Six règles de gestion efficace

Publié le 08/09/2012 à 00:00, mis à jour le 06/09/2012 à 14:19

Six règles de gestion efficace

Publié le 08/09/2012 à 00:00, mis à jour le 06/09/2012 à 14:19

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Les entreprises croulent sous les normes de performance. Pourtant, de simples règles de gestion intelligente peuvent leur permettre d’être plus efficaces. En premier lieu, il suffit d’amener les gens à régler les problèmes… sans vous.

Auteur : Yves Morieux, Harvard Business Review

De nos jours, les entreprises instaurent six fois plus de normes de performance qu’elles ne le faisaient en 1955, année de création de la liste Fortune 500. À l’époque, les PDG s’engageaient à en respecter de quatre à sept ; désormais, ils en visent de 25 à 40. Et plusieurs de ces normes semblent contradictoires : les entreprises veulent satisfaire leurs clients, qui exigent à la fois des bas prix et une qualité supérieure. Elles cherchent à personnaliser leurs produits en fonction de marchés précis et à les normaliser pour maximiser le rendement d’exploitation. Elles tentent d’innover et d’être efficaces. Cette complexité n’est pas mauvaise en soi : elle présente de grands défis, mais apporte aussi son lot d’occasions d’affaires. L’ennui, c’est la façon dont les entreprises y réagissent.###

Pour concilier autant d’objectifs contradictoires, les dirigeants revoient la structure de l’organisation, les mesures et les incitatifs de rendement, essayant ainsi d’harmoniser le comportement des employés à des impératifs extérieurs changeants. Ils multiplient les échelons de personnel et imposent de nouvelles procédures. Puis, dans un effort pour adoucir la mise en œuvre de changements aussi radicaux, ils lancent une série d’initiatives plus « humaines », qui favorisent un milieu de travail positif et riche en relations interpersonnelles et en collaboration.

Au Boston Consulting Group, en nous appuyant sur l’étude de plus de 100 grandes entreprises américaines et européennes, nous avons élaboré un « indice de complexité », qui mesure l’ampleur des difficultés avec lesquelles jonglent les entreprises aux prises avec une multiplication des normes. Selon les résultats de cette recherche, au cours des 15 dernières années, le nombre de procédures, de paliers verticaux, de structures d’interface, d’entités de coordination et d’instances d’approbation des décisions a augmenté de 50 à… 350 % dans chacune de ces sociétés ! Toujours selon notre analyse, sur une plus longue période de temps, le degré de complexité opérationnelle a grimpé en moyenne de 6,7 % par an au cours des cinq dernières décennies.

Ce phénomène a de lourdes conséquences. Dans 20 % des organisations les plus complexes, les dirigeants passent 40 % de leur temps à rédiger des rapports, alors qu’ils en consacrent de 30 à 60 % à des rencontres de coordination. Cela ne leur laisse guère de temps pour travailler avec leurs équipes… Résultat : des employés trop souvent abandonnés à eux-mêmes, qui dépensent inutilement leur énergie. Il ne faut pas s’étonner que les employés de ces mêmes organisations soient trois fois plus à risque d’être désengagés que le reste du groupe, ou qu’ils présentent des niveaux si élevés d’insatisfaction au travail et une si faible productivité.

De toute évidence, les entreprises doivent trouver de meilleurs moyens de gérer la complexité. Non pas en imposant des codes de conduite et des processus formels aux employés de première ligne, mais plutôt en créant un environnement dans lequel les employés élaboreront ensemble des solutions créatrices pour relever des défis majeurs.

Voici une série de principes tout simples, mais extrêmement efficaces. Nous les appelons les « méthodes de gestion intelligente », conçues pour aider les dirigeants à mobiliser les aptitudes et l’intelligence de leurs subordonnés.

Règle No 1

Améliorer la compréhension du travail des collègues

Pour réagir intelligemment à la complexité, les travailleurs doivent bien comprendre le travail de chacun de leurs collègues : les objectifs à atteindre, les défis à relever, les ressources à leur disposition et les contraintes à respecter. Ce genre d’information ne se trouve pas dans une description de tâches ; ils ne l’apprendront que par l’observation et l’interaction.

