Entrevue n°324: Éric Ducournau, DG des Laboratoires Pierre Fabre

Offert par Les Affaires


Édition du 03 Juin 2017

Entrevue n°324: Éric Ducournau, DG des Laboratoires Pierre Fabre

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Édition du 03 Juin 2017

Par Diane Bérard

Éric Ducournau, DG des Laboratoires Pierre Fabre

Le pharmacien français Pierre Fabre a inventé la dermocosmétique. Il est décédé en 2013. Son successeur, Éric Ducournau, raconte comment on prend le relais d'un leader charismatique à la tête d'une entreprise de 13 000 employés. Je l'ai rencontré lors de son passage à Montréal, alors qu'il faisait la tournée de ses distributeurs.

Diane Bérard - Quels sont les trois domaines d'expertise des Laboratoires Pierre Fabre ?

Éric Ducournau - Les médicament de prescription, les médicament sans prescription (OTC) et la dermocosmétique. Cette dernière représente 60 % de notre chiffre d'affaires. On y trouve 10 marques, dont Avène, la marque de dermocosmétique la plus vendue du monde.

D.B. - En décembre 2014, votre entreprise a annoncé un plan de réduction de ses effectifs de 600 personnes. Au final, vous n'avez éliminé que 150 postes. Pourquoi ?

É.D. - Nous avons sauvé 450 emplois en proposant de nouvelles positions dans la dermocosmétique, une division en forte croissance. Au cours des quatre dernières années, nous avons recruté 2 400 personnes. De ce nombre, 300 étaient des employés que nous aurions autrement licenciés.

D.B. - Quels efforts ont été nécessaires pour redéployer des employés de la division pharmaceutique vers la dermocosmétique ?

É.D. - Nous avons mis en place une cellule composée de gens externes à l'entreprise. Ces coachs ont évalué les compétences, les champs d'intérêt et la capacité à se réinventer de chacun des 600 employés occupant les métiers visés par le plan social. Certains déplacements ont été naturels ; des chercheurs en médicaments sont devenus chercheurs en cosmétiques, par exemple. Mais nous avons aussi assisté à des conversions étonnantes : certains chercheurs ont choisi de changer de métier pour aller en marketing, par exemple.

D.B. - Les Laboratoires Pierre Fabre appartiennent à une fondation. Pourquoi ?

É.D. - À son décès, notre fondateur et unique actionnaire a légué l'entreprise à une fondation d'utilité publique qu'il avait créée en 1998, afin d'éviter que ses héritiers paient 60 % de droits de succession, comme le veut la loi française. Il a assorti sa donation de conditions, dont celle de produire et d'effectuer la R-D majoritairement en France. Nous avons été créés en province, où nous représentons la majorité des emplois. Aujourd'hui, la fondation détient 86 % du capital, les salariés, un peu moins de 8 %, et le reste est composé d'actions de contrôle détenues par Pierre Fabre S.A. pour alimenter le flux accessible aux salariés.

D.B. - Comment succède-t-on à un leader charismatique comme Pierre Fabre ?

É.D. - On réalise que les choses ne se bâtissent plus par une seule personne. Elles se construisent grâce à des communautés. Avant, les entreprises prétendaient maîtriser leurs communications. Aujourd'hui, on constate que c'est impossible. Pierre Fabre était un leader charismatique, certes, mais il avait bâti sa relève. Il aimait les gens et il avait le don de déceler les talents et de les faire croître. La jeune femme qui dirige Avène, Nuria Perez-Cullell, a été une très proche collaboratrice de M. Fabre, tout comme la directrice du Canada. Lorsque vous possédez une entreprise, il faut beaucoup de force pour organiser sa transmission de votre vivant. Il faut être si fort que très peu d'entrepreneurs le font.

D.B. - Vous demandez-vous souvent si Pierre Fabre approuverait vos décisions ?

