(Illustration: Camille Charbonneau)
LES CLÉS DE LA CRYPTO. Dans des manœuvres secrètes de réallocation d’actifs, la plus grande plateforme crypto du monde aurait utilisé à ses propres fins les garanties financières censées couvrir les avoirs de ses clients. Une gestion exhibant de troublantes similitudes avec l’affaire FTX.
«La propension de Binance à suivre ses propres règles, et parfois à les modifier sans en avertir les clients, devrait entraîner un plus grand contrôle réglementaire des plateformes crypto et des fonds spéculatifs avec lesquels elles font affaire» affirment au terme de leur enquête Javier Paz, créateur principal des outils de Forbes Digital Assets, et Steven Ehrlich, directeur de la recherche en actifs numériques chez Forbes. Les spécialistes du magazine économique américain ont sondé les données de la blockchain pendant des mois et en viennent à la conclusion que l’équivalent de 1,8 milliard de dollars US (G$ US) de cryptomonnaies se sont retrouvés sans garanties. Et ce, alors que Binance les promettait «collatéralisés à 100%».
Il s’agit plus précisément des Binance-peg USDC, des répliques d’un stablecoin tiers, l’USDC, libellé en dollars et émis par une entreprise de Boston, Circle. Ces versions ne transitent donc pas sur la chaîne de blocs de Circle, mais sur celle appartenant au numéro 1 de la crypto, la Binance Smart Chain. Ces «B-tokens» affichent normalement une valeur constante de 1 $US en s’appuyant notamment sur une structure de réserves. Seulement voilà, écrit Forbes, «Binance a enfreint ses propres règles en prélevant 3,65 G$ US promis à deux classes d’investisseurs».
L’analyse de données montre que, sur les fonds des clients ponctionnés, un montant de 1,1 G$ US a été acheminé vers une société de trading à haute fréquence basée à Chicago, Cumberland. «Cumberland pourrait avoir aidé Binance dans ses efforts pour transformer le collatéral en son propre stablecoin, Binance cherchant agressivement à gagner des parts de marché pour son token adossé au dollar contre des rivaux comme Tether et USDC de Circle.» Des centaines de millions de garanties ont également été envoyées vers d’autres acteurs cryptos tels que… Alameda, la société jumelle de FTX.
Les affaires, comme d’habitude
Fin du mois passé, Binance avait reconnu qu’elle conservait par erreur les garanties de certains des tokens qu’elle émet dans le même portefeuille que les fonds des clients de l’échange. Les réserves de près de la moitié des 94 cryptomonnaies que le géant émet se retrouvaient mélangées aux actifs digitaux des clients plutôt que d’être stockées séparément, avait épinglé Bloomberg.
Chez Binance, on s’oppose à cette lecture catastrophiste des mouvements de fonds internes. Interrogé par Forbes, le directeur de la stratégie de Binance réfute tout «mélange» et insiste sur le fait que la gestion des portefeuilles relève de la conduite normale des affaires. «Il y a des portefeuilles et puis il y a un grand registre», a insisté Patrick Hillmann, comparant les portefeuilles à de simples conteneurs.
Subtilités de qualification propres aux secteurs peu régulés, ces actions ne relèvent pas en l’état de l’illégalité. Les investisseurs acquérant ces jetons de Binance ne souscrivant pas de contrat d’investissement. En tout cas, difficile d’ignorer les similitudes avec la gestion financière qui a précipité FTX vers la chute.
Les auteurs espèrent que leurs révélations inciteront les gouvernements à exiger que les échanges crypto soient séparés des dépositaires d’actifs. C’est l’une des raisons importantes pour lesquelles des géants de la finance traditionnelle à l’instar de BNY Mellon ont intégré la garde de crypto pour stratégie de croissance en 2023 et au-delà.