Le travail du dirigeant consiste donc à assurer cet apprentissage. Sans cette compréhension mutuelle, les employés expliqueront tel ou tel problème par le manque d’aptitudes ou d’intelligence de certains collègues, plutôt que par l’insuffisance des ressources ou par des contraintes imposées par l’organisation.

C’est ce qui s’est produit dans un hôtel d’une chaîne touristique et hôtelière internationale, confronté à des taux d’occupation et à des prix en chute libre, ainsi qu’à une très faible satisfaction de la clientèle. Plusieurs des dirigeants de l’établissement reprochaient aux employés de la réception leur « attitude trop détachée » et leur manque d’entregent. Ces derniers, tous jeunes et inexpérimentés, quittaient d’ailleurs leur emploi avant de pouvoir progresser. Les directeurs des ventes du siège social en étaient venus à la même conclusion, accusant même les réceptionnistes de contribuer aux faibles taux d’occupation en prétendant que l’hôtel était plein même quand il restait des chambres libres. La chaîne a donc décidé de mettre sur pied un programme d’incitatifs fondé sur le taux d’occupation et les ventes réalisées par les réceptionnistes, tout en leur offrant une formation en service à la clientèle.

Malgré toute l’énergie consacrée à ces projets, les résultats ne se sont pas améliorés. Puis, une équipe de représentants des ventes a décidé de passer un mois avec le personnel de la réception pour voir ce qui s’y passait vraiment. Sage décision : ils ont vite constaté que le principal défi, à la réception, consistait à calmer des clients mécontents. Les réceptionnistes obtenaient très peu de collaboration de la part du personnel de soutien, y compris les femmes de chambre, le service à l’étage et le personnel d’entretien — tous ceux qui ont le plus d’incidence sur la satisfaction de la clientèle. Ainsi, quand elles trouvaient des appareils défectueux, les femmes de chambre négligeaient d’en informer le personnel d’entretien, laissant les réceptionnistes aux prises avec les plaintes des clients durant la nuit.

Pour compenser ce manque de collaboration, les jeunes employés exploitaient d’autres stratégies à leur disposition. La première consistait à rembourser les clients mécontents pour apaiser leur colère. La nouvelle formation les encourageait même à discuter de rabais avec les clients mécontents, ce qui a encore diminué la rentabilité de l’établissement.

Deuxième stratégie, les jeunes employés misaient sur leurs propres ressources. Zélés et soucieux de faire de leur mieux, les réceptionnistes tentaient de régler le problème eux-mêmes, abandonnant leur poste à l’accueil pour réparer une douche défectueuse ou pour trouver une télécommande de rechange lorsqu’un invité se plaignait. Et durant leur absence, une file de clients furieux les attendait inévitablement au comptoir…

Troisième stratégie, ils proposaient aux clients mécontents une chambre de qualité supérieure, ce qui les obligeait à garder quelques chambres en réserve — une pratique qui nuisait au taux d’occupation. Les nouveaux incitatifs à la vente étaient inutiles, puisqu’ils n’avaient aucun effet sur le manque de collaboration du personnel de soutien, ni sur les moyens utilisés par la réception pour affronter le problème. En fait, le principe de la prime, qui montrait aux réceptionnistes combien ils auraient pu gagner chaque jour, ne faisait qu’augmenter leur frustration.

Épuisés et découragés, les jeunes commis quittaient souvent leur emploi après quelques semaines. Ce taux de roulement élevé n’avait rien à voir avec un manque d’engagement, comme le croyaient au départ les représentants des ventes. Au contraire, ce sont les réceptionnistes insouciants qui conservaient leur poste plus longtemps !

