BLOGUE. Avez-vous remarqué, comme moi, que les excuses avancées lorsqu'une grosse erreur a été commise sont souvent les mêmes? Vous savez, les fameuses répliques du genre «J'étais pressé par le temps et il a fallu trancher, vite, trop vite pour prendre la bonne décision», «C'est les autres qui voulaient qu'on prenne cette décision, pas moi» et autres «Je ne pouvais pas savoir que ça se passerait comme ça».
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Comment expliquer ce phénomène? C'est fort simple : les vraies explications d'une grosse erreur ne sont pas si variées que cela. En fait, elles reviennent toutes, ou presque, à une explication unique. Laquelle? Le processus de prise de décision au sein de votre entreprise, voire de votre équipe. Oui, lui seul!
C'est ce que j'ai appris avec ravissement en découvrant un article du dernier Journal of organization design intitulé How decisions can be organized – and why it matters. Celui-ci est signé par Michael Christensen et Thorbjørn Knudsen, deux professeurs de design des organisations à l'Université du Danemark du Sud.
Ainsi, les deux chercheurs danois se sont penché avec minutie sur une poignée d'études faisant autorité sur le sujet, des classiques des sciences économiques signés, entre autres, par Jacob Marschak, Roy Radner, Raaj Kumar Sah et Joseph Stiglitz. Leur objectif consistait à regarder s'il s'en dégageait des constantes en matière d'efficacité dans la prise de décision en entreprise.
Sans le savoir, MM. Christensen et Knudsen ont eu là une belle intuition. Car ils ont en effet trouvé de telles constantes. Au nombre de quatre exactement, qui – de surcroît – se présentent sous la forme de quatre étapes à suivre pour déterminer le meilleur processus de prise de décision qui soit :
1. Visualisation. Ceux qui prennent les bonnes décisions commencent toujours par visualiser comment celles-ci doivent être prises, en fonction du contexte. Ils le visualisent concrètement, c'est-à-dire qu'ils dessinent l'organigramme de prise de décision. Ça peut être, par exemple :
> Le schéma hiérarchique : A > B > C. C'est-à-dire que A soumet ses idées à B, lequel soumet ses idées à C (en tenant plus ou moins compte des idées de A), lequel tranche (en tenant plus ou moins compte des idées d B), car il est le "big boss".
> Le schéma du comité de décision : A | B | C. C'est-à-dire que A, B et C se retrouvent au sein d'un même groupe créé pour l'occasion. Les différences hiérarchiques s'y font sentir, bien entendu, mais dans une moindre mesure que dans le schéma hiérarchique.
> Le schéma de la polyarchie (ce terme, concocté par Robert Alan Dahl, professeur émérite de science politique à Yale, désigne une forme de gouvernement dans lequel le pouvoir est entre les mains de trois personnes ou plus) : A = B = C. C'est-à-dire que chaque personne concernée est placée sur un pied d'égalité, si bien qu'il est nécessaire d'obtenir un consensus pour qu'une décision soit prise.
2. Énumération. Ceux qui prennent les bonnes décisions énumèrent toutes les voies possibles de prise de décision au sein du schéma dressé à l'étape 1. Concrètement, ils indiquent par des traits toutes les voies que peuvent emprunter les idées qui doivent être analysées par les personnes concernées. Dans le cas du schéma hiérarchique, par exemple, il suffit de tracer une flèche de A à B, puis une autre, de B à C.
3. Identification. Ceux qui prennent les bonnes décisions identifient le chemin idéal que devraient prendre les idées à analyser. Ce chemin idéal correspond, on s'en doute, au plus simple. Comment le déterminer? D'un point de vue visuel, c'est celui où les idées circulent de manière fluide. D'ailleurs, un bon truc pour s'en rendre compte, c'est d'imaginer que le flux d'idées correspond aux flots d'une rivière : si les embûches sont nombreuses, le courant d'eau passe mal; et inversement. À noter que les embûches peuvent être discernées grâce aux informations disponibles : la compétence réelle de chaque personne figurant dans le groupe, le délai dont a besoin chacun pour réfléchir aux idées soumises, etc.
4. Comparaison. Ceux qui prennent les bonnes décisions comparent leur modèle de prise de décision à d'autres, afin de vérifier si le leur est le meilleur. Le cas échéant, ils font les changements qui s'imposent.
Forts de cette trouvaille, les deux chercheurs danois ont procédé à différentes expériences sur le terrain (notamment au sein d'une banque et d'une firme d'ingénierie), histoire de vérifier sa validité. Celles-ci ont confirmé le tout. Sans ambiguïté.
Mieux, MM. Christensen et Knudsen en ont dégagé une série de conseils pratiques à l'attention des managers qui envisagent d'améliorer leur processus de prise de décision. Voici les principaux :
> Regardez chacun autrement. Le flux d'idées idéal doit toujours passer par différentes personnes. Or, celles-ci présentent des niveaux différents de résistance et de perméabilité à ce flux. Il convient donc d'analyser chacun en fonction de ce duo résistance/perméabilité, lequel peut être déterminé à partir des évaluations professionnelles faites au fil des ans. L'intérêt de cette approche est quelle permet de voir les uns et les autres sous un autre jour, et par suite de dessiner des schémas de flux d'idées auxquels on n'aurait pas pensé a priori (ex.: nous avons tous le réflexe de considérer que c'est le "big boss" qui doit trancher, alors que ce n'est pas forcément toujours la meilleure chose qui soit…).
> Optez pour les duos. L'être humain est faillible. Oui, même les meilleurs d'entre nous commettent, un jour ou l'autre, des erreurs. C'est pourquoi les deux chercheurs danois pensent qu'il est bon de miser sur des duos : le risque d'erreur (omission, biais, etc.) est dès lors amoindri, pour ne pas dire quasi nul lorsque le duo fonctionne à merveille. A correspond à ce moment-là à deux personnes (A' et A''), B à deux autres personnes, etc. Le hic? Quand on est deux, on ne s'entend pas toujours, ce qui risque de gripper le processus de prise de décision. Le remède est dès lors de faire intervenir ponctuellement une tierce personne pour surmonter la difficulté rencontrée, en considérant, par exemple, que la majorité l'emporte.
> Distinguez évaluation et décision. Évaluer une idée n'est pas la même chose que choisir la bonne idée. Et bien souvent, ont noté les deux chercheurs danois, l'idéal est de demander à certains d'évaluer et à d'autres de trancher. Comment faire? On peut, par exemple, procéder à un vote anonyme pour trancher, ou bien décider de ne pas discuter les idées avant qu'elles n'aient été évaluées. On peut également considérer, pour les projets d'importance, la création d'une équipe spéciale dédiée exclusivement à l'évaluation des idées – qui fonctionnerait en polyarchie, recommandent-ils – et d'une autre pour le choix final.
Voilà. Prendre de meilleures décisions est à votre portée. Il vous suffit pour ce faire de vous pencher sur le design de votre processus de prise de décision et d'avoir le courage d'y apporter les changements nécessaires.
En passant, le philosophe grec Héraclite disait : «Rien n'est permanent, sauf le changement».
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