BLOGUE. Le rôle dans l'économie québécoise de la Caisse de dépôt pourrait une nouvelle fois être remis en question au cours des prochaines semaines dans le dossier de l'éditeur de jeux vidéo américain en difficultés THQ, qui compte un important studio à Montréal.
Selon les plus récentes informations disponibles publiquement, qui datent du 30 septembre dernier, la Caisse était alors le 3e plus important actionnaire de THQ, avec environ 3,28% des actions. La Caisse ne semble pas du tout effarée par les déboires de l'entreprise, au contraire. Près de la moitié de sa participation a été acquise au cours des six derniers mois, ce qui témoigne vraisemblablement d'une certaine confiance envers l'éventuelle relance de l'entreprise.
Autrefois évaluée à plus de 80$, l'action de THQ se maintient aujourd'hui à peine au-dessus du seuil de 1$. Il y a un an, elle en valait encore une vingtaine. La capitalisation boursière de l'entreprise n'est aujourd'hui plus que de 7,5 M$ US, un montant qui paraît dérisoire en comparaison des budgets des productions dans lesquelles elle est engagée.
À l'occasion de la plus récente divulgation de ses résultats trimestriels, il y a quelques jours, on a annoncé une perte de 21 M$ et suspendu toute projection pour le futur. Du même coup, on a annoncé l'embauche d'une firme, Centerview Partners LLC, pour assister « dans l'évaluation stratégique et le financement alternatif » des projets. Un signe qui traduit généralement la proximité d'une vente ou d'une faillite. THQ a aussi raté un paiement, il y a quelques jours.
Les banquiers de l'entreprise ont d'ailleurs visité les locaux montréalais au cours de la semaine, histoire d'obtenir une mise à jour sur les quatre projets actuellement en cours de production. Des représentants de la Caisse ont aussi participé à l'exercice, selon ce qu'il a été possible d'apprendre. Comme à son habitude, l'organisme a refusé de répondre à nos questions concernant un investissement précis.
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Montréal au coeur de la relance
Les échos obtenus du studio montréalais sont à l'effet que les choses continuent « comme si de rien n'était » pour les employés.
Il faut dire qu'une grande partie de l'avenir de l'entreprise pourrait se jouer à Montréal, qui risque d'être le dernier studio du groupe à survivre, si on se rend jusque-là. Le nouveau président de THQ, Jason Rubin, a annoncé en août dernier qu'il misait énormément sur Montréal, allant jusqu'à laisser entendre qu'il y déménagerait l'essentiel de l'entreprise si ce n'était des impacts que cela aurait sur la vie familiale des employés qui seraient ainsi forcés de déménager.
THQ a quelques bonnes raisons de privilégier Montréal. D'abord, grâce au généreux programme de crédits d'impôt du gouvernement du Québec, il s'agit fort probablement de son studio où la main-d'oeuvre coûte le moins cher. Ensuite, dans sa réorientation stratégique, l'entreprise a choisi de miser sur les titres à gros budget et de grande qualité. C'est un type de projet pour lequel le bassin de main-d'oeuvre montréalais a acquis une expérience et une réputation enviables.
Troisièmement, lors de son implantation, THQ s'est engagée à créer 400 emplois à Montréal d'ici 2015, en échange d'une subvention de 3 M$. Aux dernières nouvelles, elle n'en comptait qu'environ 150 et M. Rubin a admis que l'atteinte du chiffre de 400 pourrait être problématique. À l'échelle des problèmes de THQ, devoir rembourser en tout ou en partie cette subvention est un détail secondaire, mais si on peut conserver le maximum d'emploi ici et éviter cela, pourquoi pas?
Finalement, c'est à Montréal que mijote ce qui pourrait être la planche de salut de THQ : un mystérieux projet à grand déploiement piloté par Patrice Désilets, l'idéateur de la franchise Assassin's Creed, qu'on a ravi à Ubisoft avec une offre que l'on devine très alléchante.
Ce projet, dont aucun détail n'a jusqu'ici été rendu public, ne verra vraisemblablement pas le jour avant au mieux la fin 2013, plus réalistement en 2014. Il pourrait sérieusement redresser les finances de THQ en n'atteignant même que 60 ou 75% du succès d'Assassin's Creed. L'ennui, c'est qu'il faudra se rendre jusque-là et que l'entreprise commence déjà à négocier avec des problèmes de liquidités.
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C'est peut-être là que la Caisse de dépôt pourrait intervenir. C'est peut-être même carrément ce qui explique son intérêt dans THQ. Les décideurs de la Caisse sont probablement mieux placés que beaucoup d'autres pour avoir une idée de ce qui se mijote dans le studio de THQ Montréal. Celui-ci est littéralement situé à moins d'un coin de rue de leur siège social.
On entend de plus en plus fréquemment des gens s'inquiéter du fait que la plus grosse part de l'industrie du jeu vidéo québécoise n'est, en fait, pas québécoise, mais plutôt française (Ubisoft), américaine (Electronic Arts, Activision, Warner, THQ), japonaise (Square Enix/Eidos) ou même norvégienne (Funcom). Et si THQ, par le biais de l'intervention de la Caisse, devenait québécoise, avec comme produit vedette un jeu développé sur la rue St-Antoine?
Même en supposant qu'il s'agit là du plan, il reste encore des obstacles importants à franchir. L'un d'eux a pour nom Invesco. Ce gestionnaire de portefeuilles est, aux dernières nouvelles, le plus gros actionnaire de THQ, avec une part de 10,31%. Et si le nom vous semble vaguement familier, c'est probablement parce que vous l'avez entendu dans l'actualité récemment. C'est à Invesco qu'on attribue le départ du PDG de Rona, Robert Dutton.
Invesco et la Caisse sont considérés comme les deux principaux protagonistes du dossier Rona. Quel impact la rivalité entre les deux fonds pourra-t-elle avoir sur le dossier THQ? Difficile à dire. À en juger par ses actions avec Rona, la sensibilité d'Invesco pour le fait québécois est pour ainsi dire ténue et se classe d'innombrables rangs derrière la perspective d'un gain à court terme. Et le gain à court terme, dans le cas de THQ, passe probablement par la vente de projets en cours à d'autres éditeurs, peu importe leur provenance.