Entrevue n°301 : Shailesh Prakash, directeur de la technologie, The Washington Post


Édition du 17 Septembre 2016

Entrevue n°301 : Shailesh Prakash, directeur de la technologie, The Washington Post


Édition du 17 Septembre 2016

Par Diane Bérard

«Les applications mobiles des médias ne soutiennent pas la comparaison avec Facebook ni avec Google» - Shailesh Prakash, directeur de la technologie, The Washington Post.

Shailesh Prakash est l'homme à l'origine du virage technologique du Washington Post. Son premier geste a été de décentraliser les TI afin que les ingénieurs puissent produire des outils plus rapidement. Ce geste incarne la nouvelle culture de cette institution qui tente d'adopter l'agilité des sociétés technologiques pour durer. Shailesh Prakash est conférencier au RDV média d'Infopresse, le 15 septembre, à Montréal.

Diane Bérard - Le Washington Post est-il profitable ?

Shailesh Prakash - Nous ne divulguons pas nos résultats financiers. Mais je peux affirmer que nos finances se portent très bien.

D.B. - Depuis son rachat par Jeff Bezos, en 2013, pour 250 millions de dollars américains, le Washington Post a revu son modèle. Quelles en sont les pièces maîtresses ?

S.P. - Nous avons revu le contenu en développant, par exemple, deux éditions numériques : une pour la matinée et une de fin de soirée. La première privilégie l'analyse, alors que la seconde propose un contenu plus léger. On ne veut pas vous assommer avant le sommeil. D'ailleurs, c'est un problème de la presse numérique en général : elle bombarde le lecteur. Il y a trop de contenu et il est mal organisé. Lire le journal, c'est relaxant. Les médias n'ont pas su reproduire cette expérience agréable sur les outils numériques. Nous avons donc revu l'expérience de nos lecteurs afin qu'elle soit plus agréable. Et nous avons implanté des outils de mesure.

D.B. - Comment développe-t-on un nouveau modèle d'entreprise ? S'agit-il simplement de chercher de nouvelles sources de revenus ?

S.P. - Le Washington Post paraîtrait brillant si je disais que nous avions un grand plan d'ensemble que nous avons déployé méthodiquement. Mais cela ne s'est pas déroulé ainsi. Nous avons simplement tenté de réduire le niveau de frustration de tout le monde. Celui des journalistes, celui des ingénieurs et celui des lecteurs. Cela nous a amenés à chercher des solutions. L'une d'elles a été ARC, un outil de gestion des contenus numériques que nous avons d'abord mis au point pour nous, puis que nous avons offert gratuitement aux universités pour gérer leur journal étudiant. Ensuite, nous avons pensé qu'ARC pourrait servir à d'autres médias. Et c'est devenu une source de revenus récurrents. Nous en sommes à 12 clients payants.

D.B. - Quels types de nouveaux revenus votre outil de gestion des contenus numériques engendre-t-il ?

S.P. - Il engendre des revenus d'installation lorsque nos ingénieurs intègrent la plateforme ARC à celle d'autres médias. ARC apporte aussi des revenus mensuels, car le Washington Post héberge tout le contenu. Le revenu dépend du trafic sur le site de notre client et du volume de données qu'il entrepose sur nos serveurs. Enfin, nous offrons un service de développement de logiciels.

D.B. - Quelle importance accordez-vous à la technologie dans la relance du Washington Post ?

S.P. - Je suis responsable de la technologie. On pourrait croire que je lui attribue la part du lion dans ce succès. Eh bien non. On doit notre succès au talent et au travail des journalistes. Toutefois, la technologie que nous avons implantée depuis cinq ans permet aux journalistes et à leurs gestionnaires d'être plus productifs, de faire le meilleur usage de leur talent et de mieux le mettre en valeur. Par exemple, nous avons établi un calendrier en ligne. Dans une salle de presse, on communique généralement par courriel. L'information est atomisée. On n'a pas de vue d'ensemble. On ignore qui travaille sur quoi. Ou à quelle heure les articles sont mis en ligne. On ignore aussi à quelle fréquence le site ou les applications présentent des problèmes techniques rendant les articles inaccessibles.

