BLOGUE. L'intention du gestionnaire de portefeuilles Invesco de demander la destitution de tout le conseil d'administration de Rona risque de lancer la bataille corporative de l'année au Québec, avec de multiples affrontements entre les forces souverainistes et fédéralistes, mais aussi entre les forces du capitalisme de gauche et celles du capitalisme de droite.
Ce n'est pas pour rien qu'Invesco n'est pas pour l'instant prête à commenter.
Pour certains, il ne s'agit que d'un putsch dans le but d'écarter un conseil d'administration qui n'a pas fait son travail au cours des dernières années.
Il est vrai que sous cet angle, le conseil ne paraît pas très bien.
Depuis 2008, le titre de Rona est passé de 25$ à 10$. Pendant ce temps, celui de Home Depot grimpait de 28$ à 62$. Celui de Lowe's stagnait entre 25 et 32$. Et celui de Canadian Tire demeurait relativement au même niveau.
Devant pareille situation, il n'est pas surprenant qu'un actionnaire activiste se pointe et tente de relancer l'entreprise en y amenant du sang neuf.
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Là où les choses se compliquent, c'est qu'on peut déjà anticiper que le plan de match d'Invesco n'est pas d'améliorer l'exécution et la stratégie. Il y a fort à parier qu'elle veut plutôt tenter de mettre ses joueurs dans une majorité de sièges au conseil d'administration, rappeler Lowe's, et lui vendre Rona le plus cher possible.
L'affaire risque de devenir émotive.
Pour les capitalistes de droite, la force du capital est ce qui doit primer, et Rona devrait passer à Lowe's du moment que le prix y est.
Pour les nationalistes, un symbole risque de passer en des mains étrangères et il faut coûte-que-coûte empêcher la chose.
Pour les capitalistes de gauche, il faut s'attarder au prix et au rendement offert, mais aussi considérer que l'actionnariat n'est pas la seule des composantes qui forme une entreprise. L'impact d'un changement structurel sur ses autres composantes (milieu, employés, fournisseurs, créanciers) doit aussi recevoir une certaine considération. Dans le cas de Rona, le Québec perdra un autre siège social, lui qui n'en a pas à revendre. Il perdra aussi un certain nombre d'emplois de haut niveau. Des fournisseurs québécois et canadiens risquent de perdre un accès aux tablettes (il ne faut pas exagérer le facteur, mais pas non plus le minimiser). Une culture sociale est aussi à risque (Rona est issue d'une ancienne coopérative et, de par ces racines, est réputée être plus engagée que la moyenne dans son milieu).
On est personnellement de l'école du capitalisme un peu plus à gauche sur le spectre. Et davantage favorable à la création de richesse par le développement que par l'attrition. Bien conscient qu'il peut venir un jour où les avenues de développement deviennent limitées. Mais c'est ce qu'on appelle alors la maturité.
Rona ne devrait pas passer à Lowe's.
Comment la situation évoluera-t-elle?
Comment la situation évoluera-t-elle?
La Caisse de dépôt, plus important actionnaire détient 14,18% des actions (Invesco en détient 10,16%). Elle est présumée défavorable à la vente de Rona à Lowe's. Elle est cependant prise en porte-à-faux avec sa mission et doit décider entre rendement et développement économique.
Les marchands de Rona sont présumés défavorables et détenir plus de 10% du capital. Le Fonds de solidarité est également présumée défavorable et détient 3,5%.
On n'est pas loin de 30% d'opposants présumés à la vente. Mais même si tous devaient voter contre le renversement du conseil, celui-ci n'aura vraisemblablement pas assez d'appuis. Il ne suffit que d'obtenir 50% plus un du suffrage pour le renverser.
Si le conseil est démis, la vente peut-elle être empêchée?
Si Invesco réussit à installer un nouveau conseil, une vente à Lowe's pourrait-elle être bloquée?
Les lois canadiennes font en sorte qu'un acquéreur qui obtient 66% des actions d'une compagnie a la possibilité de forcer la vente du reste des actions.
Lowe's cherche assurément à obtenir 100% du contrôle de manière à pouvoir utiliser 100% des flux de trésorerie du quincaillier québécois pour rembourser la dette que lui occasionnera l'acquisition. Si on se fie à notre petit décompte, il se pourrait bien qu'elle ne soit pas en mesure d'obtenir une telle hauteur.
Elle devra alors décider si elle n'achète qu'un bloc contrôle. La probabilité est bonne que c'est ce qu'elle fera. Elle pourra obtenir la majorité des sièges, implanter ses politiques, apprendre de l'exploitation de plus petits formats et, éventuellement, plus tard, lorsque les choses se seront calmées, racheter ce qui lui manque.
Ne reste donc que deux options aux opposants à la vente.
Le fédéral a la possibilité de déterminer qu'une acquisition n'est pas à « l'avantage net du Canada ». Dans le contexte actuel, avec le vent de réprobation internationale qui soutient que le Canada a trop tendance à utiliser l'avenue, il est peu probable qu'Ottawa oppose son veto.
Il faut aussi reconnaître qu'il est difficile de qualifier Rona de rouage stratégique pour l'économie du pays.
Il reste donc une option, celle de voir le gouvernement du Québec tenter un blocage de la vente par un amendement à la Loi sur les valeurs mobilières. En faisant entrer dans la loi la philosophie du capitalisme de gauche.
Évidemment on pourrait aussi tenter d'attirer un chevalier blanc, comme Canadian Tire. Mais on n'y croit pas tellement.
C'est le gouvernement du Québec qui décidera de l'avenir de Rona. S'il songe à bloquer il n'aura guère le choix que de lancer un nouveau débat sur la définition du capitalisme. Ce qui ne manquera pas de faire bien des remous dans l'ensemble du Canada.
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