Potiner au bureau n'est pas antiprofessionnel

Publié le 18/09/2010 à 00:00, mis à jour le 21/09/2010 à 15:31

Potiner au bureau n'est pas antiprofessionnel

Publié le 18/09/2010 à 00:00, mis à jour le 21/09/2010 à 15:31

Le potinage peut être bénéfique pour les individus et les organisations, bien que les gestionnaires le considèrent souvent comme un comportement désobligeant et qu'ils aient tendance à punir les potineurs en leur infligeant une faible cote de rendement.

De concert avec Travis J. Grosser et Virginie Lopez-Kidwell, deux candidats au doctorat en gestion, Joe Labianca a étudié les interactions sociales dans une division d'une grande société américaine; il a demandé à 30 des 40 employés de lui parler de leurs réseaux sociaux au travail, des gens avec qui ils potinaient et de la nature de leurs propos, et de l'influence informelle qu'avait chaque collègue. Plus les membres de l'équipe potinaient, mieux ils comprenaient leur environnement social et plus la cote d'influence que leur attribuaient leur pairs était élevée.

Harvard Business Review - Les potins sont souvent fondés sur des ouï-dire, des demi-vérités et des insinuations, et ils peuvent accaparer une bonne partie du temps de travail de votre personnel. Peuvent-ils vraiment être profitables ?

Joe Labianca - Le potinage peut être très utile pour les gens qui oeuvrent au sein d'une organisation, surtout quand le flux d'informations émanant de la direction circule mal, comme c'est souvent le cas quand une entreprise traverse une crise. Si quelques personnes sont vraiment au fait des événements, le potinage devient un moyen de diffuser cette information auprès de tous. En outre, la recherche démontre que le potinage réduit souvent l'anxiété chez l'individu.

H.B.R. - C'est, dirait-on, tout le contraire de l'opinion habituelle voulant que le potinage soit un moyen efficace de répandre la peur et l'anxiété.

J.L. - Il est vrai que le potinage peut parfois accroître le niveau de crainte dans une organisation, mais la recherche démontre qu'il a l'effet inverse. En partageant vos potins, vous établissez un contact personnel, ce qui vous procure un soutien social et émotionnel. Le potinage contribue aussi à diffuser de précieux renseignements sur les membres d'un réseau et s'avère un moyen de censurer ceux qui n'adhèrent pas aux normes du groupe.

H.B.R. - Mais un potineur ne fonde-t-il pas sa perception de ce qu'est une brute ou un resquilleur sur ses préjugés et sur ses opinions ? Quelle est la valeur d'une information aussi subjective ?

J.L. - L'information n'est pas complètement subjective, car ces normes sont déterminées par le groupe même. C'est l'une des raisons pour lesquelles on potine en premier lieu : pour négocier le comportement " approprié " à adopter afin que le groupe comprenne ce qui est juste et ce qui ne l'est pas.

H.B.R. - D'accord, mais en quoi le potinage est-il utile à l'ensemble de l'entreprise ?

J.L. - Ce peut être un formidable outil de diagnostic. Le gestionnaire qui reste attentif à ce qui passe sur le terrain a de bonnes chances de prendre connaissance d'enjeux potentiellement embarrassants dès qu'ils surgissent.

H.B.R. - Les gens ne sont-ils pas plus susceptibles de miner les valeurs de l'entreprise en potinant ?

J.L. - Le potinage est simplement un échange, entre deux personnes, d'informations portant sur une tierce personne. Les potins véhiculent en bonne partie des éloges. Si quelqu'un fait des heures supplémentaires pour vous aider, vous en parlerez probablement à d'autres membres de votre réseau. En fait, les potins positifs sont plus fréquents que les ragots. Nous avons découvert qu'il y avait autant de potins positifs que négatifs dans 72 % des relations de potinage, des potins essentiellement positifs dans 21 % des cas et des potins essentiellement négatifs dans 7 % des cas.

H.B.R. - Alors pourquoi les gestionnaires ont-ils si souvent une piètre opinion du potinage ?

J.L. - Grâce à des études précédentes, nous savons que les gestionnaires considèrent le potinage comme un instrument de subversion. Et ce l'est. Notre étude démontre que plus vous potinez, plus vous accroissez votre infuence informelle auprès de vos pairs. C'est une force de démocratisation. Cela équilibre les rapports entre les gestionnaires et les employés. Cela porte atteinte à la volonté managériale de tout contrôler. Il ne faut donc pas s'étonner de ce que, dans notre étude, les gestionnaires à qui nous avons demandé d'évaluer le rendement de leur personnel aient attribué les pires notes aux employés les plus potineurs.

H.B.R. - N'existe-t-il pas de motifs légitimes de détester le potinage quand on est gestionnaire ?

J.L. - Évidemment. Dans une autre organisation que nous avons étudiée, une bonne part du potinage tournait autour d'un conflit entre deux groupes. Ce bavardage négatif minait la capacité de fonctionner de l'organisation. Mais le problème fondamental était le conflit.

H.B.R. - N'empêche, si le potinage sévissait dans mon entreprise, je ferais de mon mieux pour l'éradiquer.

J.L. - Vous ne pouvez simplement interdire le potinage. Au cours de notre étude, nous avons découvert que 96 % des employés admettaient s'adonner à du potinage au travail. Les directives visant à faire cesser les ragots ont généralement l'effet inverse et génèrent plus de potinage. Les organisations tentent trop souvent de le piétiner sans s'attaquer aux problèmes qui le génèrent. Le potinage négatif est un symptôme d'un problème organisationnel plus vaste.

H.B.R. - Les gestionnaires devraient-ils eux aussi s'adonner au potinage ?

J.L. - Ils le font déjà. Dans l'échantillon que nous avons étudié, les superviseurs avaient plus de partenaires de potinage que le reste du personnel - soit une moyenne de 7,4 contre 3,9. C'est logique quand on considère que les gestionnaires ont besoin de beaucoup d'informations pour accomplir leur tâche.

H.B.R - Le potinage n'est donc pas forcément antiprofessionnel ?

J.L. - Si je pouvais supprimer un mot de notre lexique, ce serait le mot antiprofessionnel. Quand les gestionnaires nous demandent de ne pas être antiprofessionnels, ils nous disent ni plus ni moins de faire taire l'être émotif et social en nous lorsque nous sommes au travail. Nous réagissons aux événements, nous tissons des liens avec les autres, nous potinons. Prétendre agir autrement ne fait qu'empirer les choses.

Giuseppe Labianca, professeur associé de gestion à la chaire Gatton du Centre de recherche LINKS sur les réseaux sociaux en entreprise, de l'Université du Kentucky.

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