C’est en s’intéressant au véritable contexte dans lequel les employés travaillaient que les dirigeants ont compris la nécessité pour le personnel de bien collaborer, et dans quelle mesure il le faisait. Bien entendu, il n’est pas toujours possible pour un gestionnaire de passer un mois à observer en détail le quotidien du personnel de première ligne. Mais quand les outils de mesure du rendement ne suffisent pas, la direction doit compléter les données et les rapports officiels qu’elle reçoit par l’observation et le bon jugement. Dans bien des cas, une seule journée passée sur le terrain à observer les interactions au sein du personnel des différentes fonctions fournira de précieux renseignements sur les lacunes en matière de collaboration. Une fois qu’on a pris conscience du problème réel et de ses causes premières, on peut appliquer les autres règles.

Règle No 2

Renforcer le rôle des individus qui agissent comme intégrateurs

Les conflits entre l’administration et les divisions subalternes sont souvent inévitables. En général, l’administration cherche à normaliser les processus et le travail, alors que les autres doivent répondre aux besoins particuliers de chaque client.

Une réaction courante dans les organisations est de créer une sorte d’unité de coordination — un bureau intermédiaire. L’ennui, c’est que cette solution a pour effet d’aggraver le problème : il y aura désormais des conflits entre l’administration et le bureau intermédiaire, de même qu’entre ce dernier et les subalternes. Le même phénomène se produit à la verticale dans les organisations : les problèmes de coordination entre le siège social et les établissements éloignés engendrent la création de paliers régionaux entre les deux paliers. Une autre solution courante : imposer une procédure de coordination, comme des demandes d’intervention informatisées.

Il existe pourtant une meilleure solution, qui consiste à confier à des individus ou à des groupes la responsabilité de ce rôle d’intégration. Presque toutes les unités comptent au moins un ou deux gestionnaires qui occupent une fonction bien précise et qui interagissent déjà avec de nombreux intervenants (tant la clientèle que le personnel des autres services). Si vous avez bien suivi la première règle et observé votre personnel en plein travail, vous les reconnaîtrez facilement. Ce sont les personnes idéales pour intervenir à titre d’intégrateurs, c’est-à-dire qu’elles aideront les différentes équipes à obtenir la collaboration dont elles ont besoin de la part d’autres employés pour ajouter de la valeur à leurs tâches.

Une fois ces intégrateurs reconnus, il suffit de leur conférer plus d’autorité en leur donnant des responsabilités plus importantes. Ainsi, ils auront leur mot à dire sur les problèmes qui touchent les autres services. Le fait d’éliminer certaines règles et procédures rigides permet aussi d’augmenter le pouvoir discrétionnaire des intégrateurs. Plus une entreprise croît, plus elle a besoin d’intégrateurs et moins il devrait y avoir de règles. Malheureusement, la plupart des dirigeants pensent exactement le contraire.

Dans l’établissement hôtelier en difficulté dont nous avons parlé plus haut, les gestionnaires ont compris que les réceptionnistes pouvaient jouer le rôle d’intégrateurs au sein du personnel de l’hôtel et auprès des clients. Mais plutôt que de coordonner ces interactions au moyen d’un processus officiel, l’entreprise a choisi de donner au personnel de la réception un pouvoir plus important dans la promotion du personnel de soutien — particulièrement celle des femmes de chambre et du personnel d’entretien.

Rapidement, les femmes de chambre ont commencé à coopérer davantage en vérifiant le bon état de tout l’équipement et des appareils dans chaque chambre pendant qu’elles en faisaient le ménage. Le personnel d’entretien intervenait ensuite promptement pendant la journée, afin que les clients n’aient pas de problème la nuit. Ce changement a eu un effet boule de neige sur la satisfaction de la clientèle, ce qui a éliminé la nécessité d’accorder rabais et remboursements, ainsi que la pratique de garder des chambres en réserve. En 18 mois seulement, la marge bénéficiaire de l’entreprise a augmenté de 20 %.

