Vie et travail : comment mettre en échec la dépression de vos collègues

Publié le 07/04/2010 à 10:44

Vie et travail : comment mettre en échec la dépression de vos collègues

Publié le 07/04/2010 à 10:44

Photo : Bloomberg

La dépression reste taboue, même si elle touche de plus en plus de travailleurs. Les gestionnaires et les employés peuvent toutefois apprendre à démasquer ce mal de l’âme. À condition de rester attentif et d’avoir l’esprit ouvert.

Les cas de dépression pullulent dans les bureaux et les usines du pays. Presque un travailleur canadien sur cinq a déjà reçu un diagnostic de dépression, rapporte un sondage Ipsos Reid de 2007. La même enquête indique qu’un autre 8% des salariés se croient dépressifs, même si aucun médecin ne l’a confirmé. Bref, la maladie est présente. Pire, elle est à la hausse. Au Québec, la consommation moyenne d’une certaine classe d’antidépresseurs a augmenté de 26% entre 2005 et 2008, rapporte IMS Health Canada.

On s’en doute : tout cela coûte cher aux entreprises. Lorsqu’ils sont déprimés, les travailleurs ratent en moyenne chaque année 32 jours de boulot, rapporte une étude de Statistique Canada de 2007. Cela représente 2,6 milliards de dollars en productivité perdue ! À l’inverse, une organisation économise 10 000 $ (en frais de médicaments et en remplacement de salaire) pour chaque employé qui souffre de dépression mais se soigne, indique la Fondation des maladies mentales.

Les entreprises, gestionnaires et employés ont donc tout intérêt à dépister rapidement ce mal de l’âme. En effet, « une dépression détectée tôt entraîne un congé maladie plus court, un peu comme une grippe soignée rapidement ne dégénère pas en pneumonie », observe Nicolas Chevrier, psychologue du travail au Services psychologiques Séquoia. Certes, en tant que cadre, employé de bureau ou gestionnaire, vous n’avez pas la même formation qu’un psychologue. Mais vous pouvez débusquer la mine basse d’un subordonné ou d’un collègue et lui offrir le soutien dont il a besoin. Une aide qui pourrait lui sauver la vie.

Sophie [tous les noms des gestionnaires et des employés ont été changés afin de préserver leur anonymat], gestionnaire dans une grande institution culturelle de Montréal, prend soin de ses employés comme une vraie mère de famille. Elle s’informe régulièrement de leur santé et de leur vie et ils savent qu’ils peuvent venir la consulter s’ils vivent des difficultés. Un matin de 2008, c’est ce qu’a fait une employée : elle lui a remis une lettre très sombre dans laquelle elle mentionnait… le suicide. « Cette femme solitaire avait souvent un air triste, mais je ne m’attendais pas qu’elle m’arrive avec cela ! » raconte la cadre de plus de 25 ans d’expérience. Sophie a réagi au quart de tour et, le jour même, l’employée suicidaire discutait avec quelqu’un du programme d’aide aux employés. Elle a ensuite reçu un diagnostic de dépression, obtenu quelques semaines de congé puis… repris son poste. Sophie la garde maintenant à l’œil – de même que tous ses autres employés et en particulier ceux qui semblent seuls.

Du stress à la dépression

Mais quelle est cette maladie de l’âme dont on ose à peine parler ? Elle présente une dizaine de symptômes, dont l’isolement, une perte d’appétit, une absence d’énergie, des troubles de concentration, un manque de valorisation de soi, une diminution du plaisir et l’insomnie. Bref, cette maladie devrait être facile à détecter ! Ce n’est pourtant pas le cas, notamment à cause de préjugés qui l’entourent. Un de ses subordonnés de Geneviève, cadre dans le milieu culturel de Montréal, lui a confié souffrir de dépression. « J’apprécie son courage parce qu’il va m’aider à mieux comprendre ses absences et mieux organiser la répartition des tâches dans mon équipe, dit-elle. Mais je n’oserais jamais faire la même confidence à ma supérieure! J’aurais trop peur qu’elle me croit incapable d’assumer mes responsabilités. »

« Les maladies mentales ont beau se soigner, comme toutes les autres maladies, elle restent associées à folie », regrette Lucie Brais, coordinatrice du programme Ça me travaille à la Fondation des maladies mentales. La dépression, en particulier, est perçue comme un signe de faiblesse et un manque de volonté. En clair : plusieurs croient qu’il suffit de se « prendre en mains » pour se remettre d’une dépression et retrouver sa joie de vivre. Or, le plus souvent, cette maladie est le résultat inévitable d’un long processus. Certes, elle apparaît parfois brusquement, suite au décès d’un proche ou d’un important revers financier, par exemple. Mais elle débute habituellement très subtilement, avec de la détresse psychologique.

« Ce type de détresse survient lorsque des besoins psychologiques ou physiques ne sont pas comblés », explique Josée Blondeau, psychologue au Centre de recherche et d’expertise en services de santé, à Drummondville. Par exemple, lorsque quelqu’un n’arrive pas à boucler son budget, n’obtient pas la reconnaissance dont il a besoin de la part de son supérieur ou la tendresse qu’il espère… de la part de son conjoint. Si ces stress perdurent, voir s’additionnent, ils se muent en dépression ou en épuisement professionnel [voir l’hors-texte].

De fait, « il y a un lien biochimique entre le stress et la dépression », dit Dr Martin Tremblay, psychiatre et porte-parole de la Fondation des maladies mentales. En effet, le stress augmente la libération de sérotonine (un neurotransmetteur) et de cortisol (une hormone), ce qui affaiblit le corps et le cerveau. Lorsqu’il dure trop longtemps, la personne n’a plus la force d’y réagir. C’est alors que la dépression survient. « L’individu ressemble alors à un élastique qui a été trop étiré : il n’arrive plus à rebondir et a l’impression qu’il sera à toujours incapable d’améliorer sa situation », dit le Dr Tremblay.

