grossières erreurs de décision.
Revenons aux cas qui nous intéressent. À quoi correspond ici l’optimum de Pareto? Pour les deux conquérants, à se regarder dans le blanc des yeux. Au moindre mouvement, d’attaque comme de repli, l’autre répond par une offensive foudroyante et destructive ; c'est la guerre. «La meilleure stratégie est de préserver l’équilibre, le statu-quo», souligne M. Léoni.
Quant au petit couple, là aussi, il lui faut opter pour l'immobilisme, et donc par la seule option réaliste : rester à la maison. Et si possible, en tentant de renforcer la paix, en proposant, par exemple, d'en profiter pour cuisiner ensemble un petit repas, qu'ils prendront en amoureux...
Maintenant, qu’en déduire pour qui se pique de management et de leadership? Que quiconque fait régner la terreur impose aux autres l’immobilisme et le conformisme. Du coup, jamais le groupe en question ne brillera par une performance excepttionnelle, toute initiative risquant de se traduire pour son auteur par une sanglante sanction. Et quand cette situation devient intenable, au clash, à la révolution.
Les exemples récents sont à foison : Ben Ali et les Tunisiens, Moubarak et les Égyptiens, Kadhafi et les Libyens, etc. Mais surtout, ils sont souvent «invisibles», car trop proches de nous pour être bien perçus : réflechissez un moment et demandez-vous si l’équipe dans laquelle vous travaillez (ou une autre composée de collègues de votre entreprise…) ne souffre pas elle-même d’une certaine forme d’immobilisme et de conformisme, et ce, en raison d’un de ses membres qui joue au «petit boss». Je suis sûr et certain que ce petit exercice va vous réserver quelques menues surprises…
L’écologiste français Nicolas Hulot a dit dans Les Chemins de traverse : «Les grandes routes du conformisme mènent à la médiocrité et au malheur»…
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