Règle No 3

Augmenter les pouvoirs à tous les paliers

Il arrive souvent que les individus qui ont le moins de pouvoir au sein d’une organisation soient ceux qui assument le fardeau le plus lourd sur le plan de la coopération et qui en tirent le moins de reconnaissance. Quand ils s’en rendent compte, ils cessent de collaborer et travaillent de manière cloisonnée. Les entreprises qui veulent prévenir ce phénomène et favoriser la collaboration doivent confier plus de pouvoir à ces individus, afin qu’ils puissent sortir de leur isolement, faire confiance aux autres, prendre des initiatives et faire preuve de transparence sur le plan du rendement.

Toutefois, il ne s’agit pas non plus de retirer leur pouvoir à d’autres intervenants dans l’organisation ! La solution qui s’impose, c’est d’élaborer de nouvelles bases de pouvoir, en confiant aux individus de nouvelles responsabilités sur des questions touchant d’autres membres du personnel, ainsi que le rendement global de l’entreprise.

L’expérience d’un grand détaillant illustre ce principe. Pour réduire ses coûts et augmenter le professionnalisme de l’équipe, l’organisation avait décidé de centraliser les services de l’approvisionnement et des ressources humaines, jusque-là répartis dans chacun des magasins. Les directeurs des succursales perdaient ainsi une bonne partie de leur pouvoir ; désormais, les questions chères aux employés du magasin étaient entre les mains de services partagés centralisés. D’une certaine façon, les directeurs des succursales n’étaient plus que de « gentilles mais inutiles nounous », comme on les a surnommés ensuite.

Pourtant, à titre de gérants, ils jouaient un rôle primordial en s’assurant que les employés répondent aux besoins des clients, tout en cherchant à innover sur le plan de l’aménagement et de l’exploitation des magasins. Sans aucun poids au sein de l’organisation, comment s’y prendraient-ils ?

La haute direction de la chaîne a réglé le problème en annonçant à la clientèle que les files d’attente aux caisses ne dépasseraient jamais plus une certaine longueur dans chaque magasin. Cela avait une incidence sur le rendement, puisque les files d’attente avaient de lourdes conséquences sur la fidélité des clients et sur la fréquence de leurs visites. Les directeurs des magasins avaient hérité de la responsabilité de former les équipes, provenant de n’importe quel rayon de l’établissement, qui viendraient aider les caissiers dès que les files dépasseraient la norme établie. Cette stratégie a plu aux employés : rien n’est plus désagréable que de supporter la mauvaise humeur des clients mécontents, qui ne manquent pas de s’exprimer, surtout après l’annonce par la direction de sa politique sur la longueur maximale des files d’attente. Le fait de décider qui formerait ces équipes de désengorgement des caisses a permis aux directeurs des magasins de cultiver la coopération et la diligence, et de jouer ainsi leur rôle en matière d’exploitation et d’innovation.

On peut aussi créer de nouvelles sources de pouvoir autour du développement d’une expertise et de la transmission des connaissances. Cela fonctionne particulièrement bien quand des directeurs de projets et des gestionnaires hiérarchiques ont besoin d’un pouvoir accru. Les premiers peuvent évaluer et récompenser le rendement relatif au projet, pendant que les seconds décideront qui recevra la formation, sur le plan des aptitudes de gestion de haut niveau, ce qui augmentera leurs chances de promotion.

Règle No 4

Augmenter le besoin de collaboration entre les employés

Un bon moyen de favoriser une collaboration productive, c’est d’élargir les responsabilités des intégrateurs au-delà des activités qui relèvent de leur contrôle direct. En leur donnant des objectifs plus complexes et plus ambitieux, on les pousse à résoudre les conflits plutôt qu’à les éviter. Cependant, si vous n’évaluez les gens qu’à partir de ce qu’ils contrôlent, ils risquent de ne pas se mêler de problèmes pour la résolution desquels ils pourraient se rendre fort utiles.

