Réputation: les Québécois ont le pardon difficile


Édition du 25 Mars 2017

Réputation: les Québécois ont le pardon difficile


Édition du 25 Mars 2017

Photo : Martin Flamand

Les Québécois ont la mémoire longue. Et le pardon... disons, difficile. Ils peuvent aimer une entreprise pendant des années, l'aduler même. Et puis, à la moindre incartade, tout fout le camp. C'est le désaveu quasi immédiat. Et, bien souvent, pour longtemps.

Parlez-en aux dirigeants d'Air Miles, encore loin, très loin d'être sortis de l'auberge après le cafouillage monstre qui aura marqué les changements à sa politique d'échange de points. Ou encore à ceux de Volkswagen, ou de SNC-Lavalin, toujours parmi les sociétés les plus mal aimées, aux côtés des Bell et Enbridge.

C'est ainsi. Peu importe le faux pas d'une société et les efforts déployés à sa réparation, les Québécois lui en tiendront rigueur, explique Christian Bourque, vice-président recherche et associé principal de Léger. Comme si, toujours ancrés dans l'héritage judéo- chrétien, avant de consentir le moindre pardon, les Québécois ne pouvaient s'empêcher de la sanctionner, de lui faire la leçon en quelque sorte.

C'est en tout cas ce que l'on peut tirer des résultats de la dernière enquête annuelle de Léger sur la réputation d'entreprise, réalisée en collaboration avec le Cabinet de relations publiques National. Cette année, un total de 299 entreprises ont vu leur cote d'amour être mesurée et comparée auprès d'un peu plus de 13 000 répondants de toutes les régions du Québec.

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De l'ensemble, le tiers des entreprises sondées auront connu un recul de réputation au cours des 12 derniers mois. Une période riche en rebondissements que Léger n'a pu s'empêcher de baptiser «l'Année de la leçon». Une année sans pardon, où des entreprises aussi différentes que Yahoo, Valeant, Samsung et même la Société de transport de Montréal (STM) auront fini par payer cher en réputation le prix de leurs erreurs de parcours.

Ainsi, tandis que, sans surprise, les Google, Groupe Jean Coutu, Canadian Tire et Tim Hortons, des marques que l'on côtoie au quotidien, continuent, quasi invincibles, de dominer ce classement des entreprises les plus admirées de la province, d'autres, comme Bell, SNC-Lavalin et Enbridge, continuent invariablement de mordre la poussière dans la cale de l'admiration.

« Il faut des années pour bâtir une réputation. Mais malheureusement, il faut très peu de temps pour la détruire, constate la spécialiste Doris Juergens, associée et vice-présidente, Stratégie, chez National. Une fois les pots cassés, même après des années d'efforts, l'admiration ou la confiance regagnée des consommateurs envers une entreprise écorchée arrive rarement à atteindre le niveau d'auparavant. »

Sur ce point, le cas de SNC-Lavalin est éloquent. Parmi les derniers, depuis des années, au palmarès des entreprises les plus admirées, SNC n'arrive toujours pas à relever la tête et faire oublier les allégations de corruption qui pèsent sur son bilan. Même en légère progression cette année, son indice de -15 la place en toute fin de peloton (299e rang), championne des entreprises les plus mal aimées des Québécois.

« On voit bien que les Québécois ont perdu confiance, et la commission Charbonneau n'a rien pu changer à cet égard, affirme Nathalie de Marcellis-Warin, pdg du Centre interuniversitaire de recherche en analyse des organisations (CIRANO) et experte en réputation d'entreprise. Et lorsqu'on sait qu'après la santé, l'enjeu de la corruption demeure la préoccupation numéro un des Québécois, nul ne peut vraiment s'en surprendre. »

Il en va de même pour Bell (298e rang) qui, malgré ses efforts (son indice grimpe de 4 points), n'arrive pas à faire oublier ses années de monopole. Malgré sa notoriété plus qu'enviable de 99 %, score qu'elle partage avec des sociétés aussi connues que Walmart et Apple, deux Québécois sur trois déclarent avoir une mauvaise opinion de l'entreprise de télécommunications. À titre de comparaison, dans le même secteur, Vidéotron se retrouve au 61e rang, Telus au 126e, et la torontoise Rogers, en 197e position.

Pourtant, il y a deux décennies, Bell figurait systématiquement dans le Top 10 des entreprises les plus admirées de la province, rappelle Christian Bourque, de la montréalaise Léger. « Les temps changent, dit-il.

On constate que, comme dans les rapports humains, une fois qu'une population a décidé qu'elle vous déteste comme entreprise, il est bien difficile de la pousser à vous aimer de nouveau.»

Hydro-Québec était aussi, à l'époque, une habituée de l'admiration des Québécois, ajoute-t-il. Aujourd'hui, alors qu'elle occupe le 160e rang du palmarès, il ne fait pas de doute que l'amour des Québécois pour leur société d'État s'est flétri. Quoique, à la différence d'autres mal aimées, Hydro réussit malgré tout (parachutes dorés, opposition aux compteurs intelligents, etc.) à remonter la pente à force de petits gestes visant à rétablir la communication avec ses abonnés (service les soirs et fins de semaine, réduction des délais d'attente au téléphone, etc.).

