BLOGUE. C'est bien connu, les femmes aiment moins la compétition que les hommes. D'ailleurs, d'innombrables études tendent à le montrer, comme celles de Gneezy (2003) ainsi que de Niederle et Vesterlund (2007). Mais voilà, qui s'est demandé pourquoi les femmes semblaient avoir moins le goût de la compétition que les hommes? Oui, qui ça?
La réponse : personne. Du moins jusqu'à ce que deux économistes allemandes se soient penchées sur le problème, et aient trouvé une explication… renversante. Une explication qui remet tout en cause!
Découvrez mes précédents posts
Suivez-moi sur Facebook et sur Twitter
Julia Müller et Christiane Schwieren, qui enseignent toutes deux l'économie à l'Université d'Heidelberg (Allemagne), ont demandé à 138 personnes de bien vouloir se prêter à un petit jeu permettant de gagner un peu d'argent. Le principe était très simple : effectuer des additions en un temps limité, sans calculatrice. Chaque bonne réponse permettait d'empocher de l'argent, mais au préalable, le participant devait indiquer la manière dont il souhaitait être rémunéré :
> Fixe : une bonne réponse permet d'empocher toujours la même somme d'argent, soit 50 centimes d'euros;
> Bonifiée : le participant accepte de faire partie d'un groupe de 4 personnes tirées au sort, si bien que seul recevra de l'argent le meilleur d'entre eux, après une série de calculs, sachant qu'une bonne réponse est dès lors payée 2 euros.
On le voit bien, la première forme de rémunération est dénuée de tout esprit de compétition : pas de stress, pas non plus d'incitatif particulier à pousser ses capacités au maximum. La seconde, elle, est clairement plus payante, mais pour qui les situations stressantes ne sont pas trop dérangeantes.
Résultat? Seulement 25,7% des participantes ont choisi la version compétitive, en revanche, les participants masculins, eux, ont été 42,1% à l'adopter. Si l'on s'arrêtait donc là dans l'expérience, on en conclurait que, sans équivoque, les hommes aiment plus la compétition que les femmes. Et on se mettrait le doigt dans l'œil…
Mmes Müller et Schwieren ont dressé le profil psychologique de l'ensemble des participants, selon le modèle théorique des Big 5. Les Big 5 (ou «modèle Océan», en français) sont cinq traits centraux de la personnalité empiriquement mis en évidence par la recherche en psychologie. Il s'agit de :
> Ouverture à l'expérience : curiosité, imagination, originalité, etc.
> Contrôle : autodiscipline, sens de l'organisation, etc.
> Extraversion : altruisme, caractère fonceur, énergie, etc.
> Agréabilité : coopération, compassion, etc.
> Névrotisme : vulnérabilité, fragilité psychique, tendance à la dépression, etc.
Puis, elles ont regardé s'il y avait la moindre corrélation entre l'un ou plusieurs de ces traits de personnalité avec le goût pour la compétition. C'est-à-dire qu'elles ont cherché si, par exemple, les participants qui ont préféré la forme de rémunération bonifiée l'avaient fait parce qu'ils avaient une Ouverture à l'expérience nettement plus développée que les autres. Etc.
Allons droit au but. Voici la grande trouvaille des deux chercheuses allemandes : il y a bel et bien une corrélation valide. Une seule, de surcroît négative. Laquelle? Celle avec le Névrotisme.
Autrement dit, les personnes – hommes comme femmes – qui ont préféré la forme de rémunération fixe l'ont fait parce qu'elles sont en général sujettes à l'anxiété, à l'insécurité et au stress. Elles se sentaient plus à l'aise si toute pression était ôtée. Elles appréhendaient de moins bien réussir si elles se trouvaient en compétition directe avec d'autres participants.
Tout cela, me direz-vous, n'explique pas a priori l'écart entre les hommes et les femmes quant au choix de la formule compétitive. Eh bien, il se trouve que nettement plus de femmes que d'hommes souffrent de Névrotisme. C'est aussi simple que ça.
Par conséquent, les femmes n'ont pas moins le goût de la compétition que les hommes. Ce n'est pas une question de sexe, mais plutôt de trait de personnalité, et en particulier de Névrotisme. Moins sûrs d'eux que les autres, les personnes au Névrotisme développé n'aiment pas rivaliser avec autrui et feront tout pour éviter ce genre de situation. Quitte à gagner moins.
Quelles implications cette trouvaille peut-elle avoir en matière de management? Plusieurs, me semble-t-il, mais au moins une susceptible de renverser des idées reçues : «Au lieu d'encourager les femmes à être plus compétitives au travail ou à l'école, on devrait plutôt travailler leur Névrotisme, afin de les rendre plus sûres d'elles, plus confiantes en leurs capacités», indiquent Mmes Müller et Schwieren dans leur étude intitulée Can personality explain what is underlying women's unwillingness to compete?
On se trompe donc de cible : au lieu de viser le Goût de la compétition, on devrait viser le Névrotisme. Et ce, d'autant plus que des études – Langelaan (2006), Kim (2009), etc. – indiquent que le Névrotisme joue un rôle déterminant dans le déclenchement d'un burnout…
En passant, Tristan Bernard a dit dans L'Enfant prodige du Vésinet : «C'est un excellent entraînement intellectuel que d'avoir en soi-même une confiance exagérée»…
Découvrez mes précédents posts