Prenons le cas d’une ligne aérienne pour qui l’utilisation de l’actif constituait un important facteur de réussite (besoin de remplir les avions et de les faire voler plutôt que de les garder au sol), mais qui ne voulait sacrifier en rien la satisfaction de la clientèle. Pour maximiser à la fois l’utilisation des appareils et la satisfaction des clients, l’entreprise a tenu l’équipage pour responsable de veiller au nettoyage de la cabine et au service au sol. Dès lors, le personnel ne pouvait plus blâmer personne, pas même un sous-traitant chargé de l’entretien, quand les clients maugréaient à propos d’un appareil malpropre ou d’un personnel plutôt lent à l’embarquement. Mais les employés de l’entreprise n’auraient pu assumer ces responsabilités accrues — en veillant à la fois à la propreté de la cabine, à l’expérience du client et à la rapidité d’intervention entre les vols (qui est environ deux fois supérieure à celle des autres lignes aériennes) — sans avoir aussi le pouvoir de décider de ce qui fonctionnait le mieux dans chaque situation, plutôt que de suivre des procédures prédéfinies auxquelles ils seraient tenus de se conformer.

Ainsi, quand il s’agit de répartir les responsabilités en vue d’obtenir certains résultats, il n’est pas essentiel d’accorder davantage de ressources à chacun. En fait, il est souvent souhaitable d’en enlever ! Une famille qui possède cinq téléviseurs n’a jamais besoin de négocier ce qu’elle regardera, puisque chacun de ses membres peut regarder l’émission de son choix. Il en résulte une sorte d’autosuffisance qui détruit la vie de famille. Enlever certaines ressources représente un bon moyen de rendre les gens plus dépendants les uns des autres, et les oblige à collaborer davantage les uns avec les autres, parce que dans un contexte de restrictions, leurs actions ont beaucoup plus d’effet sur l’efficacité d’autrui. Le fait d’éliminer les monopoles internes en créant des recoupements, en regroupant des activités ou même en établissant des alliances à l’externe, augmente aussi la possibilité d’actions réciproques, ce qui favorise la coopération.

Cette règle peut donner l’impression de multiplier le nombre d’objectifs et de cibles. En réalité, ce n’est pas le cas. En fait, les objectifs existants sont ramenés au niveau des employés qui sont déjà chargés de les atteindre, afin que les personnes les mieux placées pour résoudre les conflits soient justement celles qui en ont la responsabilité. D’ailleurs, la multiplication des normes d’entreprise dont nous avons parlé précédemment correspond à un transfert vers le sommet de la hiérarchie d’objectifs et de responsabilités qui devraient rester plus près de la base de l’organisation.

Règle No 5

Rendez les employés conscients de l’avenir

Plus il faut de temps pour que les effets d’une décision se fassent sentir, plus il devient difficile d’en rendre responsable le décideur concerné. Plusieurs de ceux qui participent au lancement d’un projet de trois ans ne seront plus présents lors de son aboutissement — ils auront été mutés à un autre poste, à un autre site, ou promus. Ils ne seront pas touchés par les conséquences de leurs actes, par les compromis qu’ils auront faits, ou par la qualité de leur collaboration. Pour paraphraser le théoricien des jeux Robert Axelrod, l’impact sur l’avenir ne les atteint pas.

Plus cet avenir est proche, plus les gens seront conscients des impacts de leurs décisions. À titre d’exemple, dans le cas de plusieurs projets ou processus de travail, il peut suffire de réduire considérablement le délai avant l’échéance.

Un autre moyen consiste simplement à exiger que les dirigeants délèguent du travail. Prenons l’exemple d’un fabricant de biens industriels qui devait prolonger sa période de garantie sur certains produits afin de faire face à un nouveau concurrent. Pour y parvenir sans trop augmenter les coûts, on a demandé à la division d’ingénierie de rendre les produits concernés plus faciles à réparer.

Les ingénieurs étaient déjà aux prises avec plusieurs exigences — réduire la taille des produits et leur consommation d’énergie, et augmenter leur résistance à la corrosion —, qui comportaient chacune leur lot d’objectifs, d’incitatifs et de défis. Et voilà que la direction ajoutait cette nouvelle exigence à la liste  ! Pour ce faire, elle a créé un nouveau poste afin de coordonner toutes les décisions touchant à la réparation des produits auprès de toutes les branches d’ingénierie — en particulier, celles du génie mécanique et du génie électrique. La direction a également établi un processus de réparabilité, puis élaboré un ensemble d’indicateurs de rendement et d’incitatifs correspondants.

