Profession : recrubot Nom de code : Mya


Édition du 30 Juin 2018

Profession : recrubot Nom de code : Mya


Édition du 30 Juin 2018

Photo: Recrubot 1814 Légende: Comprendre comment l’individu cherche à faire une différence et son besoin de réalisation personnelle est bien supérieur aux compétences du ­recrubot. [Photo: 123RF]

«Bonjour, je m'appelle Mya, je suis un "recru- bot", un recruteur personnel. Je vais vous poser des questions pour valider vos qualifications pour le poste.»

Non, nous ne sommes pas dans un épisode de Star Wars. La guerre des talents a désormais son R2-D2 : il s'appelle Mya, Tasha, Ari, Olivia ou Pounce. Les recrubots sont des logiciels conçus par les développeurs d'intelligence comme Paradox ou TextRecruit. Ils travaillent pour des entreprises comme Delta, Staples, Uber, et ils envahissent l'univers sidéral des recruteurs depuis les trois dernières années.

Environ 75 % des processus de sélection peuvent désormais être automatisés. Votre recrubot permet de contacter des centaines de candidats potentiels, leur poser des questions sur leurs connaissances et compétences et, une fois qu'ils sont passés dans la moulinette de son algorithme, de vous recommander les finalistes. Tout cela en quelques heures.

Déjà, de grandes entreprises comme Unilever, L'Oréal ou d'autres utilisent ce procédé qui réduit le processus de recrutement de quatre mois à quatre semaines en moyenne, avec l'avantage d'augmenter le taux de succès des candidats sélectionnés de 63 % à 80 %.

Merci de votre intérêt

En prime, le recrubot améliore considérablement l'expérience candidat, qui se doit d'être aussi exemplaire que l'expérience client (d'autant plus que les candidats sont aussi des clients). Dans un contexte de guerre des talents, l'expérience d'un individu avec l'entreprise est devenue un enjeu majeur. Les statistiques montrent que la majorité des candidats ne reçoivent aucun suivi de la part d'une entreprise qu'ils contactent pour une première fois. Le recrubot, lui, n'oublie jamais d'envoyer un message personnalisé au candidat pour le remercier de son intérêt ni de lui assurer des suivis sur l'avancement de sa candidature. Exit la formule insipide : «Nous ne communiquerons qu'avec les candidats retenus.»

Les Mya, Olivia et Ari contribueront à réduire drastiquement les effectifs des départements de gestion des talents, mais surtout à changer le profil des recruteurs. Actuellement, les trois quarts du processus de sélection reposent sur des équipes qui passent leur temps à lire des C.V., à prospecter LinkedIn, à contacter des individus pour leur poser des questions de préqualification, à écrire des comptes-rendus, à envoyer des avis de convocations pour des entrevues, à faire des suivis, etc. Le recrubot est tout cela, en un. Une présélection sans aucun préjugé inconscient apparent (si son géniteur ne lui a pas glissé quelques idées préconçues au passage), car c'est un champion de la diversité qui, en plus, gère toute la logistique.

Le mieux, c'est qu'il garde en mémoire les résultats de toutes ses entrevues. Il peut les consulter, les segmenter et les décortiquer pour en dégager des tendances et alimenter les équipes stratégiques et marketing RH. Il peut travailler 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, n'est jamais malade, n'a aucun état d'âme ni l'ambition de passer au stade de recrubot senior, augmentation en prime. Un bonheur de management...

Évaluation haute voltige

Les 25 % restants du processus de recrutement demeurent les plus critiques et stratégiques. Il faut maintenant basculer dans l'évaluation de haute voltige.

Mesurer le degré d'envie du candidat de quitter son emploi actuel, sa motivation profonde pour le poste, l'adéquation entre ses valeurs et celles de l'entreprise, puis le convaincre du changement ; 75 % d'intelligence artificielle pour un 25 % d'intelligence émotionnelle. C'est comme si un physicien champion de mathématique quantique comparaît ses travaux avec ceux de Freud l'analyste.

Le recruteur de demain deviendra un révélateur de désirs chez des candidats qui s'ignorent. Il rendra possible ce que l'individu n'ose pas imaginer ou ce dont il rêve tout bas. Il devra déceler l'étincelle du talent et révéler le potentiel de l'individu. Sans C.V. Sans entrevue javellisée dans un bureau sans âme ni personnalité.

Le recrubot permettra au recruteur de s'épargner l'étape de la préqualification et de se concentrer sur la partie la plus délicate : l'évaluation psychologique et humaine, et ce, uniquement des meilleurs candidats.

Le recrutement sans âme ni émotion est utopique. J'ai cherché toute ma carrière à rationaliser mes émotions dans l'évaluation des individus, sans succès. Il demeure émotionnel, qu'on le veuille ou non. Saisir et comprendre le réel désir du changement, capturer ce qui est important et ce qui donne du sens à sa vie et à son travail, comprendre comment l'individu cherche à faire une différence et son besoin d'évolution et de réalisation personnelle est bien supérieur aux compétences du recrubot.

Le recrutement est un art complexe et fragile qui met en scène l'individu et ses parties prenantes (conjoints, ex-conjoints, enfants, futurs et ex-collègues, patrons).

Ce sont les conversations en profondeur qui font cheminer un candidat sur sa situation et qui, au final, sont décisives.

Que les recruteurs se rassurent, ils ne perdront pas leur emploi demain matin au profit d'une Mya ou d'un Ari. Mais ils devront raffiner leur art de la persuasion et de l'intelligence humaine, non artificielle.

À propos de ce blogue

Nathalie Francisci est présidente exécutive pour le Québec chez Gallagher. Elle oeuvre en recrutement de cadres depuis 25 ans. Entrepreneure, experte en gestion des talents, elle est reconnue comme l’une des références au Québec. Femme d’affaires engagée, elle siège sur plusieurs CA. Conférencière et chroniqueuse, ses interventions font la différence par l’énergie et style direct qui s’en dégagent. Passionnée par nature, elle n’oublie jamais qu’elle travaille avec des gens, pour des gens. Elle partagera avec vous ses réflexions et expériences sur l’univers du recrutement et de la gestion des talents pour faire réfléchir autant les individus que les organisations. Nathalie Francisci a été Finaliste au Concours des Mercuriades en 2001, elle a reçu le Prix «Nouvelle Entrepreneure du Québec» en 2001 et «Entrepreneure – petite entreprise» en 2007 décerné par le RFAQ et elle a remporté le Prix Arista en 2008. Elle porte les titres de CRHA et de IAS.A.

Nathalie Francisci
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