Résultat : Hydro-Québec a vu son indice de réputation croître de 8 points l'an passé et encore de 23 points cette année. C'est elle qui aura connu la plus forte progression d'indice du palmarès 2017, devant Nespresso (+22) dans le café, et Volkswagen (+22) dans l'automobile, qui tente de revenir à la vie. «Voilà une autre entreprise en plein processus de correction, réagit Luc Dupont, professeur de marketing à l'Université d'Ottawa. Vu le niveau qu'elle avait atteint l'an dernier, il est normal que les choses se replacent. Mais ça ne se fera pas tout seul.»

La société allemande revient effectivement de loin (indice de -18 au classement 2016) à la suite d'une dégringolade monumentale de 55 points. Le tout, évidemment, étant lié au fait d'avoir délibérément faussé le calcul du niveau d'émanations polluantes de ses voitures. Malgré sa remontée, l'entreprise se retrouve au 258e rang du palmarès.

Les grands perdants

Afin de s’assurer que la notoriété ne biaise pas les résultats, Léger a interrogé spécifiquement les répondants sur certains produits offerts par ces entreprises. Cette année, c’est Air Miles, un programme de LoyaltyOne, qui porterait le bonnet d’âne décerné à Volkswagen l’an dernier. La crise qu’elle a provoquée a fait reculer son indice de 31 points, et a entraîné avec elle ses semblables Aéroplan (-8) et Club -Sears (-9). « Le plus triste dans tout ça, tant chez Air Miles que chez Volkswagen, est que ce sont des crises qui ont été causées par des erreurs d’opération. De telles crises sont évitables, affirme Mme Juergens, de National. En s’y prenant autrement, ces entreprises auraient pu se contenter d’une gestion d’enjeux au lieu d’une gestion de crise. »

Mais au-delà du cas d’Air Miles, les grands perdants de l'année se concentrent dans le secteur de l'alimentation. C'est ainsi que des multinationales aussi connues et appréciées que Coca-Cola (-16), Nestlé (-11), PepsiCo (-11) et Kraft (-9) sont celles qui enregistrent les pires reculs de l'année. Et loin de considérer la situation comme une simple baisse de régime, les experts y détectent plutôt le début possible d'une tendance de fond. De fait, le lobby mené contre l'industrie du sucre, contre la transformation alimentaire en général, et contre la production industrielle par opposition à la production locale, commence à avoir des effets certains sur la population, estime M. Bourque.

Les deux autres grands perdants de l'année auront certainement été Yahoo (-14 points) et Samsung (-13 points). La première, en raison des multiples révélations de défaillances de sécurité qui auront exposé des centaines de millions d'utilisateurs à la malveillance de pirates informatiques. La deuxième, en raison de défauts de fabrication de ses derniers appareils, Samsung Note, susceptibles d'exploser à tout moment.

Bureau en gros surprend

Parmi les secteurs gagnants, celui du commerce de détail se révèle étonnamment résilient, note Luc Dupont, professeur de marketing à l'Université d'Ottawa. Ce dernier s'étonne qu'en cette heure de transformation profonde pour les détaillants, 5 entreprises sur les 10 préférées des répondants en soient issues.

Et du nombre, Bureau en gros dépasse toutes les attentes. Au 22e rang du classement l'an dernier, elle se retrouve cette fois au 4e, entre Canadian Tire et Heinz. À court d'explications, les experts parlent d'entreprise qui respecte ses promesses. Luc Dupont risque une autre lecture : systématiquement citée en exemple dans le dossier délicat de l'affichage au Québec, Bureau en gros est perçue comme une entreprise qui a su respecter la réalité linguistique de la province en ne cherchant pas à lui imposer sa dénomination anglaise (Staples). «C'est peut-être là la preuve d'une sensibilité d'entreprise que les Québécois apprécient.»

 

 

Méthodologie

L'enquête Réputation de Léger s'appuie sur un sondage par Internet, réalisé du 21 décembre 2016 au 29 janvier 2017 auprès de 13 021 répondants. Pour limiter la durée de réponse au questionnaire, le nombre d'entreprises a été scindé en blocs, de telle sorte que chaque entreprise a été évaluée par 1 000 répondants. La marge d'erreur est de plus ou moins 3,1 %, dans 19 cas sur 20. La question posée était : « Pour chacune des entreprises suivantes, veuillez indiquer si vous en avez une bonne opinion, une mauvaise opinion, vous ne les connaissez pas assez pour avoir une opinion ou vous ne les connaissez pas du tout. » L'indice de réputation de chacune des entreprises égale la différence entre le pourcentage de bonnes opinions et le pourcentage de mauvaises opinions (% de bonnes opinions - % de mauvaises opinions = indice de réputation).

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