Aucun de ces changements n’a donné les résultats escomptés. En tenant compte des autres incitatifs, celui attribué pour la facilité de réparation des produits n’avait que peu de valeur (il n’ajoutait au maximum que 0,8 % sur la paie des ingénieurs), mais il complexifiait encore les exigences globales. Par exemple, si les ingénieurs atteignaient leur objectif de rendre le produit plus compact, celui-ci devenait nettement plus difficile et coûteux à réparer, en raison du chevauchement des pièces mécaniques et des pièces électriques. Ce conflit entre la taille du produit et sa réparabilité n’avait rien de nouveau. Ce qui l’était, c’est l’espèce de concurrence entre les deux objectifs, qui enlevait désormais la possibilité de respecter un critère en sacrifiant l’autre. Pire encore, les coordon­nateurs ne parvenaient pas à susciter la collaboration entre les équipes du génie mécanique et celles du génie électrique sur le plan de la facilité de réparation. De nombreuses initiatives visant à améliorer les relations interpersonnelles entre ces groupes les avaient rendus encore plus hésitants à collaborer, puisque personne ne voulait sacrifier ces bons rapports à cause de conflits portant sur des contraintes électriques ou mécaniques. Après tout, la véritable coopération ne signifie pas qu’il faut bien s’entendre, mais plutôt qu’il faut tenir compte des obligations et des objectifs des autres avant de prendre une décision et d’agir. En fait, les gens s’entendent beaucoup mieux quand ils peuvent éviter de collaborer de cette façon…

L’équipe des services après-vente restait aux prises avec de coûteuses réparations, ce qui empêchait l’entreprise de prolonger sa période de garantie. C’est alors que la direction a adopté une nouvelle approche : muter certains ingénieurs au sein de l’équipe après-vente dès le lancement d’un nouveau produit, pour qu’ils gèrent eux-mêmes le budget relatif à la garantie. Autrement dit, ils subiraient eux-mêmes les conséquences de leur design sur le budget de garantie. Aussitôt, leur approche frileuse de la collaborationa disparu, et les ingénieurs ont commencé à s’attaquer de front même aux problèmes les plus délicats. Les solutions novatrices qui en ont résulté ont permis au fabricant d’atteindre ses objectifs de réparabilité, tout en respectant ses autres critères. Très vite, l’entreprise a prolongé sa période de garantie, éliminant en même temps le poste de coordination, de même que ses processus, cartes de pointage et incitatifs de rendement.

L’augmentation de la fréquence des vérifications du rendement contribue également à rendre les employés plus conscients de leurs décisions sur l’avenir. Un fabricant de systèmes de télécommunications, qui ne parvenait pas à susciter la collaboration de ses équipes d’ingénierie, a constaté l’efficacité de cette stratégie quand il a fait passer de six mois à deux semaines la fréquence à laquelle on devait tester la compatibilité du matériel et des logiciels. Auparavant, les ingénieurs de chaque unité pouvaient éviter de collaborer, sans avoir à en subir les conséquences pendant cinq mois et 29 jours. Depuis ce changement, ils n’ont plus que 13 jours de répit !

Règle No 6

Blâmer le manque de collaboration

Pour certaines activités, le délai est si long entre la cause et l’effet (par exemple, lorsqu’il s’agit de recherche et développement) qu’il est virtuellement impossible d’établir des boucles de rétroaction directe, qui exposent les employés aux conséquences de leurs actes. Parfois, certains postes sont si éloignés les uns des autres qu’on peut difficilement susciter un sentiment d’interdépendance entre les différents travailleurs qui les occupent. Les dirigeants doivent alors combler eux-mêmes l’écart en imposant explicitement une pénalité à toute personne ou toute unité qui refuse de collaborer à la résolution d’un problème, même s’il ne touche pas directement leur spécialité, tout en offrant une récompense à tous ceux qui, au contraire, coopèrent efficacement.

