Plus de transparence dans les salaires, bonne ou mauvaise idée?

Publié le 06/01/2022 à 11:00

Plus de transparence dans les salaires, bonne ou mauvaise idée?

Publié le 06/01/2022 à 11:00

Par Olivier Schmouker

(Photo: 123RF)

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Q. – «J’ai la ferme conviction que je suis moins bien payée que d’autres collègues, alors que nous effectuons des tâches qui sont à peu près semblables. Mais comment en avoir le cœur net? Est-ce une bonne idée que d’en parler en douce avec certains d’entre eux?» – Charlotte

R. — Chère Charlotte, je vais aller droit au but: pensez-y à deux fois avant de vous lancer, car vous risqueriez fort de vous en mordre les doigts. J’en veux pour preuve une étude récente signée par Zoe Cullen, professeure de gestion des affaires à la Harvard Business School, et Bobby Pakzad-Hurson, professeur d’économie et d’entrepreneuriat à l’Université Brown, qui lève un drapeau rouge à ce sujet.

Ainsi, les deux chercheurs ont noté que, depuis 2004, pas moins de 18 États américains ont adopté des lois punissant les employeurs qui sévissent contre les employés qui partagent de l’information sur leurs salaires. C’est qu’auparavant les employeurs de ces États-là pouvaient faire signer des clauses de non-divulgation des contrats de travail, et donc proscrire tout partage de données concernant la rémunération. Parler de salaire était plus que tabou, c’était carrément illégal.

Une fois cela noté, ils se sont demandé si cette nouvelle législation avait eu le moindre impact sur le niveau de salaire des employés. Le fait de rendre la rémunération un peu plus transparente avait-il bénéficié aux employés ou pas? Eh bien, ce qu’ils ont découvert les a un peu surpris: trois années après avoir interdit l’interdiction de parler de rémunération, le niveau de salaire des employés avait reculé d’environ 2,6%.

Après une analyse minutieuse de leurs données, les deux chercheurs avancent une explication. La transparence salariale diminue le pouvoir de négociation de l’employé. En effet, lorsqu’un individu va voir seul son patron pour lui demander une petite hausse, ce dernier a beau jeu de lui dire non, au prétexte que les autres n’en bénéficient pas et qu’ils en font tout autant que lui. Idem, un candidat à l’embauche peut avoir des prétentions salariales un peu plus élevées que la moyenne, mais le recruteur peut aisément le contrer en s’appuyant sur le fait qu’il serait injuste de le payer davantage que ceux qui sont là depuis des années. Résultat? «Les salaires sont fortement tirés vers la médiane dès lors que la rémunération gagne en transparence», est-il noté dans l’étude.

Seule exception: les organisations syndiquées. Là, les négociations ne sont pas individuelles, mais collectives. Les salaires ne sont pas négociés au cas par cas, ce qui change la donne: on n’assiste pas à un recul, mais plutôt à une lente progression de la rémunération globale (voire un lent rattrapage par rapport aux salaires en vigueur dans l’ensemble de l’industrie concernée).

Par ailleurs, l’étude évoque le fait que la transparence salariale peut avoir un impact psychologique négatif: que se passe-t-il dans la tête de quelqu’un qui découvre qu’il est nettement moins bien payé que ses collègues immédiats et qui reçoit comme explication le fait qu’il est jugé «moins utile» que les autres? Cela peut se traduire par du découragement, et mener droit à la démission.

Par conséquent, chère Charlotte, ce n’est peut-être pas un hasard si le salaire est un sujet tabou dans notre société. Parler rémunération fait à la fois du bien (à ceux qui gagnent plus que les autres) et du mal (à ceux qui gagnent moins que les autres). Et surtout, c’est perdre un levier de négociation lorsqu’on est employé d’une organisation non syndiquée. Ni plus ni moins.

Pas étonnant, donc, de voir que la première ministre finlandaise Sanna Marin hésite toujours à aller de l’avant avec son projet de loi sur la transparence salariale, dont le but affiché est d’atténuer les écarts salariaux entre hommes et femmes (évalués aujourd’hui à 16,6% en Finlande). Ce projet contraindrait l’employeur à «fournir immédiatement par écrit» les informations relatives au salaire d’un employé à la demande d’un de ses collègues ou d’un représentant syndical, si jamais le requérant soupçonne être lésé dans sa rémunération. À première vue, cette transparence totale devrait permettre de vite corriger le tir lorsqu’une employée est moins bien payée que ses collègues masculins. Mais voilà, des études comme celle de Zoe Cullen et Bobby Pakzad-Hurson montrent qu’il y a des effets secondaires conséquents et durables, des effets secondaires si perturbants qu’ils amènent à dire que la transparence n’est pas toujours souhaitable…

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