D.B. - Vous citez deux types de mesures : celles qui regardent vers le passé (lag measures) et celles qui regardent en avant (lead measures). Expliquez-nous.

S.P. - C'est Jeff Bezos qui nous a initiés à cette nuance. On cumule généralement des mesures qui décrivent le passé. Ce sont des mesures que nous ne contrôlons pas. Jeff souhaite que nous privilégions des mesures sur lesquelles nous avons un impact : la rapidité de notre site, le service à la clientèle, etc.

D.B. - Jeff Bezos a investi des sommes importantes dans le Washington Post. L'avenir des médias passe-t-il par la philanthropie ?

S.P. - C'est une vision pessimiste. Je ne veux pas diminuer l'importance de l'apport financier de Jeff. Mais sa véritable contribution est celle d'un changement de culture. Jeff nous apprend à prendre des risques et à expérimenter.

D.B. - Vous croyez que les médias devraient agir comme des sociétés technos et lancer rapidement des produits, même s'ils ne sont pas achevés...

S.P. - En effet, c'est le concept du produit minimum viable [MVP, pour minimum viable product] popularisé par Eric Ries [entrepreneur et auteur du livre à succès The Lean Startup] pour les applications Web. Au Washington Post, on le fait constamment. En ce moment, nous testons un nouveau site superrapide. Il est imparfait et incomplet, mais il est suffisamment achevé pour être soumis aux lecteurs. Ainsi, 10 % des internautes qui naviguent sur notre site sont aléatoirement dirigés vers cette version bêta. On verra ce que ça donne et on s'adaptera en conséquence.

D.B. - Cela explique que vous ayez décentralisé le service de technologie.

S.P. - On ne peut pas être agile si tout se décide en comité et exige le respect de politiques et de normes rigides.

D.B. - Vous dites que les applications mobiles des médias ne tiennent pas la route. Pourquoi ?

S.P. - Tout est question de comparaison. Google et Facebook nous ont gâtés. Nous nous attendons à ce que toutes les applications soient aussi rapides et conviviales. Aucun internaute ne se dit : «Ah ! C'est un site de nouvelles, je comprends que les médias ont moins de moyens». Il se dit plutôt : «Dix secondes pour télécharger, c'est beaucoup trop long ! Je n'attendrai pas». Et il quitte le site ou l'application pour lire les nouvelles sur son fil Facebook.

D.B. - De quoi rêvez-vous que la technologie ne permet pas encore ?

S.P. - J'aimerais que la technologie lise les pensées ! Nous pourrions satisfaire à 100 % nos lecteurs en leur proposant des contenus hyperpersonnalisés. Des algorithmes permettent de croiser vos recherches et de proposer d'autres lectures. Mais ils ont leur limite. En 2014, j'ai beaucoup lu sur la Coupe du monde de soccer. On m'a ensuite proposé des articles sur le soccer. Ce sport ne m'intéresse pas vraiment. J'ai lu sur la Coupe du monde 2014 parce qu'elle se déroulait au Brésil. C'est ce pays qui m'intéresse. Mais l'algorithme ne l'a pas saisi...

D.B. - Vous estimez que les journalistes ont comme rôle de porter et de vendre la mission de leur média aux autres employés. Expliquez-nous.

S.P. - Les entreprises comptent des mercenaires et des missionnaires. Les mercenaires ont une compétence recherchée et peuvent choisir leur employeur. Les ingénieurs et les techniciens sont des mercenaires. Les journalistes, eux, sont des missionnaires. Je compte sur eux pour éveiller le missionnaire chez leurs collègues. Mes ingénieurs reçoivent régulièrement des offres d'emploi de Google. Pour qu'ils restent chez nous, ils doivent croire, entre autres, que les médias sont essentiels à la démocratie.

D.B. - Vous avez travaillé chez Sears. La technologie peut-elle sauver ce détaillant ?

S.P. - Sears n'a aucun retard technologique. Les déboires de Sears démontrent que, si votre entreprise fait fi des tendances, aucune technologie ne pourra vous sauver.

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