BLOGUE. On dit que mettre les gens en compétition entre eux leur donne en général le petit coup de fouet nécessaire pour les voir donner le meilleur d'eux-mêmes. On le dit souvent, n'est-ce pas? Mais est-ce bien vrai?
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J'ai trouvé la réponse à cette interrogation dans une étude intitulée Does competition enhance performance or cheating? A laboratory evidence, signée par Christiane Schwieren, professeure de comportement organisationnel à l'Université d'Heidelberg (Allemagne), et Doris Weichselbaumer, professeure d'économie à l'Université Johannes-Kepler (Autriche). Celle-ci montre que miser sur l'esprit de compétition n'est pas forcément une bonne idée...
Ainsi, il a été demandé à 65 étudiants – 33 hommes et 32 femmes – d'une université barcelonaise de participer à une expérience très simple : faire des labyrinthes en ligne dans un laboratoire, à partir du site Web Yahoo. Sans le savoir, les participants avaient été répartis en deux groupes, aux instructions différentes :
> Groupe peu compétitif. Chaque participant recevait une récompense en argent pour chaque labyrinthe résolu.
> Groupe ultracompétitif. Chaque participant recevait une récompense en argent pour chaque labyrinthe résolu, et surtout à condition qu'il ait été le premier à l'avoir résolu d'un groupe de six personnes.
Au signal de départ, tout le monde avait 30 minutes pour empocher le plus d'argent possible. Pas une de plus. Cela étant, il était hyper facile de tricher, c'était d'ailleurs ce que voulaient observer les deux chercheuses.
Par exemple, il était indiqué dans les instructions que tous les labyrinthes à résoudre devaient avoir un niveau de difficulté de 2 (sur 5) et que chacun devait s'assurer que ce soit bien le cas. Comme aucune surveillance n'était assurée dans le laboratoire par les expérimentateurs, il était tentant de faire passer le niveau de difficulté à 1...
Idem, il y avait un bouton sur l'écran intitulé Auto-Solve, qui permettait de se faire montrer la solution par l'ordinateur. Là encore, il était tentant de cliquer dessus. Ou encore, il y avait un autre bouton sur l'écran, Path Verify, qui, lui, indiquait en temps réel toute erreur commise par le joueur.
Enfin, chaque participant devait remplir à la main une feuille de papier où il indiquait le numéro de chaque labyrinthe résolu, au moment-même où il l'avait fait. Et c'est à partir du résultat figurant sur cette feuille que chacun était rémunéré sur le champ par les expérimentateurs. Bref, il suffisait d'écrire à peu près n'importe quoi sur la feuille pour toucher le jackpot.
Que croyez-vous qu'il est arrivé? Tout le monde a-t-il joué le jeu le plus honnêtement du monde et empoché la somme méritée? Ben non...
> Pas de meilleure performance. Les membres du groupe ultracompétitif n'ont pas enregistré de meilleurs résultats que ceux de l'autre groupe. Par conséquent, le fait d'accroître le niveau de compétition n'a pas permis d'améliorer la performance.
> Davantage de tricherie. Les membres du groupe ultracompétitif ont nettement plus triché que les autres. Et donc, le fait d'accroître le niveau de compétition a fait augmenter la tricherie.
Un détail a attiré l'attention des deux chercheuses : une catégorie de personnes avait nettement plus triché que les autres. Laquelle? Eh bien, les femmes. Oui, les femmes avaient triché de manière éhontée, du moins nettement plus que les hommes.
Bien entendu, Mmes Schwieren et Weichselbaumer ont voulu en connaître la raison. Cela leur a permis de faire une découverte inattendue, mais fort intéressante : en fait, il était trompeur de croire qu'il y avait un comportement distinct en fonction du sexe. Ce n'était pas ça l'élément important, mais autre chose : il se trouvait qu'en fait les femmes qui avaient participé à l'expérience étaient particulièrement mauvaises pour résoudre des labyrinthes. C'était tout.
Les deux chercheuses ont dès lors compris que plus on était mauvais à accomplir la tâche demandée, plus on était prompt à tricher, si l'occasion s'en présentait. Bref, c'est le manque de compétence qui fait le tricheur. «Plus précisément, ceux qui ont le moins de chances de bien faire ce qui leur est demandé sont les plus portés à tricher, c'est-à-dire à chercher un "Plan B" pour s'en sortir tout de même. Et ils envisageront le plus de "Plans B" possible pour multiplier leurs chances de trouver une solution», notent-elles dans leur étude. Et de souligner que plusieurs participants avaient reconnu avoir triché surtout pour «sauver la face» par rapport aux autres, non pas pour tenter d'empocher davantage d'argent.
Fascinant, n'est-ce pas? On ne triche pas vraiment par goût, mais parce qu'on craint l'échec, et par suite le regard moqueur d'autrui après avoir eu vent de notre ratage. Autrement dit, on triche par nécessité, poussé que l'on est à devoir faire toujours mieux. C'est aussi bête que ça.
Vous voilà maintenant prévenus. Si vous mettez, par exemple, les membres de votre équipe en compétition avec ceux d'une autre, ou si vous exacerbez trop l'esprit de compétition, vous risquez de finir par vous en mordre les doigts...
En passant, Jean Cocteau aimait à dire : «Il n'existe que deux manières de gagner la partie : jouer cœur ou tricher».
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