C’est l’approche utilisée par une compagnie ferroviaire qui ne parvenait pas à améliorer la ponctualité de ses trains. Celle-ci ne dépassait pas 80 % depuis bon nombre d’années. La direction avait tenté par tous les moyens d’améliorer la situation : mise à niveau des mécanismes de contrôle du trafic, embauche d’agents, attribution de ressources supplémentaires au personnel chargé de surveiller les retards, allègement de certaines tâches (comme le nettoyage et les vérifications de l’équipement). Cependant, chaque mesure qui améliorait légèrement la ponctualité avait aussi un effet négatif inacceptable sur d’autres critères de performance, y compris les coûts, la qualité et la sécurité.

L’entreprise a donc changé de stratégie. Appliquant la règle no 1, elle s’est d’abord penchée sur la coopération entre les unités dont le rendement a une incidence sur la ponctualité (le personnel d’entretien, les conducteurs de train et le personnel de gare, notamment). Il semblait évident qu’avec un peu de collaboration, chaque unité pouvait anticiper, absorber et corriger les délais ou les problèmes survenant à l’intérieur des autres unités. Cependant, l’entreprise a constaté que le personnel concerné se préoccupait davantage de ne pas être blâmé pour les retards que de les éliminer !

Cette situation découlait de règles malsaines qui empêchaient carrément les gens d’inter­venir. Entre autres, pour chaque retard on ne blâmait que l’unité responsable de la cause première du problème. Ainsi, quand l’unité A avait un problème, les unités B et C ne se sentaient pas tenues de contribuer à le régler. Pourquoi l’auraient-elles fait ? Puisqu’elles n’y participaient pas, il était évident que seule l’unité A serait blâmée, croyaient-elles. De plus, chaque unité tentait de récupérer par elle-même le temps perdu. Mais dans 20 % des cas, cela ne suffisait pas.

L’entreprise devait donc modifier son mode de récompenses : ceux qui avaient besoin d’aide devaient pouvoir l’exprimer en toute transparence, et les autres, la leur fournir, et ce, dans l’intérêt commun. Il a été convenu que, dès qu’une unité informait les autres d’un problème, celles qui refusaient de collaborer à sa résolution seraient tenues pour responsables du retard. Les chefs de gare, qui devaient être présents chaque fois qu’une collaboration s’imposait, devaient déterminer quelles unités avaient contribué à résoudre le problème. En quatre mois seulement, le taux de ponctualité a grimpé à 95 % sur les principales lignes qui ont fait l’objet de ce changement de stratégie.

Les règles de gestion intelligente permettent aux entreprises de gérer la complexité, non pas en imposant des comportements précis mais en créant un contexte qui favorise l’adoption de comportements optimaux, sans qu’on puisse définir à l’avance ce qu’ils seront. Cette approche améliore la diversité organisationnelle, puisque la coopération qui s’installe sur la ligne de front, de manière volontaire, aide à trouver des solutions créatives et personna­lisées aux problèmes. Et malgré cette grande diversité, les entreprises qui adoptent les règles de gestion intelligente utilisent leurs ressources de façon extrêmement efficace, parce qu’elles règlent leurs problèmes en exploitant principalement les compétences et l’ingéniosité de leurs employés, grâce à la coopération. Tous les coûts engendrés par cette grande diversité sont largement compensés par l’élimination de tous les programmes de coordination et de collaboration préconisés par de nombreux experts organisationnels. À mesure que les entreprises éliminent la complexité, source de tant de frustration et d’inefficacité, la satisfaction des employés augmente, au même rythme que leur performance. Autrement dit, plutôt que de surcharger votre organigramme en y ajoutant des flèches et des paliers, pourquoi ne pas viser une ingénieuse simplicité qui découle de l’application des six règles présentées dans cet article ?

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