BLOGUE. Vous l'avez sûrement déjà noté comme moi : nombre de problèmes résultent tout bonnement d'une mauvaise communication entre les différentes personnes impliquées. Voire d'une absence totale de communication. On peut penser à ce boss qui ne sait pas qu'il a une perle rare dans son équipe, parce qu'il n'a jamais pris le temps de parler avec elle. Ou encore à ces couples qui se déchirent parce qu'ils pensent qu'ils ne se comprennent plus, alors qu'en fait ils ne se parlent plus vraiment…
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Il suffit de renouer le dialogue, me direz-vous. C'est aussi simple que ça. Mais voilà, ce n'est pas aussi simple que ça. Pourquoi? Je l'ai compris hier grâce à Kent Nagano, que j'ai eu le privilège de rencontrer à l'occasion d'une conférence donnée aux HEC Montréal, dans le cadre de la rencontre nationale d'Orchestres Canada. Le chef d'orchestre de l'Orchestre symphonique de Montréal (OSM) y a en effet parlé de sa manière de communiquer avec autrui, sa manière même d'amorcer la communication, une manière – je pèse mes mots – renversante d'intelligence.
Ainsi, M. Nagano considère que sa mission première est de toucher une corde sensible du public devant lequel il joue, lui et son orchestre. Et pour y parvenir, il lui faut s'adapter à ceux à qui il s'adresse. «Je ne joue pas les mêmes choses devant les Montréalais, les Torontois, ou encore les Munichois. Car leurs sensibilités ne sont pas les mêmes», a-t-il indiqué.
Par «sensibilités», il entend les valeurs propres des personnes présentes. Des valeurs qui découlent en grande partie de l'histoire de leur peuple, de ses traditions, etc. «Les marins, pour garder le cap, doivent savoir d'une part où ils se trouvent, et d'autres part, d'où ils viennent. C'est la même chose pour chacun de nous : pour avancer, il nous faut savoir où nous en sommes et d'où nous venons. Sans quoi, nous risquons d'aller nulle part», a-t-il illustré.
En 2006, quand il est devenu le directeur musical de l'OSM, il s'est plongé dans les livres et a multiplié les rencontres afin de bien saisir ce qu'étaient les valeurs fondamentales de Québécois. Une anecdote rigolote : Un jour, il s'est interrogé sur les héros qui ont marqué l'histoire du Québec…
– Avez-vous un grand guerrier, par exemple? a-t-il demandé à son interlocuteur.
– Ben, pas vraiment. Nous sommes un peuple sans armée, pacifique.
– Un grand politicien, alors?
– Ben, pas quelqu'un qu'on pourrait qualifier de «héros».
M. Nagano s'est alors creusé la tête, ne comprenant pas qu'un peuple soit dépourvu de héros. Il a exploré différentes pistes, puis a fini par dire:
– Et un champion de sport?
– Ah oui. Les Canadiens!
Résultat? Le 2 avril 2009, l'événement intitulé La rencontre du siècle, à l'occasion des 100 ans de l'équipe de hockey de Montréal. Des joueurs des Canadiens ont lu des extraits de textes sur la scène installée sur la patinoire du Centre Bell, aux côtés des musiciens de l'OSM. «Cette soirée débordait d'énergie et d'émotion. La communication a été immédiate avec le public. Exceptionnelle même. Car les valeurs véhiculées étaient en phase avec celles de l'auditoire», a-t-il expliqué.
Un autre exemple révélateur… En avril 2008, Kent Nagano et l'OSM ont effectué l'enregistrement d'un album double, Beethoven : L'idéal de la Révolution française, dédié au compositeur allemand. Celui-ci comprenait la Cinquième symphonie et Le Général, une œuvre originale écrite par Paul Griffiths qui saluait «le courage, la compassion et l'intégrité» du lieutenant-général Roméo Dallaire. «En 1994, cet homme a vu, impuissant, le génocide rwandais se dérouler sous ses yeux. Il lui avait été interdit d'intervenir. Ce fut pour lui une tragédie dévastatrice, qui l'a amené à reconsidérer toute sa vie et ses valeurs d'un œil neuf, impitoyable. Cette remise en question totale m'a semblé résonner fortement avec la musique de Beethoven, empreinte de liberté, de fraternité, d'humanité», a-t-il raconté.
Du coup, le chef d'orchestre de l'OSM a trouvé le moyen de combiner les deux. «En ayant en tête l'image et l'histoire de Roméo Dallaire, le public québécois était à même de saisir les moindres subtilités de Beethoven. Grâce à cela, il lui était possible d'être ému par une musique qui venait d'un autre siècle et d'un autre lieu. La connexion était parfaite», a-t-il dit.
«Aujourd'hui, ce n'est pas la faute de Beethoven ou de Mozart s'ils ne sont plus écoutés ou aimés, mais de la façon dont on les présente au public». Et d'expliquer : «Prenons l'exemple des boutiques hors-taxes des aéroports. Ces boutiques vendent des produits de luxe – Dior, Chanel, etc. –, et sont rigoureusement identiques, que l'on soit à Montréal, Los Angeles, Londres ou Tokyo. La première fois qu'on découvre ça, on est surexcité. La deuxième fois, un peu moins. Et la dixième fois, on ne veut plus les voir, on se plonge dans son iPad. C'est dommage. La globalisation mène à la banalisation, et détruit la beauté des choses. C'est pareil avec la musique : si l'on n'est pas unique et authentique, on n'est plus rien du tout».
D'une phrase, il a résumé sa pensée : «Pour communiquer, il faut bousculer et émouvoir, surtout pas se contenter de faire de la belle et grande musique»…
Lumineux, n'est-ce pas? Qu'en pensez-vous?
En passant, le sémiologue français Roland Barthes a dit dans un de ses discours prononcés au Collège de France : «Parler, et à plus forte raison discourir, ce n'est pas communiquer. C'est assujettir»…
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