C2Montréal: cinq questions à Yoshua Bengio

Publié le 25/05/2017 à 08:05

C2Montréal: cinq questions à Yoshua Bengio

Publié le 25/05/2017 à 08:05

Par Denis Lalonde

Yoshua Bengio, (Photo: C2 Montréal)

Le cofondateur d'Element AI et directeur de l'Institut des algorithmes d'apprentissage de Montréal, Yoshua Bengio, était de passage à l'événement C2 Montréal pour parler de l'écosystème montréalais en intelligence artificielle. Les Affaires lui a posé cinq questions.

Les Affaires: Quelle est la place de Montréal dans l'univers de l'intelligence artificielle?

Yoshua Bengio: Montréal bénéficie en ce moment d'une visibilité internationale incroyable. Je vois des collègues à travers le monde qui regardent ce qui se passe ici et ils sont impressionnés. Ils voudraient faire la même chose pour leur ville. Un collègue très connu dans le domaine, Max Welling, de l'Université d'Amsterdam, ne cache pas son rêve de reproduire le modèle montréalais à Amsterdam. Nous avons un bon mélange de chercheurs universitaires et d'entreprises dans le secteur, de même que des gouvernements qui commencent à comprendre qu'il faut y investir.

Jusqu'à tout récemment, les gens avaient l'impression que tout se passait dans la Sillicon Valley et à New York. Mais non, il y a d'autres endroits dans le monde où il se passe des choses et tout ne relève pas juste de quelques grosses multinationales américaines. Montréal et le Canada bénéficient d'un groupe de chercheurs de premier plan parmi ceux qui ont inventé l'apprentissage profond, c'est une belle opportunité.

Du côté des entreprises, il y a encore du travail à faire. Il faut sensibiliser les dirigeants, afin qu'ils réfléchissent comment ils voudraient faire évoluer leurs stratégies d'entreprises pour tirer avantage de l'intelligence artificielle.

Selon vous, cinq éléments doivent être réunis pour que, techniquement, l'intelligence artificielle fonctionne. Quels sont-ils?

D'un point de vue scientifique, pour que l'IA fonctionne, il faut d'abord beaucoup de données, des modèles flexibles et une énorme puissance de calcul. L'ordinateur doit comprendre ce qu'il doit faire pour résoudre une problématique avec beaucoup d'exemples et, comme ça demande beaucoup d'énergie, il faut utiliser des puces spécialisées.

Il faut aussi souvent l'ajout de nouvelles sciences, car l'intelligence artificielle est encore loin d'avoir atteint le niveau de compétence et d'intelligence des humains. Enfin, il faut comprendre qu'il existe plusieurs approches à l'intelligence artificielle et à l'apprentissage. On ne parle pas seulement d'apprentissage profond et de réseaux de neurones. Certaines approches procurent un avantage quand on essaie de résoudre des problèmes plus complexes pour imiter le niveau d'intelligence humaine dans des domaines bien précis.

Quels sont les enjeux éthiques liés à l'intelligence artificielle?

C'est très important qu'on se penche sur ces questions. Ce ne sont pas seulement les scientifiques qui doivent réfléchir à ça. Nous avons besoin de philosophes, de gens qui comprennent le côté légal pour réfléchir aux impacts sociaux, au côté économique et à comment ça pourrait transformer le marché de l'emploi. Nous avons aussi besoin d'un dialogue collectif, que la population en général comprenne ce qui se passe. C'est pour participer au débat que je m'implique dans des conférences comme C2 Montréal. Beaucoup de scientifiques, en ce moment, sentent comme moi le besoin de sortir de leur laboratoire et d'aller parler avec la population et avec des experts des sciences humaines.

Il y aura aussi des enjeux de propriété intellectuelle. Où ira la création de richesse qui résultera de la montée en puissance de l'intelligence artificielle? Est-ce que ça va enrichir quelques individus? Faut-il trouver les moyens de redistribuer cette richesse pour que ce soit bénéfique pour tout le monde? Ce sont des questions qui sont plus que scientifiques et auxquelles on n'a pas encore de réponse.

À quoi ressemble une journée type dans la vie d'un chercheur en intelligence artificielle?

C'est d'abord beaucoup de rencontres avec des étudiants et des collaborateurs. On se rencontre pendant 30 à 60 minutes et on fait du remue-méninges. Ils me racontent un peu où ils en sont dans leurs expériences et on essaie d'illustrer, ensemble, ce qui se passe. On discute d'avenues possibles pour améliorer des choses ou pour investiguer des résultats «bizarres» obtenus à la suite d'expériences.

Il faut aussi du temps passé seul à réfléchir. Pour faire avancer la science, il faut des idées. Ça prend du calme et de la solitude, pas une ambiance bruyante comme à C2!

Quelles sont les limites de l'intelligence artificielle et quelle est la prochaine étape dans son développement?

Actuellement, un problème persiste pour les industriels. Quand on veut déployer des systèmes pour résoudre un problème, il nous faut beaucoup de données où on dit à l'ordinateur comment réagir dans telle ou telle situation. L'ordinateur apprend, à partir de ça, à imiter ce que l'humain aurait fait en pareilles circonstances. On appelle ça l'apprentissage supervisé.

Les humains ont la capacité de découvrir le monde en interagissant sans qu'il y ait un professeur assis à côté d'eux toutes les deux secondes pour leur dire ce qu'ils auraient dû faire ou interpréter ce qui se passe. En ce moment, c'est comme si nous étions obligés de faire ça avec l'ordinateur.

Donc, les intelligences artificielles qu'on a aujourd'hui ne sont pas aussi autonomes que les humains le sont dans leur capacité d'apprendre et de découvrir comment le monde fonctionne. Il y a beaucoup de recherche fondamentale qui se fait là-dessus car le gain d'autonomie est un besoin important.

 

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