Poste gonflable, titre ronflant

Publié le 03/10/2008 à 21:17

Poste gonflable, titre ronflant

Publié le 03/10/2008 à 21:17

Par lesaffaires.com
Certaines entreprises distribuent des titres de vice-président à tout-va ou gonflent l'appellation de certains postes pour mieux attirer des candidats. L'astuce ne coûte rien en apparence, mais à la longue, elle a un prix.

Chez Wal-Mart, les employés sont des "associés". Même chose chez Home Depot. Dans plusieurs entreprises, les représentants ou les directeurs des ventes portent le titre de "vice-président". Du moins, sur leur carte professionnelle... "Certaines entreprises ont douze employés et huit vice-présidents!" dit Fabien Mercier, vice-président de Dolmen capital humain, une firme en recrutement et ressources humaines.

Tous les moyens sont bons pour attirer des candidats et mobiliser ses employés quand on a du mal à combler des postes ou à conserver son personnel. Et cela va jusqu'à gonfler les titres d'emploi ! La tendance n'est pas nouvelle. Elle remonte en fait à la fin des années 1990, alors que l'économie était en plein boom technologique. C'était l'époque où les tables de billard et les machines à boules faisaient leur entrée dans les cafétérias des start-ups. Les patrons n'étaient plus des patrons mais des gourous, des mentors ou des conquérants à la tête de services de Ninjas! "Il y avait toutes sortes de titres bizarres, dit Michel Blaquière, président de Drakkar et associés, une firme-conseil en ressources humaines. Les entreprises ne savaient plus comment attirer les gens."

Depuis, la bulle technologique a éclaté. Et, avec elle, la nomenclature traditionnelle des titres d'emploi. Les Ninjas et compagnie ont disparu, certes, mais les appellations sont demeurées moins conservatrices que par le passé. Ainsi, on ne s'étonne plus, par exemple, de croiser des conseillers en talents (lire "conseillers en ressources humaines"). Au Canada anglais et aux États-Unis, les entreprises emploient le mot "chief" à toutes les sauces : chief information officer, chief talent officer, chief ethics officer, chief blogging officer (rédacteur du blogue d'une société!)... Ce titre n'a pas d'équivalent en français, mais il s'approche de celui de vice-président.

"Les gens aiment avoir un titre ronflant", remarque Gaétane C. Hains, spécialiste en ressources humaines et attachée d'enseignement à HEC Montréal. Addition Elle, une chaîne de magasins de vêtements, a d'ailleurs exploité ce filon vers 2000, avant d'être acquise par Reitmans. Les gérantes de succursale ont alors été érigées en "présidentes d'unité", selon Gaétane C. Hains, alors directrice des ressources humaines chez Addition Elle. "Elles n'étaient pas plus payées, dit Gaétane C. Hains, alors directrice des ressources humaines chez Addition Elle, mais, aux yeux de leur famille, elles étaient des présidentes !" Avec ce nouveau titre, Addition Elle espérait que ses gérantes fassent preuve de plus de leadership. "Cela a eu un certain effet, note Gaétane C. Hains. Les femmes sentaient que c'était "leur" magasin. On leur laissait prendre certaines responsabilités [supplémentaires]." Mais Reitmans n'a pas conservé ce titre.

Cette technique ne vaut pas que pour le commerce de détail. D'après Sara Catherine St-Laurent, conseillère en recrutement chez Samson Bélair/ Deloitte & Touche, diverses entreprises offrent un nouveau titre d'emploi aux employés qui occupent les mêmes tâches pendant quelques années. Une façon de faire que n'a pas adoptée ce cabinet-comptable. "En leur donnant un titre plus prestigieux, les employeurs veulent leur témoigner une certaine reconnaissance, ajoute-t-elle, mais leur poste est le même qu'auparavant." Et le salaire aussi, la plupart du temps.

Pour recruter de grosses pointures, certaines entreprises troquent, par exemple, le titre de "contrôleur" pour celui de "directeur des finances". "Il est évident qu'avec un titre exagéré, on a plus de chances d'attirer des candidats prestigieux, remarque René Forget, président de René Forget et associés, un cabinet-conseil en ressources humaines. Le titre doit cependant correspondre à l'importance du poste."

Voilà qui, dans les faits, n'est pas toujours le cas. Plusieurs représentants ou directeurs des ventes possèdent des cartes professionnelles de vice-président sans avoir de grands pouvoirs décisionnels. Selon Gaétane C. Hains, les employeurs justifient ce "titre d'apparence" par le fait qu'il facilite la tâche à leurs employés, notamment à l'étranger. Une solution facile qui ne coûte rien à l'employeur! "Quand vous êtes vice-président, la porte des clients s'ouvre beaucoup plus rapidement", note-t-elle.

