BLOGUE. Dire «non». Pas toujours facile. Pour mille et une raisons : peur de vexer l'autre, crainte de se fâcher avec lui, etc. Et surtout quand cela nous tente furieusement de dire «oui», même si l'on sait que ce serait une bêtise : comment dire «non» à une splendide crème glacée napée de fondant au chocolat noir (surtout si l'on suit un régime), ou encore comment dire «non» à une beauté fatale qui nous fait de l'œil (surtout si l'on vit en couple)?
Découvrez mes précédents posts
Suivez-moi sur Facebook et sur Twitter
Pourtant, il nous faut bien résister à la tentation. Car si l'on cédait, on s'en porterait très mal par la suite, comme vous la savez peut-être déjà. La question est donc de savoir comment faire pour résister. Y a-t-il une méthode vraiment efficace pour ça? Eh bien, il semble que oui. C'est ce qu'indique l'étude «I don't» versus «I can't»: When empowered refusal motivates goal-directed behavior signée par deux professeurs de marketing, Vanessa Patrick, de l'École de commerce Bauer (États-Unis), et Henrik Hagtvedt, de l'École de management Carroll (États-Unis).
Ainsi, les deux chercheurs sont partis de l'idée qu'il est important, pour un consommateur, de savoir résister aux tentations, s'il souhaite rester en bonne santé physique et financière. Sans quoi, il va vite dépenser son argent n'importe comment, et prendre des kilos à force de boire, par exemple, des boissons gazeuses sucrées au lieu de simples bouteilles d'eau. L'intéressant est donc de savoir ce qu'il se passe dans sa tête au moment où sa résistance à la tentation entre en jeu.
Mme Patrick et M. Hagtvedt n'étant pas des neuroscientifiques mais des spécialistes du marketing, ils ne se sont pas plongés dans les circonvolutions de notre cerveau, mais plutôt la pensée qui nous vient le plus souvent à l'esprit dans une telle situation. Quelle pensée? Une phrase, qui peut se présenter de deux manières distinctes : «I don't», que l'on peut traduire en français par «Je ne dois pas»; et «I can't», soit «Je ne peux pas».
Certains vont considérer a priori que la nuance entre les deux expressions est infime, du moins pas suffisante pour faire une différence. Or, c'est justement ce qu'ont voulu vérifier les deux chercheurs, à l'aide de trois expériences.
Dans la première, 120 étudiants d'une université américaine ont dû répondre à un questionnaire dont seulement une partie des questions étaient pertinentes pour le sujet étudié (l'idée était de ne pas permettre aux participants d'identifier l'objet de l'étude). Puis, ils ont rempli un autre questionnaire, avec des questions du genre «Quand vous êtes tenté par une barre chocolatée hypercalorique, dîtes-vous plutôt «Je ne dois pas» ou «Je ne peux pas»?». Après ça, ils ont indiqué dans quel état ils se sentaient sur le plan psychologique. Enfin, une dernière information leur a été soutirée à leur insu : en remettant tous les documents qu'ils avaient rempli, l'examinateur aux participants une petite récompense surprise qu'ils pouvaient eux-mêmes choisir, soit une barre chocolatée, soit une barre nutritive santé.
Grâce à cette expérience, les deux chercheurs ont découvert qu'il y avait bel et bien une différence de taille entre penser «Je ne dois pas» et «Je ne peux pas». Quelle différence au juste? Pour le déterminer avec exactitude, ils ont effectué une autre expérience.
Cette fois-ci, 179 adultes dans un premier temps, puis 120 étudiants dans un second temps, ont été soumis grosso modo au même type de questionnaires, mais après avoir été répartis à chaque fois en deux groupes. Dans l'un, la motivation pour résister à la tentation était interne, c'est-à-dire qu'ils étaient incités à résister pour leur propre bien. Dans l'autre, elle était externe, c'est-à-dire que l'objectif était de résister dans l'intérêt d'un proche (ex.: dire «non» à une beauté fatale parce que, si ça se savait, cela ferait un mal de chien à la personne avec qui on vit en couple).
Tout cela leur a permis de faire de belles trouvailles :
> Avantage au «Je ne dois pas». Quand la motivation est interne, la résistance à la tentation est nettement plus efficace lorsqu'on pense «Je ne dois pas» au lieu de «Je ne peux pas».
> Intérêt néanmoins du «Je ne peux pas». En revanche, quand la motivation est externe – ce qui est moins fréquent, reconnaissons-le –, c'est le «Je ne peux pas» qui est le plus efficace.
Pour terminer, Mme Patrick et M. Hagtvedt ont procédé à une expérience grandeur nature. Ils ont demandé à 30 employées d'une entreprise américaine de s'inscrire à un programme de remise en forme particulier, sur une durée de 10 jours. Celles-ci devaient se fixer des objectifs et s'y tenir, ainsi que dresser une liste de tentations auxquelles elles s'engageaient à résister, mais en pensant alors systématiquement soit «Je ne dois pas», soit «Je ne peux pas». Résultat? Les trouvailles en laboratoire se sont vérifiées sur le terrain.
Les implications au travail me semblent évidentes :
> Quand il vous faut dire «non» pour votre propre intérêt alors que le petit diable en vous rêverait de dire «oui», pensez très fort «Je ne dois pas. Je ne dois pas. Je ne dois pas. Je ne dois pas. Je ne dois pas». Votre résistance sera alors au top.
> Quand vous devez impérativement dire «non» dans l'intérêt de votre équipe, voire de votre entreprise, répétez dans votre tête «Je ne peux pas. Je ne peux pas. Je ne peux pas. Je ne peux pas. Je ne peux pas». La tâche en sera plus aisée.
C'est aussi simple que ça.
En passant, l'écrivain français Julien Gracq aimait à dire : «Le monde fleurit par ceux qui cèdent à la tentation.»
Découvrez mes précédents posts