" Personne ne comprenait ce que la fusion de AOL et de Time Warner apporterait "

Publié le 23/01/2010 à 00:00

" Personne ne comprenait ce que la fusion de AOL et de Time Warner apporterait "

Publié le 23/01/2010 à 00:00

Par Diane BĂ©rard

Le 10 janvier dernier a marqué les dix ans de la fusion ratée AOL-Time Warner. Cette transaction, qualifiée à l'époque de " moment historique ", devait réinventer le secteur des médias. On s'en souviendra plutôt comme la pire décision d'affaires de la décennie. En décembre 2009, au moment de divorcer, ces deux sociétés ne valaient plus que 11 % de leur valeur lors de la fusion, il y a dix ans. Que s'est-il passé ? Michael E. McGrath, président du conseil de Thomas Group, une des plus importantes firmes de consultants en gestion du monde, et auteur d'une série de livres sur la prise de décision, a suivi cette transaction et les nombreuses péripéties de AOL-Time Warner. Nous l'avons rejoint à Dallas.

Diane Bérard - La fusion AOL-Time Warner est-elle la pire décision d'affaires de la décennie?

Michael E. McGrath - Absolument. C'est une catastrophe.

D. B. - Il est facile de porter ce jugement dix ans plus tard...

M. E. M. - Vous avez raison. Toutefois, dès le moment de la signature, des indices laissaient croire que cette transaction serait un échec.

D. B. - Pourquoi ce fiasco était-il prévisible ?

M. E. M. - D'abord, parce que personne ne comprenait vraiment ce que cette fusion apporterait, ni les pdg, ni les membres du conseil d'administration des deux sociétés. Ni Stephen Case, le patron d'AOL, ni Gerald M. Levin, le pdg de Time Warner, ne savaient de quoi ils parlaient. Ils se sont laissé emporter par leur enthousiasme sans penser au lendemain. Comme ces couples qui prennent l'avion pour se marier à Vegas, 24 heures après leur premier rendez-vous.

D. B. - Vous qualifiez le mariage AOL-Time Warner de superficiel...

M. E. M. - C'est exact. Retournez en arrière et lisez attentivement le contenu des communiqués de presse qui annonçaient la fusion. Vous trouverez tous les mots à la mode de l'époque, assortis de superlatifs à la tonne. On y évoque une nouvelle ère de communication, de créativité, de croissance sans limite. Mais nulle part ne répond-on à la seule question importante : d'où cette nouvelle société tirera-t-elle ses revenus ? Et surtout, comment fera-t-elle plus d'argent que les deux entreprises séparément ?

D. B. - Donnez-nous un exemple de promesse superficielle lié à la transaction AOL-Time Warner ?

M. E. M. - Tout ce qui touche les synergies croisées entre plateformes [cross platform synergies]. Que des mots... où était le plan ? Pour vous montrer la différence entre une transaction superficielle et une transaction réfléchie, parlons de l'achat de Pixar par Disney pour sept milliards de dollars américains en 2005. Disney a également évoqué les synergies croisées. Toutefois, elles étaient concrètes. Par exemple, Disney a récolté cinq millions de dollars américains en vendant les produits dérivés du film " Cars ", de Pixar, sur ses sites, dans ses magasins de jouets et dans ses parcs thématiques. Disney a refait la même expérience avec tous les autres films de Pixar. C'est ce que j'appelle un bénéfice réel. Disney a réalisé une transaction liée à sa mission, l'animation; elle l'a fait à une échelle raisonnable, et elle savait exactement d'où viendraient les revenus supplémentaires.

D.B. - Vous attribuez aussi l'échec de cette fusion à sa rapidité.

M. E. M. - Effectivement. Tout s'est passé très vite et à huis clos, entre les hauts dirigeants. Les avocats et les comptables ont été conviés bien après. À l'opposé, dans le cas Disney-Pixar, les deux firmes se connaissaient déjà, elles collaboraient avant 2005. C'est moins excitant que de se rencontrer dans un bar et se marier la semaine suivante à Vegas... mais c'est plus sûr.

D. B. - Deux mégaentreprises ne peuvent négocier longtemps pour se connaître, car la nouvelle sera ébruitée. Et en cas de fuite, les règles de divulgation sont très strictes.

M. E. M. - Vous avez raison, et c'est tout le paradoxe de ce genre de transaction. Le bon sens voudrait que les protagonistes multiplient les rencontres et poussent le plus loin possible la vérification diligente. Mais, il est pratiquement impossible de garder un tel exercice secret, compte tenu du nombre de personnes engagées. Dès qu'une information fuit, il faut émettre un communiqué complet. Or, à partir du moment où la transaction devient publique, elle est soumise à toutes sortes d'influences. C'est ainsi que les règles développées pour protéger le marché financier et les investisseurs peuvent parfois nuire à la bonne marche des affaires.

D. B. - Prenons une transaction très médiatisée : l'achat de Cadbury par Kraft. Cette transaction a-t-elle plus de chance de réussir que celle conclue dans le secret par AOL et Time Warner ?

M. E. M. - C'est effectivement le cas opposé. Ici, tout le monde donne son opinion. Warren Buffet s'y oppose, disant que Kraft paie trop cher. D'autres affirment que Kraft s'offre Cadbury à prix d'aubaine. Cela crée beaucoup de bruit de fond. Et ce bruit peut faire échouer la transaction ou la favoriser. Mais dans ce cas précis, je ne suis pas inquiet. Creusons davantage les motivations de Kraft. Elle veut devenir une marque mondiale. Or, ce n'est pas en vendant son fromage qu'elle y parviendra. Je doute que les Français en raffolent. Autrement dit, ses produits, en général, ne passent pas bien la rampe à l'international. Par contre, le chocolat Cadbury a ce qu'il faut pour réussir.

Cette transaction a du sens, son but est clair. Quant à savoir si elle sera un succès, cela dépend. Il est évident que si Kraft paie trop cher, ce sera un mauvais départ.

D.B. - Diriez-vous que les pdg de AOL et de Time Warner ont fait preuve de mauvaise foi ?

M. E. M. - Non. Je crois que leurs intentions étaient bonnes, mais qu'ils ne comprenaient pas ce qu'ils faisaient. Ils avaient une vision, mais pas de plan d'affaires. C'est malheureusement dans la nature humaine de conclure que nos bonnes idées sont de grandes idées. Et cela nous empêche de creuser davantage.

D. B. - Quelles leçons peut-on tirer de cet échec ?

M. E. M. - D'abord, le temps requis pour prendre une décision doit être proportionnel à son importance. Ensuite, en affaires, les questions les plus simples sont souvent celles qu'on ne se pose pas. Par exemple : d'où viendront les revenus après la transaction ? Quelles sont les motivations de chacun des acteurs ? Quand, dans un couple, un des partenaires veut se marier pour atteindre un statut social, et l'autre veut payer ses dettes, c'est ce que je qualifie de mauvais départ. Enfin : apprendre des erreurs des autres est beaucoup moins coûteux qu'appendre des siennes !

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