Entrevue n°286 : Martin Lindstrom, auteur de Small data: The tiny clues that uncover huge trends


Édition du 23 Avril 2016

Entrevue n°286 : Martin Lindstrom, auteur de Small data: The tiny clues that uncover huge trends


Édition du 23 Avril 2016

Par Diane Bérard

Martin Lindstrom, auteur de Small data: The tiny clues that uncover huge trends.

À la fin de février, le Danois Martin Lindstrom a lancé son septième livre : Small data: The tiny clues that uncover huge trends. Dès la semaine suivante, l'ouvrage figurait sur la liste des best-sellers du New York Times. L'auteur est spécialiste des marques. Sa méthode consiste à résider chez les consommateurs pour les étudier. Je l'ai joint à Reykjavik, en Islande.

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Diane Bérard - Vous couchez plus souvent dans le lit des autres que dans le vôtre. Pourquoi ?

Martin Lindstrom - (Rires.) C'est mon métier. Je suis un détective de l'ADN émotif. Les entreprises me paient pour que je vive chez les gens qui appartiennent à leur public cible. Je recueille des indices qui me permettent de détecter les besoins et les désirs inassouvis des habitants de la maison. En reliant ces petites informations entre elles, j'en arrive à imaginer de nouvelles occasions d'affaires pour les entreprises ou à leur permettre d'ajuster leur offre.

D.B. - Dans un monde de données massives (big data), les données individuelles (small data) semblent un peu triviales, voire non significatives...

M.L. - Les données massives ont leur pertinence, mais elles présentent deux limites. D'abord, elles concernent généralement le passé. Ensuite, elles uniformisent tout. Elles ne laissent pas de place à la créativité. Dans un univers de données massives, tous les consommateurs se situent dans la moyenne. Et comme les entreprises s'inspirent surtout de ce type de données, toutes les marques finissent par se ressembler. Pour se différencier, une entreprise doit aussi analyser les données fines.

D.B. - Faut-il oublier les données massives pour se concentrer sur les données individuelles ?

M.L. - Non, c'est de la combinaison des deux que naissent les stratégies les plus efficaces.

D.B. - Vous dites que, pour comprendre les animaux, il faut aller dans la jungle, pas au zoo. Les zoos, ce sont les groupes de discussion ?

M.L. - Oui, le comportement des consommateurs pendant un groupe de discussion est aussi artificiel que celui des animaux dans un zoo.

D.B. - On peut facilement se perdre dans la jungle. Comment vous y prenez-vous pour recueillir des données individuelles signifiantes ?

M.L. - Je suis très méthodique. D'abord, j'amasse des informations sur les gens chez qui je réside. Je prends des notes, mais aussi des photos et des vidéos. Je cherche ensuite un sens à ces informations, puis un lien entre elles. Je me penche alors sur la cause des comportements que j'observe. Je découvre toujours un besoin ou un désir inassouvi. Il me reste à imaginer un concept qui permettra à mon client de combler ce besoin ou ce désir par un produit ou un service.

D.B. - Notre brosse à dents parle... Expliquez-nous.

M.L. - La position de votre brosse à dents dans le verre laisse entrevoir votre personnalité. Il y a ceux qui sont moins audacieux. Ils posent leur brosse tête en bas. Les fonceurs, eux, la placent tête en haut.

D.B. - Pourquoi choisissez-vous un chauffeur de taxi étranger lorsque vous arrivez dans une nouvelle ville ?

M.L. - Pour recueillir une perspective extérieure. J'aime bien commencer mon travail d'enquête par le regard de l'étranger sur sa communauté d'adoption.

D.B. - Et pourquoi vous faites-vous couper les cheveux au début de chaque mandat ?

M.L. - C'est la première étape de ma cueillette de données. Il s'agit de retirer les filtres. Comme tout le monde, je traîne des idées préconçues. Je m'en débarrasse en parlant avec un échantillon hétérogène de représentants du groupe ou de la communauté que j'étudie. Chacun a sa petite anecdote. Ensemble, elles tissent l'histoire complète. Ce groupe inclut le coiffeur.

