BLOGUE. Nous passons notre temps à prendre des décisions, que ce soit au travail ou à la maison. Des décisions faciles, et d'autres difficiles. Et parfois mêmes des décisions irréversibles. Le hic? Nous ne savons jamais au juste comment nous y prendre pour trouver la meilleure décision possible. Nous procédons à chaque fois par essais et erreurs, si bien que nous commettons souvent des bourdes. Ce n'est pas l'idéal, reconnaissons-le bien humblement…
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Y a-t-il un moyen d'être plus performant dans nos prises de décision? Sûrement. «Mais lequel?», me direz-vous. Eh bien, on peut en envisager un que j'ai déniché dans l'étude Garbage Can in the lab signée par Thorbjørn Knudsen, professeur de stratégie organisationnelle à l'Université du Sud-Danemark, assisté de son étudiant Sangyoon Yi, et par Massimo Warglien, professeur de comportement organisationnel à l'Université Ca'Foscari de Venise (Italie).
Ainsi, les trois chercheurs se sont penchés sur une vieille étude qui est fréquemment citée par des universitaires spécialisés dans le domaine de la prise de décision. Celle-ci s'intitulait A Garbage Can Model of Organizational Choice et avait été le fruit du travail de David Cohen, à l'époque jeune diplômé de Stanford, de son professeur James March et de Johan Olsen, un professeur de l'Université de Bergen (Norvège) en visite à Stanford. Elle indiquait une nouvelle approche – pour l'époque, à savoir en 1972 – de l'analyse de la prise de décision, en dissociant le problème, les solutions possibles et les preneurs de décision.
Pourquoi s'y sont-ils intéressés? Parce qu'elle est souvent citée sans avoir vraiment été, d'après eux, vérifiée. Du coup, nombre de chercheurs et d'études s'appuyaient sur elle, sans trop savoir s'ils faisaient bien, ou s'ils commettaient une erreur en agissant de la sorte.
C'est que le modèle dit Garbage Can est ambitieux. Il prétend prédire le comportement d'un petit groupe de personnes lorsque celui-ci doit prendre une décision. Rien de moins. Et il a été si magnifiquement présenté par MM. Cohen, March et Olsen que nombre de chercheurs en sont séduits dès qu'ils le découvrent, «agissant avec autant de magnétisme sur les chercheurs en management que le test de Rorschach sur les psychologues».
Que dit ce modèle, au juste? Grosso modo que le comportement des êtres humains en petit groupe est prévisible et perfectible. Et ce, en vertu d'une loi très simple : la meilleure stratégie pour être performant consiste à résoudre le problème le plus simple (dans l'étude, ceux qui ont besoin du moins d'énergie pour être réglés), puis à passer au suivant, toujours en fonction du degré de complexité.
Les trois chercheurs ont donc mené une expérience en laboratoire. Ils ont demandé à 64 étudiants de participer à une sorte de jeu sur ordinateur, après avoir été regroupés en équipe de quatre personnes. Le jeu était très simple. Sur l'écran apparaissait huit carrés de couleurs différentes : le blanc indiquait une tâche à accomplir ; le gris, une tâche qu'il faudra accomplir ultérieurement, mais pas maintenant ; le noir, une tâche accomplie. Dans les carrés blancs figuraient deux barres, à savoir l'effort requis pour accomplir la tâche et l'effort déjà fourni pour cela. Une tâche était accomplie à partir du moment où la seconde barre (efforts déjà fournis) devenait plus haute que la première (efforts à fournir).
Les participants avaient le droit à 10 tours de décision. Durant chaque tour, ils avaient une certaine quantité d'efforts à leur disposition, qu'ils devaient entièrement consacrer à une seule tâche. Leur but était de remplir le plus de tâches possible (ils étaient rémunérés en fonction de leur performance).
Résultats? Voici les deux principaux :
> Le modèle Garbage Can est valable. Il est même redoutablement efficace, car les prévisions théoriques qu'il donnait pour ce genre d'expérience correspondaient de manière troublante à ce qu'ont bel et bien fait les participants. Par exemple, il disait que les participants accompliraient 2,64 tâches sur les 8, et l'expérience s'est traduite par une performance moyenne de 2,98 tâches accomplies par équipe.
> Le modèle Garbage Can a toutefois un défaut. Les trois chercheurs ont remarqué que les participants n'avaient pas vraiment agi comme le postulait le modèle, à savoir qu'ils commenceraient par s'attaquer à la tâche la plus facile pour passer progressivement à de plus complexes. En fait, seulement 57% d'entre eux ont procédé de la sorte.
La question saute aux yeux : «Comment se fait-il que des comportements distincts mènent à peu près aux mêmes résultats?». MM. Knudsen, Warglien et Yi ont regardé s'il y avait un problème avec leur méthodologie, ou bien avec leurs calculs de référence avec le modèle Garbage Can lui-même. Ils ont même vérifié si ce n'était pas une simple coïncidence. Rien. Ils n'ont rien trouvé de particulier. Si ce n'était une chose…
Les êtres humains ont, en fait, adopté une stratégie spéciale, que le modèle Garbage Can permettait nullement d'identifier. Ils ont veillé à «préserver l'hétérogénéité de leur comportement», c'est-à-dire qu'ils ont fait exprès de passer sans cesse d'une tâche à l'autre, sans trop se préoccuper du fait qu'elle était simple ou complexe. Un coup, ils s'attaquaient à une tâche facile, un autre à une tâche difficile, un autre encore à une tâche facile, etc. Sans ordre très précis. Mais attention, pas totalement par hasard, mais plutôt par une stratégie d'«anarchie organisée».
Passer comme cela du coq à l'âne est-il un comportement aberrant? Ou à tout le moins illogique? Pour ne pas dire loin d'être optimal? Les trois chercheurs se sont amusés à faire tourner leur programme de jeu par l'ordinateur lui-même, en lui donnant l'instruction de jouer totalement au hasard, histoire de voir ce que cela donnerait. Et quelle n'a pas été leur surprise de découvrir que l'ordinateur affichait de meilleures performances que le modèle Garbage Can et que les êtres humains! Comme quoi, le comportement raisonné, et en apparence anarchique, des êtres humains était tout à fait pertinent.
Par conséquent, on peut en tirer la conclusion qu'un bon moyen pour trouver la meilleure solution à un problème, c'est de miser sur la :
1. Multiplicité. Ne pas chercher seul, mais à plusieurs (par exemple, en groupe de quatre personnes, comme dans l'expérience).
2. Diversité. Ne pas transformer le groupe de quatre en un leader et trois moutons, mais le laisser être un espace de libre expression de toutes ses voix. Car de la diversité naît la pluralité des vues, et donc des solutions envisagées.
3. Flexibilité. Ne pas se contraindre à une stratégie de résolution de problème rigide (par exemple, ne pas décider de s'attaquer aux différents aspects du problème par ordre croissant de difficulté). Mieux vaut miser sur une approche «anarchique», ou désordonnée si vous voulez, car celle-ci est beaucoup plus propice à l'intuition, qui est bonne conseillère beaucoup plus souvent que ce qu'on croit a priori.
Voilà. C'est aussi simple que ça. Multiplicité – Diversité – Flexibilité. C'est tout, ça suffit.
En passant, l'écrivain Daniel Pennac a dit dans Aux fruits de la passion : «On devrait vivre a posteriori. On décide tout trop tôt».
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