«Notre technologie remédie au manque de données sur les trajets des piétons et des vélos»


Édition du 13 Octobre 2018

«Notre technologie remédie au manque de données sur les trajets des piétons et des vélos»


Édition du 13 Octobre 2018

Par Diane Bérard

Tara Pham, cofondatrice, Numina

Tara Pham figure dans le classement 2018 des 30 entrepreneurs sociaux de moins de 30 ans du magazine Forbes. Cette Américaine a cofondé Numina, une jeune pousse qui a développé des senseurs qui captent les déplacements des piétons et des cyclistes et qui les traite sans compromettre leur vie privée.

Diane Bérard - Votre entreprise est née dans la foulée de deux accidents de vélo, le vôtre et celui de votre cofondateur. Racontez-nous.

Tara Pham - Les deux accidents se sont déroulés en 2013. Mon cofondateur a été victime d'un délit de fuite en soirée. Il s'est réveillé au département des soins intensifs sans trop comprendre ce qui lui était arrivé. Pour ma part, je roulais au centre-ville de Saint-Louis, au Missouri, lorsqu'un autobus a tourné devant moi. J'ai été projetée hors de la route. Dans les deux cas, on ne peut pas parler d'accident, car de telles situations sont inévitables. Les villes ne détestent pas les piétons ni les cyclistes, elles ne sont simplement pas dessinées ni outillées pour eux.

D.B. - Votre entreprise veut rendre les villes plus sécuritaires pour les piétons et les cyclistes. Comment ?

T.P. - Nous mesurons comment les gens et les objets se déplacent. Nos senseurs captent les mouvements de ces deux groupes de citoyens. Ces données sont traitées en temps réel et de façon anonyme. Puis transmises à nos clients pour qu'ils prennent de meilleures décisions d'aménagement.

D.B. - En quoi votre solution diffère-t-elle de ce qui existe déjà ?

T.P. - Il existe pas mal de données sur la circulation des véhicules. Ces données sont relativement faciles à capter. On installe des senseurs sur les routes, ceux-ci sont activés par le poids du véhicule. Les piétons et les vélos, eux, sont plus difficiles à capter. Nous avons créé nos propres senseurs équipés d'algorithmes d'imagerie qui reconnaissent les formes : un humain, un vélo, un fauteuil roulant, etc. Nous prenons une série d'images successives mesurant l'espace occupé par l'objet ou l'humain pour détecter sa nature.

D.B. - Pourquoi les villes n'ont-elles pas davantage de données sur le mouvement des piétons et des vélos ?

T.P. - J'évoquais plus tôt les limites technologiques de la collecte d'informations sur ces groupes. Ainsi, ces données sont généralement recueillies manuellement par des employés qui se placent aux intersections. C'est fastidieux et pas très fiable. Je le sais, je l'ai fait moi-même lorsque je travaillais pour un organisme de santé publique qui voulait encourager les déplacements actifs pour prévenir l'obésité. L'autre enjeu est celui des caméras. La plupart des caméras de surveillance appartiennent au service de police ou à des sociétés immobilières. Elles sont donc installées devant des entrées d'édifices et non à des intersections d'artères.

D.B. - Donnez-nous un exemple d'application de votre produit.

T.P. - À Jacksonville, en Floride, on enregistrait le taux le plus élevé d'accidents mortels de piétons de toutes les grandes villes américaines. Les autorités municipales ignoraient pourquoi. Après avoir repéré 12 intersections particulièrement meurtrières, on a réalisé que tout ce qu'on possédait, c'était des nombres absolus de décès, pas des taux. Nos senseurs ont permis de classer les intersections vraiment dangereuses, celles où le taux d'accident compte tenu du nombre de piétons, était vraiment élevé. La ville est donc intervenue sur celles-là en premier. Les données ont aussi permis de découvrir que, proportionnellement, peu de piétons étaient délinquants. Il n'était donc pas nécessaire d'investir pour redessiner les intersections. Il suffisait d'employer la peinture au sol pour bien souligner le passage piétonnier.

D.B. - Vos senseurs servent aussi à la gestion de la collecte des déchets. Quel lien entre celle-ci et la sécurité des piétons et des cyclistes ?

T.P. - À New York, il n'y a pas d'allées pour déposer les déchets ni de gros conteneurs. Les sacs s'entassent sur les trottoirs. Lorsqu'il y en a trop, cela force les piétons à marcher dans la rue. Ce n'est pas sécuritaire. Nous avons approché les autorités municipales pour leur proposer d'utiliser nos senseurs pour déterminer à quel moment l'accumulation de déchets pourrait entraîner des accidents piétonniers.

D.B. - Qu'en est-il de la vie privée de tous ces piétons et de ces cyclistes que vous captez sur des images ?

T.P. - Notre devise est l'«intelligence sans la surveillance». Les images captées ne sont pas envoyées à des serveurs chez les clients. Elles sont traitées par nos senseurs en temps réel, puis effacées pour n'être que des données anonymes.

D.B. - Numina a-t-elle développé sa propre technologie ?

T.P. - Elle est dessinée et fabriquée à New York. En 2015, nous avons déployé 30 unités de la première génération grâce à une subvention de la Fondation Knight. Nous en fabriquons 200 de la seconde génération. Une dizaine de collectivités attendent l'implantation au cours des trois prochains mois.

D.B. - Qui sont vos clients potentiels ?

T.P. - D'abord, les municipalités. Le secteur de la mobilité aussi; nos données les aideront à rendre les villes plus équitables en ciblant les zones peuplées, mais sous-servies par le système de transport. Les quartiers des affaires; les développeurs immobiliers; les universités, pour planifier le développement de leur campus. À terme, nous ciblons aussi les sociétés qui installent les bornes de recharge. Et les fabricants de véhicules sans conducteur. Ils auront besoin de savoir comment se comportent les gens dans les espaces ouverts.

D.B. - Quelle est votre source de revenus ?

T.P. - Les revenus d'installation des équipements et l'abonnement pour la transmission des données agrégées.

D.B. - Les villes collectent beaucoup de données, mais les utilisent-elles ? Comment vous assurez-vous que les données de Numina sont utiles ?

T.P. - Notre influence est limitée. Nous ne dessinons pas les villes. Par contre, plus notre technologie est conviviale et nos données présentées de façon claire, plus grandes sont les chances que nos clients les utilisent. Pour cette raison, nous devons nous montrer flexibles. Notre pouvoir consiste à en donner à nos clients.

D.B. - Qu'avez-vous appris depuis la création de votre prototype, en 2015 ?

T.P. - On apprend en implantant, pas en développant. Il est très facile pour un entrepreneur d'entretenir des préjugés pendant l'idéation et la conception.

D.B. - Quel est votre principal défi pour les prochains mois ?

T.P. - Le financement ! Nous voyons un univers d'occasions d'affaires qui rendraient aussi le monde meilleur. Mais, pour les investisseurs, travailler avec le gouvernement est synonyme de philanthropie, pas d'affaires lucratives. On entretient des idées fausses sur le cycle de vente, par exemple. Numina a signé quatre de ses contrats en aussi peu que 10 jours.

D.B. - D'où est venu votre financement ?

T.P. - Du monde philanthropique. De l'accélérateur Urban-X, spécialisé dans le développement des produits et des services pour les villes. Et d'investisseurs d'impact. Nous ne perçons pas encore chez les investisseurs traditionnels. Nous intéressons plutôt ceux qui ont une vision plus large de la contribution des affaires à la société et qui pensent à long terme.

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