Un comportement qui change

Évidemment, la dépression change le comportement au travail, dit Pierre Durand, professeur à l’École des relations industrielles de l’Université de Montréal et membre de l’Équipe de recherche sur le travail et la santé mentale. Prenez un employé fiable, ponctuel, bien mis et qui s’entend avec tout le monde. S’il commence à arriver en retard ou s’absenter, semble fatigué, s’irrite pour un rien, commet des erreurs, se néglige et s’isole, il souffre probablement de dépression. Un autre indice imbattable : il était toujours en forme et se blesse désormais sans arrêt. « Parce qu’il rumine ses pensées plutôt que de se concentrer sur ce qu’il fait, il se coupe la main en tranchant du pain ou multiplie les accrochages en voiture », dit Pierre Durand.

Avec le recul, que cet employé souffre de dépression paraîtra évident à tout le monde. Mais, sur le coup, cette maladie n’est pas si facile à détecter. « Chacun des symptômes est anodin en soi et n’apparaît pas en même temps que tous les autres », explique Pierre Durand. En clair, quelqu’un qui arrive en retard à quelques reprises n’est pas nécessairement dépressif. Et sa fatigue et son étourderie sont peut-être causées par des échéanciers serrés. Seule l’accumulation de symptômes peut vous mettre la puce à l’oreille.

Un autre obstacle à la détection de la maladie : les déprimés eux-mêmes admettent rarement qu’ils en souffrent. « Je travaillais comme gestionnaire de projets dans une compagnie pharmaceutique et je devais abattre une tâche colossale dans des délais ridicules », dit Stéphanie. Aucun de ses collègues n’a remarqué l’irritabilité et le découragement grandissants de cette jeune maman aujourd’hui journaliste. Un beau matin de 2006, elle était si épuisée qu’elle n’arrivait plus à lire. Quelques jours plus tard, elle a pourtant éclaté de rire lorsqu’un médecin lui a diagnostiqué une dépression. « J’avais seulement 29 ans ; dans mon esprit, je ne pouvais pas être dépressive, parce que j’étais jeune et compétente », se souvient-elle.

Certains préfèrent aussi parfois ne pas remarquer la dépression d’un autre. Aux prises avec une conjointe agressive, Alexandra, agente de planification du réseau de la santé, a glissé dans la maladie en 2006. Or, même si elle avait les yeux rouges à force de pleurer dans les toilettes, « l’ambiance au bureau était si mauvaise que personne ne m’en parlait, dit-elle. C’était facile de passer à côté parce que, même si j’étais moins sociale, je continuais à sourire et à prendre des nouvelles de mes collègues. » Après un congé maladie de six mois, Alexandra a quitté sa conjointe. Et n’hésite plus à parler de sa dépression, histoire de mettre fin aux préjugés.

Que faire et comment réagir ?

Quand elle remarque que quelqu’un est mal en point depuis deux ou trois semaines, Natacha, cadre dans le milieu de la santé, l’invite dans son bureau. « Je lui demande de m’expliquer ce qui se passe et je lui offre mon aide, dit-elle. S’il se plaint de sa charge de travail, je l’accommode du mieux que je peux. » Si ses problèmes relèvent de sa vie privée, elle lui suggère de prendre quelques journées de congé, de contacter le PAE ou un médecin.

Un employé arrive en retard depuis quelques semaines ou semble particulièrement irritable ? Ne tardez pas : parlez-en avec lui. La règle d’or : tenez-vous-en aux faits. En clair : évitez les conseils ou les sonores « Coudonc, es-tu déprimé ? » Si l’employé nie tout problème, n’argumentez pas avec lui. Assurez-vous plutôt que son comportement s’améliore. Sinon, convoquez-le une deuxième fois. Mentionnez-lui les mesures disciplinaires possibles et rappelez-lui gentiment qu’il peut faire appel au programme d’aide aux employés (PAE) ou à un médecin. « Un employé risque moins de nier ses difficultés s’il sent une ouverture de votre part aux problèmes de maladie mentale », mentionne Nicolas Chevrier, psychologue du travail au Services psychologiques Séquoia.

De manière préventive, côtoyez les gens du bureau de manière informelle. En effet, vous remarquerez plus facilement les changements de comportement dus à une dépression si vous les connaissez un peu. « Demandez-leur ce qu’ils prévoient pour le week-end ou comment vont leurs enfants, par exemple, et allez boire un café avec eux de temps à autre », conseille Lucie Brais, coordinatrice du programme Ça me travaille à la Fondation des maladies mentales.

Un employé qui reçoit un diagnostic de dépression obtiendra probablement un congé maladie d’au moins quelques semaines. Évidemment, perdre un joueur n’est pas une sinécure : le reste de l’équipe doit absorber un surplus de travail et, donc, de stress. En plus de réorganiser les tâches de tout le monde, n’oubliez pas de préparer le retour de la personne malade. En clair, « rencontrez-la quelques jours avant qu’elle revienne et convenez avec elle des aménagements nécessaires pour éviter une rechute », dit Mme Brais.

Reconnaître un employé déprimé

- Apparence négligée ;

- anxiété ou inquiétude face à l’avenir ;

- retards, départs hâtifs ou absences ;

- consommation accrue de café ou de cigarettes ;

- mauvaise alimentation ;

- conflits avec les collègues ;

- erreurs dans le travail ;

- manque de concentration ;

- maux physiques ou blessures mineures ;

- isolement ;

- attitude négative ou critique face à l’entreprise ;

- humeur irritable.

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