É.D. - Cette question a été très lourde et elle est toujours omniprésente. M. Fabre est décédé un samedi et les ennuis ont débuté le lundi ! Il fallait choisir les couleurs du nouveau meuble d'Avène. On est allés dans la pièce d'à côté avec la DG et on s'est dit : «Voilà, ça commence ! C'est à nous de donner l'avis maintenant.»

D.B. - Comment composez-vous avec cette responsabilité ?

É.D. - Je me suis constitué une communauté externe avec laquelle je peux avoir des échanges libres.

D.B. - Combien a-t-il fallu de temps pour vous affranchir du passé et faire évoluer l'entreprise dans de nouvelles directions ?

É.D. - Très peu. Le contexte change si rapidement que nous devons nous adapter. Je me demande encore ce que M. Fabre aurait fait, mais cela ne doit pas m'empêcher de faire des choix. Et puis, j'ai un truc infaillible pour décider : je vais sur le terrain. Le marché parle, il nous dit ce qu'il faut faire.

D.B. - Depuis cinq ans, vous connaissez une expansion accélérée à l'international. Comment choisissez-vous vos pays ?

É.D. - Le Chili, nous l'avons choisi en raison du nombre limité de concurrents et de la qualité du circuit de distribution [les pharmacies] pour la dermocosmétique. Parfois, ce sont les habitudes de consommation de la clientèle qui nous attirent. En Corée du Sud, un marché très jeune qui croît de 20 à 30 % par année, les femmes utilisent jusqu'à 14 produits cosmétiques par jour ! Dans le cas des pays du Nord, Danemark, Norvège et Suède, c'est la réglementation qui nous plaît. Les consommateurs sont exigeants. Le choix et la qualité des ingrédients contenus dans les cosmétiques sont très encadrés. Cela a poussé de nombreuses marques à quitter ces marchés. Nous, ça nous convient. Nous n'en devenons que meilleurs. En Afrique du Sud, nous assistons au développement de la classe moyenne, qui commence à s'intéresser à sa peau et à ses cheveux. C'est exactement notre positionnement. Nous ne sommes ni dans le luxe ni dans le produit de masse.

D.B. - Il n'y a qu'une porte d'entrée pour faire accepter vos produits dans un nouveau marché. Laquelle ?

É.D. - Nous devons nous faire accepter par le corps médical. Sans son approbation, il sera impossible de nous faire accepter par les consommateurs. Nous n'axons pas nos produits sur la publicité. Vous ne verrez pas nos marques dans les médias. Ce qui nous intéresse, c'est que le professionnel de la santé, médecin [dermatologue, pédiatre, généraliste] ou pharmacien, soit convaincu que nos produits peuvent répondre à un besoin de son patient ou de son client. En pharmacie, nous voulons être placés près du comptoir du pharmacien. Si nous ne bénéficions pas de l'accueil de professionnels de la santé dans un marché, nous n'y allons pas.

D.B. - Vous faites très peu de publicité traditionnelle. Utilisez-vous les réseaux sociaux ?

É.D. - Oui, mais à notre manière. Nous respectons notre approche scientifique. Nous apportons de l'information aux professionnels de la santé et aux consommateurs. Nous n'y allons pas de façon agressive. Nous ne faisons pas de «bruit» sur les réseaux sociaux.

D.B. - Votre fondateur se souciait des finances de son personnel. Parlez-nous du plan d'épargne qu'il lui a proposé.

É.D. - Pierre Fabre souhaitait qu'au terme de 10 ans d'emploi, un ouvrier ait une année d'épargne accumulée grâce aux actions qu'il détiendrait. En France, depuis le général de Gaulle, toutes les entreprises ont un programme obligatoire d'intéressement et de participation. L'employé peut prendre cet argent tout de suite ou le placer dans un plan d'épargne pour sa retraite. Chez Pierre Fabre, nous avons ajouté une option : nous donnons à chaque employé le droit d'utiliser le fruit du programme d'intéressement et de participation pour acheter des actions de l'entreprise.

Consultez le blogue de Diane Bérard : www.lesaffaires.com/blogues/diane-berard

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