Aux yeux de Michel Blaquière, qui ne voit aucun intérêt à gonfler les titres, il s'agit là d'abus de confiance auprès des clients. Selon lui, ces appellations ne peuvent mobiliser le personnel. Tout au plus servent-elles à flatter l'orgueil de certains... "Des employés m'ont déjà demandé un titre plus important, mais j'ai toujours refusé, dit Michel Blaquière. Nous avons une structure et une équité salariales. Je ne veux pas favoriser certaines personnes au détriment d'autres employés. Je ne veux pas créer de fausses attentes."

Le risque des titres gonflés

D'après un sondage mené en 2005 par salary.com, un site Internet qui offre notamment un programme de gestion de la paie, aux États-Unis, près de 80 % des employés qui se plaignent d'être sous-payés ne le sont pas. En réalité, plus de la moitié ont une rémunération correcte ou même trop élevée pour les tâches qu'ils effectuent. "Les autres ont un titre gonflé", indique Bill Coleman, vice-président sénior indemnisation de salary.com.

Gonfler les titres comporte des risques. D'après Fabien Mercier, cela peut entacher la réputation d'une entreprise auprès des chercheurs d'emploi. "Des candidats s'intéressent à une fonction, se présentent en entrevue et réalisent qu'ils n'ont rien à y gagner, explique-t-il. Ils constatent que leurs tâches ne seront pas enrichies et que ce nouveau poste ne contribuera pas à les faire cheminer dans leur carrière." Bref, ils s'aperçoivent qu'ils ont perdu leur temps.

Fabien Mercier le répète : un titre doit correspondre à la portée réelle du poste. Récemment, ce recruteur a dû réviser à la baisse une dénomination proposée par un client : de directeur des finances et administration, elle est passée à contrôleur. "Cette appellation n'est peut-être pas jazzée, mais elle est réaliste et pertinente, dit-il. Le budget à gérer était de huit millions."

À plus long terme, les titres sexy peuvent créer un cafouillis dans une organisation. "Lors du boom techno, tout le monde avait de beaux titres accrocheurs, mais personne ne savait qui détenait l'autorité, qui prenait la décision finale", dit Michel Blaquière.

Employco, une firme de consultants en ressources humaines et en assurance de l'Illinois, l'a appris à ses dépens, rapporte la publication américaine Inc. Magazine. Dès ses débuts, il y a dix ans, elle a distribué de jolis titres à sa dizaine d'employés. Maintenant, avec 17 000 salariés, elle a dû faire le ménage. Résultat : six employés séniors ont été rétrogradés, et un vice-président aux ventes a été embauché pour superviser... les autres vice-présidents aux ventes ! Cet exercice éprouvant a créé du ressentiment au sein de l'entreprise, souligne Inc. Magazine, et plusieurs employés ont démissionné.

Selon Bill Coleman, de plus en plus d'entreprises américaines dégonflent leurs titres. "Elles corrigent le tir lorsqu'un employé quitte un poste, lorsqu'elles font une réorganisation ou entrent à la Bourse", dit-il. Cela constitue une façon d'apporter des changements en douce. D'après Michel Blaquière, il reste que les employés n'accordent peut-être pas tant d'importance que cela à leur titre. "Aujourd'hui, les gens ciblent des entreprises, pas des titres, dit-il. Ils souhaitent être associés à un employeur qui véhicule les mêmes valeurs qu'eux."

Sara Catherine St-Laurent, conseillère en recrutement, ne voudrait pas être appelée "chercheuse de talents". "Cela fait un peu "gadget", dit-elle. Je préfère avoir un titre qui décrit bien ce que je fais." Elle est bien servie chez Samson, où la hiérarchie est bien établie: conseiller, conseiller principal, directeur, directeur principal et associé.

Selon René Forget, les entreprises tendent à délaisser les titres qui renvoient à la structure de l'organisation. "Elles précisent davantage les dénominations en fonction de la mission du poste, dit-il. En utilisant le terme "gestionnaire de talents", par exemple, la société indique qu'elle veut vraiment se doter des meilleures ressources."

Dans les secteurs où les titres demeurent plus traditionnels, comme la finance et la comptabilité, les recruteurs misent aussi sur la mission du poste pour attirer l'oeil des chercheurs d'emploi. "Si je suis à la recherche d'un analyse financier, on peut commencer l'annonce par "Aimez-vous analyser les chiffres ?"" explique Jonathan Buzelan, associé de CFO2Grow, une firme de recrutement dans les domaines de la finance et de la comptabilité.

Le titre n'est donc pas une fin en soi. Avant d'envoyer un CV, on a d'ailleurs intérêt à bien lire la description de tâches. Ainsi, un ancien poste de directeur équivaut peut-être à celui de coordonnateur dans une grande entreprise, mais on fera le même travail. Et, faut-il l'espérer, pour un meilleur salaire !

Cet article a été publié dans la revue Affaires Plus en mars 2007.

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