D.B. - Les entreprises, et les marques, doivent lutter contre «l'effet tapisserie», dites-vous. De quoi s'agit-il ?

M.L. - Capter l'attention des consommateurs pose de plus en plus un défi. Nous ne décollons pas le nez de l'écran de notre téléphone. Cela nous transforme en zombies. Lorsque nous levons enfin les yeux, le monde nous semble un décor que nous remarquons à peine. Demandez aux épiciers combien il leur est difficile d'attirer l'attention de leurs clients en magasin.

D.B. - Parlez-nous de ce que vous avez suggéré à l'épicier Lowes Foods, en Caroline du Nord.

M.L. - Lowes Foods est une entreprise familiale d'une centaine d'établissements. L'heure était venue de se réinventer. J'en ai fait un exemple de ce que peut être un supermarché vraiment attirant. Comme d'habitude, j'ai cherché à travers de petits détails les besoins et les désirs inassouvis du public cible de Lowes Foods, soit des Américains d'âge moyen. J'en suis arrivé à la peur. Les Américains vivent dans un état de peur constante. Ils ne se sentent jamais vraiment libres et légers. Et ils sont nostalgiques. Ils entretiennent une vision romanesque du bon vieux temps. Ils associent le passé, et particulièrement l'enfance, au moment le plus heureux de leur vie. Ils souffrent aussi du manque de communauté réelle. Les centres-villes sont déserts après 17 heures. Et il y a très peu de places publiques. Pour combler les besoins qui précèdent, Lowes a transformé ses succursales en lieux festifs où l'on danse toutes les heures quand le poulet chaud sort du four. Où un cuisinier pittoresque imagine sur place des saucisses aux saveurs créatives. Où les fermiers locaux viennent présenter leurs produits aux clients. Bref, un lieu chaleureux qui permet de retrouver son coeur d'enfant et de nouer de vrais liens avec les autres.

D.B. - À un client russe qui vous a demandé de lui trouver une occasion d'affaires, vous avez proposé de lancer le premier site Web russe pour les mères. Pourquoi ?

M.L. - Ce sont, encore une fois, les indices accumulés dans les foyers qui m'ont aidé à comprendre l'état d'esprit des Russes et ce qui leur manque cruellement. Les Russes vivent dans un régime où on les écoute peu. Leur voix n'a pas d'impact. La plupart d'entre eux rêvent d'être ailleurs. Les aimants sur leur frigo représentent des endroits où ils ne sont jamais allés. Ils aspirent à vivre une autre vie. Les mères russes, quant à elles, ressentent beaucoup de culpabilité face à leurs enfants. La plupart n'ont pas les moyens de leur donner ce qu'elles voudraient. En additionnant ces indices, j'ai imaginé un site, qui ferait office de communauté tout en étant transactionnel, où les mères pourraient échanger et acheter des produits. Il se nommait Mamagazin. Pour tenir compte de la réalité financière des mères russes, il était possible d'acheter un article pour enfant à plusieurs et de séparer la facture en ligne. Car j'avais observé que les mères partageaient souvent les jouets entre elles.

D.B. - Qu'est-ce qu'une zone de permission ?

M.L. - C'est un lieu physique aussi bien qu'un état d'esprit. C'est une permission que les entreprises accordent à leurs clients d'être autre chose que ce qu'ils sont la plupart du temps. Harley Davidson permet à ses clients boomers de demeurer adolescents. Apple permet à ses clients adultes d'acheter des «jouets».

D.B. - Quel rôle accordez-vous à l'intuition dans le développement de nouveaux produits ?

M.L. - L'intuition n'existe pas. C'est le fruit de l'accumulation d'expériences. Le dirigeant qui n'a pas d'expérience sur le terrain ne peut pas avoir d'intuition.

D.B. - Promouvoir votre livre vous rend mal à l'aise. Pourquoi ?

M.L. - Je suis trop loin de la réalité. Je préfère le faire qu'en parler. Être chez les gens plutôt que parler de ce que j'ai appris auprès d'eux.

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