BLOGUE. Lorsqu'on apprend qu'un nouveau boss va prendre les rênes de son entreprise, voire de son équipe, on a souvent le réflexe de regarder discrètement son cursus professionnel via LinkedIn et autres médias sociaux. En général, on se rassure en découvrant qu'il connaît le métier vu ses années d'expérience dans le même domaine que le notre, ou encore vu son obtention, par exemple, d'un MBA. Et on s'inquiète quand on a l'impression qu'il déboule de nulle part, vu son profil professionnel atypique. Pas vrai?
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A-t-on raison? A-t-on tort? Allez savoir, me direz-vous. Eh bien, j'ai mis la main sur une étude qui permet d'y voir plus clair. Celle-ci est intitulée Military CEOs et est le fruit du travail de deux professeurs de finance de l'École de management Kellogg (États-Unis), Efraim Benmelech et Carola Frydman.
Les deux chercheurs ont été intrigués par un phénomène curieux : en 1980, 59% des grandes entreprises américaines avaient pour PDG une personne qui avait servi dans l'armée, et ce pourcentage est aujourd'hui tombé à 6,2%. Comment expliquer une telle dégringolade? Par le fait que les vétérans, comme l'indiquent certaines études, semblent être de piètres leaders, nombre d'entre eux souffrant d'un excès de confiance en eux-mêmes, d'un goût démesuré pour le risque et même d'une trop forte agressivité? Mais alors que penser d'autres études qui, elles, indiquent que les vétérans présentent de grandes qualités de leadership, en raison, entre autres, de leur sens du devoir et de l'honneur, de leur sang-froid en situation de crise et de leur ténacité dans l'atteinte des objectifs fixés?
À cela s'ajoutait autre chose d'a priori étrange : depuis quelques années, de grandes entreprises comme Walmart et General Electric ont mis en place des programmes de recrutement de vétérans américains. Pourquoi? Juste pour se donner une bonne image auprès des Américains, en aidant d'anciens soldats à se réinsérer dans la société? Ou bien, comme chacune d'elles l'a souligné, parce qu'elles tiennent à compter dans leurs rangs des «leaders hors-pairs»?
Pour le savoir, M. Benmelech et Mme Frydman se sont plongé dans différentes bases de données sur les PDG américains, comme celles de Forbes 800 et d'Execucomp. L'objectif : dénicher tous ceux qui avaient servi dans l'armée et regarder si cette particularité avait eu un quelconque impact sur le style de management et sur les résultats financiers de l'entreprise (ou des entreprises) qu'ils ont dirigé. Et ce, de 1980 à 2006.
Ils ont ainsi identifié 1 115 PDG correspondant à ce profil. Près de 40% d'entre eux avaient servi dans l'US Army, la même proportion dans l'US Navy, et le reste, dans l'US Air Force. Pas loin de la moitié d'entre eux avaient été officiers : la plupart du temps, leur grade avait été celui de lieutenant ; rares avaient été ceux qui avaient obtenu un grade supérieur, comme celui de capitaine ou de colonel.
Après analyse de différents critères de performance, les deux chercheurs ont découvert trois choses intéressantes :
> Plus prudents financièrement. Les PDG vétérans ont tendance à moins investir que les autres, notamment dans la R&D. Ils savent que l'argent est "le nerf de la guerre", si bien qu'ils veillent à ne pas le dilapider. «Cela étant, ça ne les empêche pas de faire preuve d'audace lorsqu'ils prennent la décision d'investir», indiquent les deux chercheurs dans leur étude.
> Plus éthiques. Les PDG vétérans sont nettement moins impliqués dans des fraudes que les autres : le risque est 70% moindre. «Cela se vérifie également lorsqu'on compare les PDG vétérans aux PDG non-vétérans titulaires d'un MBA», ajoutent-ils au passage.
> Plus résilients. Les entreprises dirigées par un PDG vétéran affichent de meilleurs résultats financiers en période de crise économique que les autres, en particulier en ce qui concerne le ratio entre la valeur de marché et la valeur comptable de l'entreprise (market-to-book ratio, en anglais). «Quand ils sont sous pression, les PDG vétérans sont plus souples, pour ne pas dire plus résilients, que les PDG non-vétérans titulaires d'un MBA», soulignent-ils encore.
Autrement dit, ces PDG-là présentent des qualités insoupçonnées, comme la prudence, l'éthique et la résilience. Des qualités dignes de grands leaders. Des qualités d'un grand secours en période de difficulté, comme celle que nous connaissons depuis 2007 en raison de la récession économique mondiale déclenchée par les subprimes des grandes banques américaines.
Alors, faut-il s'inquiéter du fait que votre nouveau boss a un profil atypique? Du fait, par exemple, qu'il ressort surtout de son CV qu'il a combattu en Afghanistan et a eu sous ses ordres de nombreux soldats? La raison est évidente : non, il ne faut pas s'en inquiéter. Il vaut mieux, en vérité, chercher à comprendre ce qui fait qu'il a obtenu le poste, c'est-à-dire les qualités insoupçonnées qu'il a et qui devraient vous permettre, vous et vos collègues, de briller dorénavant comme jamais. À condition, bien entendu, que vous ayez le cran de le laisser faire les choses autrement…
En passant, le cardinal de Retz a dit dans ses Mémoires : «On est plus souvent dupé par la défiance que par la confiance».
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